
Bien que leur rôle soit moins connu que celui des neurones, les astrocytes sont des cellules essentielles au fonctionnement du cerveau. Une nouvelle étude, chez la souris, parue dans la revue Nature communications révèle le rôle des astrocytes du striatum, une structure du circuit de la récompense, dans le contexte de l’obésité induite par une alimentation enrichie en graisses et en sucres. Ces cellules pourraient représenter une cible intéressante pour le traitement des maladies métaboliques.
Le cerveau est constitué de milliards de neurones. Ce sont des cellules excitables, c’est-à-dire qu’elles peuvent générer des potentiels d’actions et transmettre des informations aux autres neurones sous forme de courant électrique. Cependant, les neurones ne constituent que la moitié des cellules du cerveau, l’autre moitié étant constitué de cellules gliales, parmi lesquelles on trouve les astrocytes. Ces derniers sont impliqués dans de nombreuses pathologies du cerveau telles que les maladies neurodégénératives (la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson), les troubles psychiatriques ou l’épilepsie.
Contrairement aux neurones, les astrocytes ne peuvent pas générer de courants électriques, mais présentent des variations de leur concentration en calcium intracellulaire. Le calcium intracellulaire est impliqué dans de nombreux processus liés au fonctionnement des cellules et aurait un rôle indispensable pour la physiologie des astrocytes. Le fait que les astrocytes soient silencieux pour les méthodes classiques d’enregistrement de l’activité cérébrale telles que l’électroencéphalogramme (ECG) a rendu leur étude beaucoup plus lente et difficile. Par conséquent, leur rôle a été largement sous-estimé et nous sommes encore loin d’avoir élucidé la manière dont ils communiquent avec les neurones.
C’est avec le développement d’outils d’imagerie ciblant des acteurs cellulaires spécifiques que leur rôle dans les processus cérébraux peut enfin être élucidé. Les résultats que nous avons obtenus permettent de mettre en évidence plusieurs caractéristiques de l’activité astrocytaire dans le contexte de l’obésité induite par l’alimentation enrichie en graisse et en sucre.
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Quand le corps n’équilibre plus la balance énergétique
L’obésité est un problème majeur de santé publique, affectant 17 % de la population française et accroissant le risque relatif d’un ensemble de pathologies : par exemple, les maladies cardiaques, l’hypertension, le diabète de type 2, des maladies du foie et certaines formes de cancer. Cette pathologie est complexe et implique différents facteurs dont la contribution au développement de l’obésité varie considérablement d’un individu à l’autre : ces facteurs sont génétiques, environnementaux (comme le stress ou la qualité du sommeil) ou liés aux habitudes alimentaires. Une alimentation enrichie en graisses et en sucres est définitivement une coupable identifiée.
Notre corps maintient un état d’équilibre appelé homéostasie, grâce à un mécanisme de régulation précis qui équilibre les apports nutritionnels et les dépenses énergétiques. Cet équilibre de la balance énergétique est réalisé grâce à des circuits cérébraux bien identifiés, impliquant notamment l’hypothalamus. Toutefois, un autre moteur puissant de l’alimentation est l’aspect hédonique de la nourriture, c’est-à-dire le plaisir que nous trouvons à consommer des aliments appétissants, au-delà des besoins énergétiques du corps. Cette motivation à manger pour le plaisir repose notamment sur la libération de dopamine au niveau d’une région cérébrale appelée striatum.
Il a été démontré que l’obésité induite par l’alimentation était associée à des altérations de la transmission de la dopamine, à des dérèglements alimentaires de type addictif/compulsif ainsi qu’à une altération de la flexibilité cognitive, c’est-à-dire la capacité à s’adapter facilement à de nouvelles situations.
Les astrocytes, des cellules protectrices des neurones
Si l’implication des neurones (qui libèrent ou répondent à la dopamine) a été beaucoup étudiée dans le cadre de ces processus physiologiques et physiopathologiques, le rôle des astrocytes a longtemps été négligé.
L’excès de nutriments favorise des mécanismes inflammatoires dans le cerveau qui s’accompagnent de la libération de substances susceptibles de modifier le fonctionnement des neurones et des astrocytes. Or les astrocytes occupent une place stratégique dans le cerveau, à l’interface entre les vaisseaux sanguins et les neurones, ces cellules pivots permettraient de contrôler aussi bien l’information neuronale que l’apport énergétique. En condition d’excès nutritionnel dans la circulation, elles pourraient constituer un premier rempart qui protégerait les neurones des altérations induites par les éléments circulant dans le sang.

Montalban et al./Nature Communication, Fourni par l’auteur
Dans notre travail, réalisé chez la souris, nous montrons tout d’abord que les régimes gras affectent la structure et la fonction des astrocytes du striatum.
Nous avions déjà caractérisé de telles modifications dans l’hypothalamus, la région impliquée dans l’initiation de la prise alimentaire et qui est en contact étroit avec le compartiment sanguin, mais elles étaient très peu caractérisées dans le striatum. Nous montrons, d’une part, une réactivité des astrocytes, qui s’exprime par des modifications morphologiques, et, d’autre part, des changements dans la dynamique des flux calciques, susceptibles d’altérer leur communication avec les neurones de la structure.
Un impact sur la flexibilité cognitive et le métabolisme énergétique
Cette observation faite, nous avons décidé de manipuler directement les astrocytes par une approche permettant de forcer une cascade de signalisation dans les cellules en insérant spécifiquement dans les astrocytes un récepteur synthétique jouant le rôle d’interrupteur. Cette approche permet en particulier d’induire une vague de calcium (un second messager clé au niveau intracellulaire) afin d’en observer les conséquences.
Que se passe-t-il si l’on augmente artificiellement la quantité de calcium et que l’on « active » les astrocytes ? Est-ce que cela a un impact sur l’activité neuronale et le comportement des souris ?
L’activation de cet interrupteur moléculaire et l’afflux de calcium cohérent dans la population d’astrocytes ciblée a effectivement eu pour conséquence de modifier la cinétique et la réponse des neurones avoisinants démontrant ainsi, pour la première fois, que la manipulation des astrocytes pouvait interférer avec les réseaux neuronaux.
Nous avons appliqué cette technique en comparant des souris nourries avec un régime standard avec des souris rendues obèses par un régime enrichi en graisses et en sucres. Les souris sous régime enrichi présentent des défauts cognitifs qui s’expriment par une difficulté à s’adapter à une nouvelle situation. Dans notre cas, les souris devaient apprendre qu’une récompense était située dans le bras gauche d’un labyrinthe, puis nous avons examiné comment elles s’adaptaient si nous changions le bras récompensé.
Dans ce contexte, les souris nourries avec un régime enrichi avaient du mal à s’adapter, or l’activation forcée des astrocytes du striatum dorsal a permis aux animaux de réapprendre facilement la tâche, et ce, en absence de perte de poids. La manipulation des astrocytes du striatum a ainsi permis de corriger l’altération cognitive induite par le régime riche.
Si le striatum est bien connu pour son rôle dans les processus cognitifs et motivationnels, cette structure cérébrale n’est pas traditionnellement associée à la régulation du métabolisme corporel. Notre étude apporte un élément supplémentaire dans ce sens. En effet, nous montrons que la manipulation in vivo des astrocytes dans le striatum exerce un contrôle sur le métabolisme énergétique de l’animal en affectant particulièrement le choix des substrats métabolique (lipides ou sucres) utilisés par la souris pour assurer son métabolisme. Après activation des astrocytes, elles utilisent plus de lipides.
Ce travail révèle un rôle nouveau pour les astrocytes dans les circuits de la récompense. Ils participent en effet au contrôle des fonctions cognitives et nos résultats illustrent pour la première fois leur capacité à restaurer une fonction cognitive dans un contexte obésogène. D’autre part, ce travail établit un lien direct entre les astrocytes du striatum et le contrôle du métabolisme énergétique global de l’animal.
Une approche prometteuse consisterait à développer des stratégies thérapeutiques ciblant spécifiquement les astrocytes, plutôt que les neurones, au sein du système de la récompense, dans le traitement de l’obésité et, plus largement, des pathologies métaboliques.
Serge Luquet a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) ANR-19-CE37-0020-02, ANR-20-CE14-0020, and ANR-20-CE14-0025-01, la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) FRM Project #EQU202003010155.
Claire Martin et Enrica Montalban ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
Auteur : Enrica Montalban, Post-doctorante, Inrae
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