App Store : aux États-Unis, Apple échoue encore contre Epic sur les frais de paiements
Quand ça ne veut pas
Nouveau coup dur pour Apple. après la victoire d’Epic sur les pratiques anti-steering, Apple avait demandé en urgence un sursis à l’application de la décision. Peine perdue, la demande a été rejetée, les nouvelles pratiques pouvant continuer jusqu’à ce que l’appel ait lieu.
Sales temps pour Apple et sa vision parfaitement ordonnée de l’App Store. Sur ce dernier, l’entreprise prélève une commission de 30 % sur tous les achats réalisés, qu’il s’agisse des applications elles-mêmes, des biens et services commercialisés dans celles-ci ou encore des abonnements. Pour ces derniers, la commission baisse à 15 % à compter du 13ᵉ mois consécutif d’un abonnement actif.
Ces conditions sont dénoncées par un nombre croissant d’entreprises depuis des années, en particulier Epic et Spotify. Elles critiquent tout spécialement les pratiques anti-steering d’Apple. Le terme désigne l’ensemble des règles bloquant les éditeurs dans leurs capacités à communiquer des offres alternatives aux utilisateurs.
Le cas le plus connu est l’affaire Fortnite. Sans prévenir, Epic a lancé une promotion sur la monnaie du jeu en fournissant un lien vers son site. Les achats réalisés ne passaient alors pas par l’App Store, Apple n’empochant aucune commission. À Cupertino, la firme avait répliqué en bloquant le jeu. Il n’est revenu sur le Store américain que le 20 mai, après cinq ans d’absence.
Puis une victoire d’Epic il y a quelques semaines a complètement rebattu les cartes. Il est devenu interdit pour Apple de bloquer les liens externes, et surtout d’imposer une commission sur les achats réalisés à travers ces liens. L’entreprise a immédiatement fait appel. Une semaine plus tard, elle demandait en urgence de surseoir à l’exécution de la décision. Le tribunal a rejeté la demande.
Défaite supplémentaire
Selon un document consulté par TechCrunch, Apple « a la charge de démontrer que les circonstances justifient l’exercice de [notre] pouvoir discrétionnaire », a déclaré le tribunal devant lequel le recours avait été déposé. Cela signifie que la fameuse décision de la juge Gonzalez Rogers il y a un mois s’applique toujours. Apple a le droit de faire appel – ce qu’elle a fait – mais la décision doit quand même être appliquée.
La juge Gonzalez avait en effet décidé que les pratiques d’Apple devaient cesser immédiatement. La firme avait déjà été alpaguée sur le même sujet en 2021, devant la même juge. Celle-ci n’a pas caché sa colère, accusant Apple d’avoir sciemment menti à la cour, violant la décision initiale qui réclamait déjà d’autoriser les éditeurs à passer par d’autres systèmes de paiement. Apple avait fini par le faire, en rabotant sa commission à la marge : 27 %, contre 30 en temps normal. La juge a peu gouté également les écrans anxiogènes placés par Apple entre le lien et sa destination.
« Nous sommes déçus de la décision de ne pas suspendre l’ordonnance du tribunal de district et nous continuerons à défendre notre cause au cours de la procédure d’appel. Comme nous l’avons déjà dit, nous ne sommes pas du tout d’accord avec l’avis du tribunal de district. Notre objectif est de nous assurer que l’App Store reste une opportunité incroyable pour les développeurs et une expérience sûre et fiable pour nos utilisateurs », a simplement déclaré un porte-parole d’Apple.
Epic sur un petit nuage
Du côté d’Epic, on boit évidemment du petit lait. L’emblématique fondateur de l’éditeur, Tim Sweeney, s’est fendu d’un tweet mâtiné d’ironie pour l’occasion : « La Cour d’appel du 9ᵉ circuit rejette la demande de suspension d’Apple. Le long cauchemar national de la taxe Apple prend fin. Que la WWDC de la semaine prochaine soit la célébration par Apple de la liberté que les développeurs et les utilisateurs méritent depuis longtemps ». WWDC qui commence d’ailleurs ce soir à 19h00.
Interrogé dans les commentaires sur la manière dont Apple pourrait gagner de l’argent avec la suppression de ces commissions, Sweeney a répondu que le géant était libre de le faire « en se livrant à une concurrence loyale ».
Précisons que la disparition des commissions ne concerne que les achats réalisés par des liens internes dans les applications vers les sites officiels correspondants. Les achats des applications elles-mêmes ne sont pas remis en cause, et les éditeurs tiers peuvent continuer à s’en remettre à Apple si tel est leur choix.
Une situation suivie de près en Europe
Si l’affaire est aussi importante, c’est non seulement parce qu’elle remet en cause toute une partie du modèle commercial d’Apple, mais aussi parce que les mêmes problèmes sont pointés des deux côtés de l’Atlantique. L’Europe a infligé fin avril une amende de 500 millions d’euros à Apple pour violation du DMA, en lien ici aussi avec les pratiques anti-steering. Dans les deux affaires, les liens, la commission prélevée et les écrans d’avertissement sont au cœur des reproches.
Le 23 juin, Apple devra donc modifier ses pratiques au sein de l’Union. Les éditeurs tiers devront pouvoir utiliser les liens qu’il leur plaira, renvoyait vers leurs sites et proposer de meilleures offres que sur l’App Store. En outre, Apple pourra percevoir une commission, mais uniquement sur le premier achat, pour tenir compte de la découverte de ce tarif via les produits Apple (acquisition initiale).
Apple, particulièrement remontée contre le DMA depuis son entrée en vigueur, en conteste tous les points. Mais comme aux États-Unis, la demande d’appel n’est pas suspensive : l’entreprise pourra retenter sa chance, mais elle doit quand même se soumettre à la décision et appliquer les changements dès le 23 juin. Dans le cas contraire, la Commission européenne est décidée à jouer la carte de l’astreinte journalière, qui pourrait grimper jusqu’à plusieurs dizaines de millions d’euros par jour.
À la virgule près
Le 5 juin, par un article de Jérôme Marin sur Cafétech, on a d’ailleurs pu voir combien Apple était prête à combattre dans toutes les tranchées. Dans son combat contre le DMA, l’entreprise n’était ainsi pas d’accord sur le positionnement d’une virgule placée après le mot « gratuitement » dans la version anglais de l’article 5.4.
« The gatekeeper shall allow business users, free of charge, to communicate and promote offers, including under different conditions, to end users acquired via its core platform service or through other channels, and to conclude contracts with those end users, regardless of whether, for that purpose, they use the core platform services of the gatekeeper »
Apple estimait ainsi que le terme ne s’appliquait qu’à la communication et la promotion. Mais la Commission, dans sa décision détaillée (dont le document n’est plus en ligne, sans que l’on sache pourquoi), expliquait au contraire que la virgule rendait « gratuitement » distributif et que le terme s’appliquait tout ce qui venait ensuite, y compris « conclure des contrats ».
Quoi qu’il en soit, la firme américaine ne compte rien lâcher. Elle est tenue d’appliquer les changements réclamés dans deux semaines, sous peine d’une nouvelle condamnation. L’appel devrait bien avoir lieu, mais aucune date n’a été communiquée pour l’instant.
Auteur : Vincent Hermann
Aller à la source