Décryptage technologique

Climat : Pourquoi l’ouverture des données scientifiques est cruciale pour nos littoraux

Dans les zones côtières – où les pressions sont fortes (érosion, submersion), les risques élevés (la majorité de la population mondiale y vit) et les enjeux de durabilité majeurs (ils abritent une biodiversité riche et unique remplissant de nombreuses fonctions essentielles à la vie) –, les problèmes concernent souvent un grand nombre d’acteurs aux objectifs variés. Leur permettre d’accéder à un socle commun de connaissances est impératif pour trouver des solutions efficaces pour tous et des compromis justes.

À l’heure de la Conférence des Nations unies sur l’océan, qui a lieu du 9 au 15 juin 2025 à Nice, les efforts en faveur de l’ouverture des données en France et en Europe sont d’autant plus urgents que les États-Unis, traditionnellement moteurs de la recherche mondiale, retirent de la circulation, sur exigence de l’administration Trump, des données importantes. Dans un monde confronté à des défis cruciaux, tels que l’adaptation au changement climatique ou la montée des extrémismes politiques, l’ouverture du savoir est une condition sine qua non de la coopération, du progrès et de la démocratie. La démocratisation de la science passe en premier lieu par l’accès aux connaissances, et il est aujourd’hui menacé.


La connaissance et sa diffusion sans limites sont fondamentales pour agir en faveur de la durabilité et la résilience de nos socioécosystèmes. Sans connaissances objectives, les préjugés prennent le pas sur la raison et mènent à des choix de développement généralement inefficaces, voire contre-productifs, ou injustes. Ce duel entre savoir et croyance, progressisme et obscurantisme, existe depuis longtemps mais il a certainement pris une nouvelle dimension avec l’essor d’internet et autres nouvelles technologies de télécommunication, et plus récemment de l’intelligence artificielle. Ces outils ont accéléré de manière exponentielle la production et la propagation aussi bien de la connaissance que de la désinformation. Et le combat est acharné.

Pour exemple, les récentes décisions de l’administration du président des États-Unis Donald Trump, qui en quelques mois a mis à mal la recherche américaine et par ricochet, la recherche mondiale, en coupant les financements sur des sujets jugés « sensibles », comme le changement climatique ou l’étude des genres. En particulier, des données associées à ces problématiques sont retirées progressivement de la circulation, notamment sur l’océan, et traditionnellement hébergées par les agences fédérales comme la NOAA (pour l’océan et l’atmosphère) et la NASA (pour l’espace).




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Mais en termes d’accès à la connaissance, les États-Unis de Trump ne sont pas une exception, ni même les pays gouvernés par des régimes extrêmes. Même en France, de nombreuses affaires (sang contaminé, Mediator, chlordécone, tout récemment Nestlé, etc.) montrent que tout pouvoir peut être tenté, pour diverses raisons, de dissimuler des informations cruciales pour le bien commun.

Au-delà des scandales de désinformation, l’absence ou l’insuffisance d’information empêche toute prise de décision rationnelle et limite notre capacité à réduire notre impact sur les écosystèmes. Il est par exemple difficile de gérer durablement les pêcheries sans données sur l’évaluation des stocks de poissons et leur possible évolution avec le climat.

Dans ce contexte, la recherche scientifique a un rôle clé à jouer en tant que productrice de connaissances démontrées et objectives. Encore faut-il qu’elle adopte les bonnes pratiques pour rendre ces savoirs accessibles et utilisables.

Rendre les savoirs accessibles et réutilisables

Le mouvement de la science ouverte, initié au début des années 1990 par Paul Ginsparg et son archive ouverte arXiv, apparaît alors comme essentiel pour disséminer la connaissance et replacer la raison au cœur du fonctionnement de nos sociétés.

La science ouverte repose sur une idée simple : les connaissances issues de la recherche doivent être accessibles à tous, qu’il s’agisse de publications, données, outils, modèles ou méthodes. Cette transformation des pratiques scientifiques est une révolution silencieuse qui redéfinit les relations entre chercheurs, citoyens, entreprises et décideurs publics.




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En pratique, où en est-on aujourd’hui sur le terrain ?

Si on suit les plans de cloud européen pour la science ouverte (EOSC) et le Plan national pour la science ouverte, l’ouverture des données issues de la recherche financée sur fonds publics est obligatoire depuis 2016.

Pourtant, en 2023, seuls 25 % des publications françaises mentionnant des données produites signalent leur partage, 19 % pour les codes et logiciels. Plus généralement, 34 % des chercheurs ne publient jamais leurs données.

Si cette tendance est en légère hausse, une bonne partie des données produites dans les universités ne sont jamais archivées correctement et, trop souvent, dorment dans des disques durs.

Trop de données de la recherche dorment encore sur les disques durs

La cause ? Un mélange non savant d’obstacles techniques, juridiques, économiques et culturels, à la fois individuels et collectifs. On y retrouve notamment un système d’évaluation de la recherche valorisant davantage les publications que le partage des données, et un mode de fonctionnement compétitif sur projet qui pousse à l’autovalorisation et l’autoprotection, dans le but de s’assurer un emploi pérenne, plutôt qu’à l’ouverture de ses travaux.

Le partage des données a beau être une pratique destinée à favoriser le progrès scientifique collectif, son adoption reste progressive et variable selon les disciplines. Afin d’y remédier, la recherche et les instances qui l’administrent doivent mettre en place de nouveaux mécanismes alignant intérêts individuels et collectifs.


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À titre d’exemple, le projet Urban & Coastal Lab — La Rochelle, initiative de La Rochelle Université, met en lumière ces tensions et opportunités. En grande partie focalisés sur les territoires littoraux, nous mettons en place un outil de gestion mutualisée des données, modèles, méthodes de la recherche, afin de favoriser l’interdisciplinarité et faciliter les collaborations entre chercheurs, ainsi qu’avec d’autres acteurs du territoire comme les collectivités et les citoyens…

Ce travail se heurte toutefois à des contraintes bien réelles et souvent terre à terre : manque de temps, compétences limitées en gestion de données, absence de reconnaissance institutionnelle, ou crainte du plagiat. L’ouverture est souvent perçue comme une charge supplémentaire, rarement valorisée dans la carrière académique.

À cela s’ajoute une asynchronie entre recherche et décision opérationnelles, publiques ou privées : les acteurs ont besoin de réponses immédiates, quand la recherche produit des données sur le temps long.

Ainsi, ce n’est pas simplement le projet, ni seulement ses motivations ou sa conduite, qui révèlent ces tensions et opportunités, mais bien le contexte plus global dans lequel il prend forme.

Ouvrir les données, une question de moyens

Infrastructures informatiques, services en ligne, espaces de stockage, documentations, coûts logistiques, financiers et énergétiques (par exemple pour rendre interopérables des fichiers volumineux), et on en passe — ouvrir la recherche a un coût matériel et financier.

Qui paie pour les serveurs ? Qui maintient les plates-formes ? Et comment garantir la qualité et la lisibilité des données pour qu’elles soient réellement réutilisables ?

Derrière l’acronyme FAIR (Findable, Accessible, Interoperable, Reusable), souvent cité comme donnant les principes fondamentaux de la science ouverte (trouvable, accessible, interopérable, réutilisable), se cache un travail complexe et conséquent d’annotation, de normalisation, de classification et de documentation.

C’est là qu’interviennent des outils comme les plans de gestion de données, devenus obligatoires dans certains appels à projets nationaux ou européens. Ils permettent d’anticiper les questions autour du cycle de vie des données, depuis leur collecte à leur partage en passant par leur formalisation et leur stockage. Cependant, ils sont souvent perçus comme une formalité administrative (pour ne pas dire contrainte), faute de formation et d’accompagnement adaptés, entre autres raisons.

Est-il temps de changer les règles du jeu ?

Plusieurs leviers sont identifiés pour accélérer le mouvement de la science ouverte : modifier les critères d’évaluation de la recherche pour considérer le partage de données comme un indicateur clé de performance scientifique ; développer des formations pour que les chercheurs soient mieux outillés ; former des spécialistes en science ouverte (ingénieurs, analystes, informaticiens, archivistes, etc.) ; financer des infrastructures pérennes de stockage et de diffusion, interopérables entre disciplines ; et surtout, repenser le lien entre science et société, en facilitant l’accès aux données pour les citoyens, les autorités publiques, les collectivités, les ONG, les entreprises, etc. — en somme, tous celles et ceux qui souhaitent en apprendre plus sur le monde.

Les données scientifiques sont certes le fruit des travaux de recherche, mais leur utilité et leurs possibles champs de réutilisation dépassent la sphère académique. Les données issues de financements publics ne doivent pas être considérées comme un bien privé, mais comme un bien commun… sachant qu’elles doivent en même temps être protégées.

À cet effet, ouvrir ses données et les déposer sur des entrepôts ouverts est bien un moyen de les protéger et de se protéger. Cela permet de rendre publique leur origine (le travail des chercheurs est ainsi notoirement reconnu) et de leur associer des licences conditionnant leur utilisation (ce qui empêche leur détournement) et un doi (numéro d’identification unique pour les produits digitaux).

Le changement de paradigme vers la science ouverte doit être porté par les universités, soutenu par les financeurs et impulsé par les chercheurs eux-mêmes. Il s’agit de rendre la science ouverte plus attractive et valorisante.


Cet article a été co-écrit par Benoît Othoniel et Marine Regien, ingénieurs membres de l’équipe du projet.

Climat : Pourquoi l’ouverture des données scientifiques est cruciale pour nos littoraux

Anaïs Schmitt a reçu des financements du MERS (COMP 2023-2025) et soutenu par le département de la Charente Maritime (CD17).
Cet article a été rédigé avec le soutien de l’ensemble de l’équipe du projet UCLR, que nous remercions chaleureusement pour leur engagement et leur collaboration.

Auteur : Anaïs Schmitt, Ingénieur de recherche, cheffe de projet expertise en gestion des données, La Rochelle Université

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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