Décryptage technologique

Avenir énergétique de la France : le texte du gouvernement est-il à la hauteur des enjeux ?

Que penser de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) dévoilée en mars 2025 ? Pour l’Académie des sciences, qui a livré un avis sur la question, le texte souffre de plusieurs incohérences. En misant sur la surproduction, une telle politique pourrait entraîner une volatilité accrue des prix de l’électricité, accélérer la dégradation des capacités nucléaires, en cas de sous-utilisation, et enfin affecter la stabilité des réseaux électriques sur le territoire.


C’était un texte attendu de longue date. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui doit fixer les objectifs de la politique énergétique nationale à l’horizon 2035, a été rendue publique en mars 2025. Il s’agit d’une version révisée, faisant suite à une première version soumise à la consultation publique organisée à la fin de l’année 2024.

Ce document se donne notamment l’ambition de transformer notre système énergétique pour réduire sa dépendance vis-à-vis des ressources carbonées fossiles tout en garantissant la sécurité d’approvisionnement. Est-il à la hauteur des enjeux climatiques et énergétiques ?

Après avoir procédé à son analyse rigoureuse, l’Académie des sciences a récemment diffusé un avis sur cette nouvelle PPE assorti de recommandations. Nous en livrons ici les principaux messages.

Nucléaire et barrages, un bon point de départ

Commençons par rappeler quelques spécificités du mix énergétique français. L’électricité constitue 26 % de la consommation d’énergie totale des Français. Comme l’a montré le dernier bilan électrique de RTE, l’intensité carbone de notre production électrique, soit 21,3 g équivalent CO2 par kilowatt-heure (kWh) en 2024, est l’une des plus faibles du monde.

Cette production remarquablement décarbonée, nous la devons à des choix de politique énergétique anciens, dictés notamment par une exigence de souveraineté énergétique. Ce sont eux qui ont doté la France d’un parc nucléaire et de barrages hydrauliques. Bas carbone et pilotables, ces infrastructures fournissent plus de 80 % de notre électricité.

Avenir énergétique de la France : le texte du gouvernement est-il à la hauteur des enjeux ?
Le barrage de Monteynard en Isère.
David Monniaux/Wikipedia, CC BY-SA

Depuis, ces sources historiques ont été complétées par des productions éoliennes et solaires, ce qui conduit à une part de la production d’électricité d’origine renouvelable qui atteignait 28 % en 2024. Même s’il s’agit d’un excellent point de départ, ce n’est pas le point d’arrivée d’une trajectoire de politique climatique.

Une telle trajectoire doit viser à diminuer notre dépendance vis-à-vis des ressources fossiles. Elles représentent aujourd’hui 58 % de notre consommation d’énergie finale et nous coûtent chaque année en moyenne environ 60 milliards d’euros.




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Électrification et défossilisation, un défi à court terme

Nous consommons du pétrole, du gaz et du charbon pour les transports, le chauffage et l’industrie. Il faut bien comprendre qu’il n’est pas possible, même en diminuant notre consommation totale, de remplacer complètement et à court terme ces sources, même si on peut espérer y substituer – en partie – des combustibles alternatifs renouvelables (en grande partie issus de la biomasse : bois, biogaz, biocarburants…), comme le soulignait un autre avis de l’Académie des sciences en janvier 2024.

Dans ces conditions, la seule issue réside dans l’électrification de plusieurs secteurs. D’abord celui des transports, au travers des véhicules électriques, mais également de l’habitat, en déployant davantage de pompes à chaleur, et enfin dans l’industrie, en y développant l’hydrogène vert et l’acier vert et les fours électriques. Ceci constitue donc aujourd’hui un axe clé de toute politique énergétique, en France, en Europe et dans le monde.

En parallèle, il est nécessaire de développer les politiques de sobriété énergétique. Il s’agit d’optimiser les dépenses énergétiques industrielles, les rendements des convertisseurs d’énergie, d’améliorer l’isolation des bâtiments et d’alléger les transports au sol et aériens. C’est ce double effort de sobriété énergétique et d’électrification de notre économie qui nous permettra de remplir nos objectifs de sortie progressive des énergies fossiles.

Évidemment, une telle augmentation à venir de la consommation électrique, tant absolue que relative, doit être assurée par augmentation de la production d’électricité, toujours bas carbone. Mais il y a quelques règles à respecter de façon rigoureuse.

La plus importante sans doute est que, dans un monde sans capacités de stockage d’électricité à grande échelle, comme c’est le cas aujourd’hui, il faut disposer d’un socle significatif de capacités de production à la fois pilotables (dont le niveau de production peut être modulé en fonction de la demande)
et dotées de mécanismes d’inertie suffisants(fournis par des volants d’inertie, qui aident à stabiliser le réseau après une interruption de la production. Cela tient à la capacité des rotors à continuer pendant un certain temps à tourner à la bonne fréquence et à convertir l’énergie cinétique de rotation en électricité.)

Aujourd’hui, ces mécanismes permettent le meilleur contrôle de la fréquence des réseaux électriques, en particulier en sortie de centrales thermiques et nucléaires.

Il faut donc limiter la part des sources d’énergie intermittentes, sous peine d’instabilités. Ou en tout cas, ne l’accroître qu’à un rythme permettant le développement de moyens de stockage électrique en complément, pour que ces ressources soient pilotables et sûres pour la stabilité du réseau électrique.


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En 2021, une étude conjointe de RTE et de l’AIE identifiait les conditions permettant d’intégrer davantage de sources d’énergies intermittentes au mix électrique : la disponibilité de capacités pilotables pour assurer à tout moment une puissance au moins égale à la puissance demandées (éventuellement à l’aide de réserves opérationnelles), le renforcement des réseaux électriques et enfin la disponibilité de capacités de stockage à toutes les échelles de temps. Aujourd’hui, aucune n’est satisfaite.

Dans ce contexte, une course non maîtrisée à l’installation de capacités intermittentes pourrait conduire à des difficultés croissantes de contrôle de la stabilité du système électrique.




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Les problèmes pointés par l’Académie des sciences

Dans son avis sur le texte final de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), proposé par le gouvernement en mars 2025, l’Académie des sciences a donc sonné l’alerte. D’une certaine façon, elle rejoint l’avis public du haut-commissaire à l’énergie atomique, rendu public un mois plus tôt.

Si l’Académie se félicite de voir enfin disparaître de la politique énergétique française la perspective de la fermeture de réacteurs nucléaires en parfait état de fonctionnement, elle s’étonne de voir, pour l’horizon 2035, une addition massive de production électrique – de l’ordre de 200 TWh – à une production qui atteint déjà 540 TWh.

Le premier problème, c’est que cet objectif de production s’appuie sur une hypothèse d’augmentation équivalente de la consommation électrique.

Or, cette hypothèse ne prend pas en compte le fait bien établi, comme le montre le graphe ci-dessous, que, contrairement aux espoirs d’électrification de la société, la consommation électrique de la France diminue globalement depuis 2017. La tendance est la même dans les autres grands pays européens. Cette consommation atteignait 449 TWh en 2024, et rien n’indique un renversement fulgurant à venir de cette tendance pour les prochaines années.

Évolution de la consommation électrique en France.
RTE, Fourni par l’auteur

Cette baisse de la consommation tient à plusieurs facteurs :

  • le premier est l’effort de sobriété que s’imposent les ménages et les secteurs industriels, confrontés à un prix de l’électricité excessif ;

  • le deuxième est lié à un retour de la désindustrialisation, qui conduit à une baisse de la consommation d’électricité de l’industrie ;

  • le troisième tient à la difficulté, économique mais aussi technologique, que pose l’électrification des usages. Le déploiement des voitures électriques ne progresse que lentement, l’hydrogène issu de l’électrolyse de l’eau est toujours trop inefficace en termes de rendements et trop cher, les e-carburants ne sont pas accessibles à des coûts raisonnables, le secteur sidérurgique est en grande difficulté et a mis en pause les projets de production d’acier vert (produit par hydrogénation ou électrolyse des oxydes de fer)…

Si une certaine surcapacité a des vertus, notamment car elle permet d’exporter de l’électricité – comme nous l’avons fait à hauteur de 100 TWh en 2024 pour une facture de 5 milliards d’euros, rien ne justifie d’aller beaucoup plus loin. Une surcapacité excessive conduirait par ailleurs à une gestion plus contrainte de l’équilibre entre l’offre et la demande. De plus, une telle sous-utilisation des équipements contribuerait à augmenter les coûts de production au kWh.

L’Académie des sciences soulève dans son avis un second problème posé par le texte de la PPE3. Celui-ci tient au fait que l’énergie additionnelle visée à l’horizon 2035 sera exclusivement fournie par des énergies renouvelables variables et non pilotables : l’éolien pour une centaine de TWh et le solaire pour une centaine de TWh également.

On comprend bien que l’enjeu est de permettre à la France de montrer à la Commission européenne qu’elle respecte les engagements communs de construire un système électrique reposant à 42,5 % sur des énergies renouvelables.

Mais atteindre un tel niveau sous des délais si courts aura plusieurs conséquences délétères.

  • Tout d’abord, une volatilité accrue des prix de l’électricité, avec des périodes de plus en plus fréquentes de prix très élevés – ou à l’inverse, de prix négatifs. Cette dernière situation survient, sur les marchés de gros, lorsque l’offre excède la demande dans des proportions trop importantes, ce qui oblige les producteurs à payer pour que leur électricité soit consommée, souvent pour éviter d’arrêter et de redémarrer des centrales, une procédure complexe et coûteuse.

  • La nécessité, pour assurer l’équilibre entre offre et demande, d’une modulation excessive de la production nucléaire. Ceci entraînera des contraintes sur la gestion du parc électronucléaire et un sous-emploi de ce parc, ce qui est coûteux au plan économique et induit des risques de dégradation des réacteurs.

  • Enfin, cela entraînera des tensions sur les réseaux électriques, qu’il faudra adapter. La variabilité de la production d’ENR est source d’incertitudes quant aux adaptations à mettre en place. Ceci ajoutera des coûts supplémentaires considérables au fonctionnement du système énergétique.

Ne pas « mettre la charrue avant les bœufs »

Construire une politique énergétique rationnelle nécessite une réflexion à long terme qui doit intégrer non seulement la production d’électricité mais également son stockage, son transport, sa distribution et sa consommation pour les différents usages.

Une telle politique doit donc, pour éviter des surproductions excessives très coûteuses, mieux estimer les besoins réels des consommateurs et les contraintes nouvelles en termes de réseaux et de stockage électriques. Ceci doit passer par des évaluations rigoureuses.

Pour cela, elle doit également mieux prendre en compte les difficultés objectives de l’électrification de la société et admettre la nécessité de mener des recherches pour la réussir, sans se voiler la face sur les échelles de temps nécessaires.

Il importe de ne pas « mettre la charrue avant les bœufs ». Assurons-nous d’abord de la pérennité de notre parc électronucléaire, qui est à la fois décarboné et pilotable. Et ne développons les énergies renouvelables (qui peuvent être, en effet, déployées plus rapidement) qu’à la mesure des besoins réels de consommation, au rythme de notre capacité à moderniser le réseau électrique pour en assurer la stabilité et à assurer l’équilibre entre sources variables et sources pilotables. Ceci devra d’ailleurs être complété par des capacités de stockage qui restent à développer.


Le colloque « Les grands enjeux de l’énergie », co-organisé par l’Académie des sciences et l’Académie des technologies, se tiendra les 20 et 21 juin 2025 en partenariat avec The Conversation et Le Point. Inscription gratuite en ligne.

The Conversation

Marc Fontecave est membre du comité de prospective en énergie de l'Académie des sciences. Il est également l'auteur de l'avis de l'Académie des sciences sur la PPE3.

Yves Brechet est membre du comité de prospective en énergie de l'Académie des sciences.

Auteur : Marc Fontecave, Professeur, titulaire de la chaire de chimie des processus biologiques au Collège de France, membre de l’Académie des sciences, Collège de France

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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