Abandon du Nutri-Score de Danone : retrait de sa qualité de société à mission ?

En abandonnant le Nutri-Score, Danone vient-elle d’acter le retrait de sa qualité de société à mission ? Toutes les hypothèses sont sur la table… Un véritable crash test pour l’avenir des entreprises à mission.
Danone décide le 5 septembre 2024 d’abandonner le logo nutritionnel Nutri-Score pour cinq de ses marques : Danonino, Actimel, Activia, Danone, HiPro. Le groupe d’agroalimentaire l’adopte en 2017. Il lui permet de remplir parfaitement sa mission d’information auprès des consommateurs pour les aider à faire leurs choix alimentaires de façon éclairée.
Une actualité en dissonance avec sa qualité de société à mission acquise en 2020 ?En France ce dispositif est créé par la loi Pacte de 2019. Il permet aux entreprises d’affirmer leur engagement dans la poursuite d’objectifs environnementaux et sociaux, et non plus seulement économiques. Un organisme tiers indépendant (OTI) assure la vérification de l’atteinte de ces objectifs et un comité de mission est chargé du suivi de l’exécution de cette mission.
Le 8e baromètre de l’Observatoire des sociétés à mission souligne le succès de cette démarche : fin 2024, 1 961 sociétés à mission sont recensées, soit un triplement en trois ans, dont Doctolib, Transdev, KMPG, KS Groupe, Camif, Bel, etc. Alors, Danone qui pourtant a été la première entreprise cotée au CAC 40 à obtenir cette qualité juridique, pourra-t-il rester une entreprise à mission ?
Santé des personnes
Pour illustrer sa vision et son ambition, Danone a choisi pour raison d’être : « apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre ». Dans ce cadre, Danone s’est fixé quatre objectifs généraux dont le premier vise à :
« Avoir un impact positif sur la santé des personnes au niveau local grâce à un portefeuille de produits plus sains, avec des marques encourageant de bons choix nutritionnels, et promouvoir de bonnes habitudes alimentaires. »
Le groupe Danone s’est engagé d’un côté à produire des aliments de meilleure qualité pour la santé des enfants, moins sucrés. De l’autre, permettre aux consommateurs de faire des choix nutritionnels éclairés, à l’aide d’un système d’information nutritionnelle interprétatif sur les emballages ou en ligne. Des engagements, sous forme de jalons quantifiés, sont pris, comme le rappelle le rapport du comité de mission de Danone en avril 2024 destiné à être présenté aux actionnaires lors de leur Assemblée générale.
Retour en arrière
Danone, qui a fortement soutenu le Nutri-Score depuis son officialisation en France en 2017, explique son retour en arrière. Selon le groupe, la version mise à jour de l’algorithme du Nutri-Score par le comité scientifique européen en charge de sa révision « pénaliserait » plus le classement de ses yaourts à boire et boissons végétales sucrées en les classant moins bien sur l’échelle du Nutri-Score par rapport à la « version initiale ».
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Avec le désengagement du Nutri-Score pour certaines de ses marques phares, moins de produits afficheront un logo interprétatif en 2025. Un recul par rapport à la situation de 2023. La question est de savoir si, avec ce retrait, Danone est en mesure d’atteindre les objectifs quantifiés annoncés dans le rapport de 2024 publié par son comité de mission. Le cas échéant, assiste-t-on à un retour en arrière par rapport à l’avancée des engagements évalués en 2023 et présentés dans ce même rapport ?
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On trouve la réponse à cette question dans le rapport de mission 2024 paru le 02 avril 2025. Ses résultats démontrent que sur la question de l’étiquetage nutritionnel, les engagements pris ne sont pas tenus et que les objectifs chiffrés ne sont pas atteints. Malgré ces écarts, le comité de mission conclut que Danone a honoré l’intégralité de ses engagements en 2024. Cette conclusion peut interroger sur le rôle réel du comité de mission de Danone.
Rôle du comité de mission
Le comité de mission de Danone est composé de huit membres : Pascal Lamy, président du comité de mission, Arancha González, Lise Kingo, Hiromichi Mizuno, David Nabarro, Ron Oswald, Gabriela Ilian Ramos et Emna Lahmer. Son rôle ? Veiller à ce que Danone respecte ses engagements en tant que société à mission. Comment ? En évaluant les progrès réalisés et en formulant des recommandations à travers un rapport joint au rapport de gestion et présenté annuellement à l’Assemblée générale ordinaire de l’entreprise.

stoatphoto/Shutterstock
Il aurait été attendu que le comité de mission notifie, dans son dernier rapport 2024, le désengagement de Danone sur le Nutri-Score. Par conséquent, la non-atteinte de l’objectif concernant l’aide aux consommateurs pour faire des choix éclairés et la non atteinte du jalon « 95 % des volumes vendus de produits laitiers et d’origine végétale et de boissons aromatisées sont assortis d’un étiquetage nutritionnel interprétatif sur les emballages et/ou en ligne ».
Malheureusement, cela n’a pas été le cas. Le rapport de mission 2024 paru le 02 avril 2025 conclut :
« Concernant le bilan des résultats déjà obtenus, nous pouvons affirmer que Danone a honoré ses engagements. En 2024, l’entreprise a atteint ou dépassé tous les objectifs dont nous avons accepté de suivre la réalisation, à une exception près (la formation en ligne des salariés) – à laquelle Danone devrait remédier cette année. »
Plus préoccupant, le rapport du comité de mission affirme que « 95 % des volumes vendus de produits laitiers et d’origine végétale et de boissons aromatisées sont assortis d’un étiquetage nutritionnel interprétatif sur les emballages et/ou en ligne ». Pour combler le Nutri-Score, l’entreprise déploiera les Health Star Rating (HSR), utilisés en Australie et en Nouvelle-Zélande. Leur mode de calcul repose sur l’algorithme que le Nutri-Score utilisait avant sa mise à jour. Remplacer un logo qui informe le consommateur sur la forte teneur en sucre de gammes de produits peut-il être interprété comme une stratégie pour désinformer et tromper le consommateur ?
Retrait de la qualité par l’OTI ?
Si une entreprise ne tient pas ses engagements, elle peut perdre sa qualité de société à mission. L’organisme tiers indépendant (OTI), en charge de vérifier l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux de l’entreprise, peut rendre un avis négatif. Il doit indiquer pourquoi l’entreprise ne respecte pas ou n’atteint pas les objectifs qu’elle s’est fixés. Le ministère public (procureurs de la République, ndlr) ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal de commerce pour le retrait de la mention de société à mission.
Mazars est l’organisme tiers indépendant (OTI) de Danone. Le rapport du comité de mission de Danone évaluant l’année 2024 contient en annexe B « le rapport de l’organisme tiers indépendant sur la vérification de l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux ». Le rapport du comité de mission 2024 contient la même annexe que le rapport du comité de mission 2023 à savoir l’analyse de la période allant du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2023.
L’OTI n’a pas encore fourni de rapport concernant l’année 2024, année où Danone, par le choix du retrait du Nutri-Score, n’a pas été en mesure de respecter pleinement les engagements pris ainsi que les objectifs fixés.
Il est maintenant central d’attendre le rapport de l’OTI couvrant l’année 2024 pour savoir, si en analysant les données de l’année 2024, il joue pleinement son rôle. Rendra-t-il un avis négatif indiquant que la société ne respecte pas et n’a pas atteint certains de ces objectifs qu’elle s’était fixés ? Le rendu d’un avis négatif serait une première pour une société à mission. Il montrerait que les éléments économiques et financiers ne doivent pas l’emporter sur la poursuite d’objectifs visant la protection de la santé dans le cas d’une entreprise à mission.
Je travaille pour une ONG intervenant dans la santé
Auteur : Stéphane Besançon, Associate Professor in Global Health at the Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) / CEO NGO Santé Diabète, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
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