Ces endroits où des animaux sauvages cohabitent avec les humains
Dans un monde où l’humain étend toujours plus ses frontières, certaines communautés ont choisi une autre voie : celle de la cohabitation.
Ni domptés, ni relégués à la marge, les animaux y occupent une place singulière. En voici quelques exemples.
Les hyènes urbaines du village de Harar
Dans la vieille ville fortifiée de Harar, en Éthiopie, des hyènes tachetées circulent la nuit entre les habitations dans une étonnante harmonie. Au lieu de les craindre ou de les chasser, les Harari ont depuis longtemps choisi de coexister pacifiquement avec ces charognards.
La légende locale raconte qu’il y a plusieurs siècles, lors d’une famine, les hyènes affamées s’attaquaient aux malades et aux infirmes. Les sages de la ville auraient alors conclu un pacte : offrir régulièrement de la nourriture aux hyènes afin qu’elles arrêtent de s’attaquer aux humains. Depuis, les habitants laissent les hyènes entrer la nuit par des « portesportes à hyènes » aménagées dans les remparts et les nourrissent parfois même à la main et les appellent par des prénoms. « C‘est une histoire de cohabitation pacifique, la ville est structurée pour les accueillir », explique un chercheur local, soulignant dans une interview pour The Guardian que la présence des hyènes à Harar est non seulement tolérée mais encouragée.
Les meutes de hyènes tachetées n’hésitent pas à pénétrer dans les rues en pleine nuit. © Zapping Sauvage
En retour, ces animaux jouent un rôle de « éboueurs » naturels : ils nettoient les rues des déchets organiques et des carcasses, contribuant à l’hygiène de la cité. La confiance est telle qu’aucune attaque grave sur des humains n’a été rapportée depuis deux siècles.
Le pacte de paix entre les lions d’Asie et les Maldharis
Le parc de Gir, en Inde, abrite les derniers lions d’Asie sauvages, Panthera leo persicaPanthera leo persica. Ces lions partagent leur habitat avec environ 8 000 Maldharis, un peuple de pasteurs semi-nomades.
Depuis des générations, ils vivent au milieu des lions et élèvent buffles, vaches et chèvres et considèrent le lion comme un animal quasi sacré. Cette vision culturelle les pousse à une tolérance rare vis-à-vis du grand fauve. Par exemple, lorsque qu’un lion tue une vache ou une chèvre, les Maldharis l’acceptent comme le cours naturel des choses : « Nous ne nous offusquons pas si les lions chassent notre bétail et nous refusons de quitter la forêt », témoigne l’un d’eux.
Gir in Gujarat, #India is perhaps the only forest in the world where lions and cattle herders coexist. One cannot imagine Gir without lions, similarly lions also can not be imagined without the presence of Maldharis. Lions and Maldharis are incomplete without each other.… pic.twitter.com/rTvStvbKM7
— Parimal Nathwani (@mpparimal) December 17, 2023
Ils cohabitent en bonne intelligenceintelligence : les lions ne considèrent pas l’humain comme une proie et ne l’attaquent quasiment jamais, et les Maldharis, majoritairement végétariens, ne chassent pas le gibier sauvage, réduisant ainsi la compétition pour la nourriture. Mieux, ils contribuent à la protection des fauves en signalant aux gardes du parc les animaux malades ou blessés et en évitant de dégrader l’habitat.
Cette association pacifique a porté ses fruits : alors qu’au début du XXe siècle les lions d’Asie étaient au bord de l’extinction, leur population s’est reconstituée de manière spectaculaire à Gir, en partie grâce à la bienveillance de la communauté locale.
Les cerfs sika de Nara
Dans la ville de Nara au Japon, des centaines de cerfs sika, Cervus nipponCervus nippon, semi-sauvages déambulent librement dans le parc municipal et jusque dans les rues avoisinantes. Les cerfs se mêlent aux passants, n’hésitant pas à quémander de la nourriture spéciale fournie aux touristes et traversent les rues à leur guise, la circulation s’arrêtant pour les laisser passer.
Considérés comme les messagers des dieux dans la tradition locale shintō, ces cervidés sont protégés et vénérés depuis des siècles. Autrefois, les tuer était passible de la peine de mort. Aujourd’hui encore, ils ont le statut de « trésor naturel » et bénéficient d’une grande tolérance de la part des habitants.
#Japon ????????
Dans le parc de Nara, des milliers de touristes viennent ordinairement côtoyer les cerfs Sika qui y vivent en liberté, leur offrent des galettes de riz. En l’absence de ceux-ci, les cerfs n’ont eu d’autre choix que de s’aventurer en ville.pic.twitter.com/LL39TjuWgY— Asie Histoire (@AsieHistoire) May 8, 2020
Cette cohabitation insolite attire plus d’un million de touristes chaque année. Bien qu’habitués aux humains, les cerfs de Nara conservent un comportement globalement naturel : ils vivent en liberté, se nourrissent principalement d’herbe, et ne sont ni dressés ni tenus en captivité.
Ce respect mutuel a permis aux cerfs et aux humains de partager l’espace urbain sans que l’un n’empiète excessivement sur l’autre. Quelques incidents ont quand même eu lieu comme des morsures sur des touristes imprudents ou des plantes broutées, mais cela ne fait que rappeler que ce sont bien des animaux sauvages et qu’il faut être prudents.
Les manchots du Cap de Boulders Beach
Dans la banlieue du Cap en Afrique du Sud, la petite plage de Boulders Beach est le théâtre d’une cohabitation rare entre des oiseaux marins et l’espèce humaine. Une colonie de manchots du Cap, Spheniscus demersusSpheniscus demersus, y vit et se reproduit en liberté sur le rivage, au milieu d’un quartier résidentiel.
Les premiers couples de manchots se sont installés là dans les années 1980, profitant de la disparition des prédateurs terrestres et de l’accueil bienveillant de la communauté locale. Aujourd’hui, on compte des milliers de ces manchots, espèce par ailleurs menacée, se prélassant sur le sable et pataugeant dans les eaux turquoise de la baie, tandis que les habitants et visiteurs les observent.
Penguins! African Penguins on the beach. Soaking up the sun and swimming in the ocean at Boulders Beach in Cape Town, South Africa. @MPRnews pic.twitter.com/S9m6RBY8bq
— Angela Davis (@AngelaDavisMPR) January 25, 2023
Pour minimiser les dérangements, la zone a été intégrée à une aire protégée et des aménagements légers ont été réalisés : passerellespasserelles en boisbois et sentiers balisés permettent aux touristes d’admirer les manchots sans piétiner leurs nids ni altérer leur comportement.
De leur côté, les riverains de Simon’s Town ont appris à partager leur cadre de vie avec ces oiseaux : panneaux de signalisation routière invitant à ralentir pour les manchots traversant la route, clôtures pour éviter qu’ils ne se perdent dans les jardins, interdiction de les nourrir pour qu’ils conservent leur régime naturel… Cette coexistence pacifique est devenue un atout éducatif et touristique pour la région.
Auteur : Angèle Ingrand, Journaliste scientifique
Aller à la source