Comment ce virus du riz a conquis toute l’Afrique

Une nouvelle étude retrace l’évolution du virus de la panachure jaune du riz et explique comment le commerce, les échanges de semences et même la Première Guerre mondiale lui ont permis de se répandre à travers tout le continent africain.
Le virus de la panachure jaune du riz est une menace majeure pour la production rizicole en Afrique. Cette maladie, présente dans plus de 25 pays, peut causer entre 20 % et 80 % de pertes de rendement selon les épidémies. Retracer l’histoire de la dispersion du virus en Afrique permet de comprendre les causes et les modalités de l’émergence de la maladie, aide à mettre en place des stratégies de contrôle et contribue à évaluer les risques de propagation vers d’autres régions du monde. Par une approche multidisciplinaire intégrant données épidémiologiques, virologiques, agronomiques et historiques, nous avons exploré les liens entre l’histoire de la culture du riz en Afrique de l’Est et la propagation de ce virus à large échelle depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Ces travaux sur le RYMV (l’acronyme de son nom anglais : Rice yellow mottle virus) viennent d’être publiés dans la revue scientifique PLoS Pathogens.
Il s’agit de l’aboutissement d’un travail de longue haleine basé sur des collectes de feuilles symptomatiques sur le terrain, parfois difficile d’accès, menées par plusieurs équipes de virologues, co-auteurs de cet article. La détection du virus par diagnostic immunologique en laboratoire puis sa caractérisation par séquençage ont abouti à une collection représentative de 50 génomes entiers et de 335 séquences du gène de la capside virale (la coque protéique qui protège le génome) prélevés entre 1966 et 2020 sur deux millions de kilomètres carrés (Burundi, Éthiopie, Kenya, Malawi, Ouganda, République du Congo, Rwanda, Tanzanie). Une partie de ces échantillons avaient été caractérisée préalablement et conservée dans des herbiers et des congélateurs. C’est une collaboration multilatérale internationale basée sur la mise en commun de tous les résultats qui a abouti à cette étude globale de la phylodynamique du RYMV, c’est-à-dire de la dispersion et de l’évolution des différentes lignées génétiques virales. Les approches bio-informatiques utilisées pour analyser et visualiser les résultats ont nécessité des développements méthodologiques mis au point par plusieurs co-auteurs spécialistes de ces disciplines, et qui sont transposables à tous types de virus. Les résultats obtenus avec les séquences virales partielles ou entières convergent vers un même scénario. C’est en intégrant les connaissances des agronomes et des historiens, également co-auteurs de cet article que nous avons pu interpréter cette « remontée dans le temps ».
Un mode de transmission viral bien particulier
Beaucoup de virus de plantes sont transmis exclusivement par des insectes vecteurs dit piqueurs-suceurs comme les pucerons, qui en se nourrissant sur une plante malade, acquièrent le virus puis les réinjectent dans des plantes saines. Le RYMV, lui, est transmis par de multiples moyens :
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grâce à l’intervention de coléoptères, insectes broyeurs qui n’ont pas de système d’injection de salive mais qui peuvent tout de même se contaminer mécaniquement en s’alimentant et qui se déplacent à courte distance ;
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par des vaches qui en broutant dans les champs de riz produisent des déjections dans lesquelles le virus reste infectieux ;
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de manière passive par contact des feuilles ou des racines de plantes infectées où il se multiplie fortement.
Ces différents modes de transmission et de propagation du RYMV ne sont pas efficaces pour la transmission à longue distance. Or, le virus est présent sur tout le continent africain. C’est ce paradoxe que nous avons cherché à résoudre.
Une histoire complexe
Le RYMV est apparu au milieu du XIXe siècle dans l’Eastern Arc Montains en Tanzanie, où la riziculture sur brûlis était pratiquée. Plusieurs contaminations du riz cultivé à partir de graminées sauvages infectées ont eu lieu, aboutissant à l’émergence des trois lignées S4, S5 et S6 du virus. Le RYMV a ensuite été rapidement introduit dans la grande vallée rizicole voisine de Kilombero et dans la région de Morogoro. Les graines récoltées, bien qu’indemnes de virus, sont contaminées par des débris de plantes, elles-mêmes infectées, qui subsistent dans les sacs de riz après le battage et le vannage du riz. Le RYMV, très stable, est en mesure de subsister ainsi pendant plusieurs années. La dispersion à longue distance du RYMV en Afrique de l’Est a été marquée par trois évènements majeurs, cohérents avec : l’introduction du riz le long des routes de commerce caravanier des côtes de l’Océan Indien en direction du lac Victoria dans la seconde moitié du XIXe siècle (I), avec les échanges de semences du lac Victoria vers le nord de l’Éthiopie dans la seconde moitié du XXe siècle (II) et, de manière inattendue, avec le transport du riz à la fin de la Première Guerre mondiale comme aliment de base des troupes, de la vallée du Kilombero vers le sud du lac Malawi (III). Les échanges de semences expliquent également la dispersion du virus de l’Afrique de l’Est vers l’Afrique de l’Ouest à la fin du XIXe siècle, et vers Madagascar à la fin du XXe siècle. En somme, la dispersion du RYMV est associée à un large spectre d’activités humaines, certaines insoupçonnées. Par conséquent, le RYMV, bien que non transmis directement par la semence ou par des insectes vecteurs très mobiles comme beaucoup de virus de plantes, a une grande capacité de dissémination. Ses paramètres de dispersion, estimés à partir de nos reconstructions dites phylogéographiques, sont similaires à ceux des virus zoonotiques très mobiles, des virus infectant les animaux qui peuvent créer des épidémies chez l’homme comme la rage.

Fourni par l’auteur
En comparant la dispersion des trois lignées majeures présentes en Afrique de l’Est grâce aux nouveaux outils bio-informatiques développés dans cette étude, nous avons observé des dynamiques virales très contrastées. La lignée S4 a connu le plus grand succès épidémique avec une propagation précoce, rapide et généralisée. Elle a été découverte au sud du lac Victoria dans la seconde moitié du XIXe siècle puis a circulé autour du lac Victoria avant de se disperser vers le nord en Éthiopie, puis vers le sud au Malawi et enfin vers l’ouest en République du Congo, au Rwanda et au Burundi. La lignée S6, au contraire, est restée confinée à la vallée du Kilombero et dans la région de Morogoro pendant plusieurs décennies. Au cours des dernières décennies seulement, elle s’est propagée vers l’est de la Tanzanie, le sud-ouest du Kenya et les îles de Zanzibar et de Pemba. De façon inexpliquée, la lignée S5 est restée confinée dans la vallée du Kilombero et dans la région de Morogoro. Au cours des dernières décennies, on note un ralentissement des taux de dispersion de la plupart des souches virales issues des lignées S4 et S6 que nous n’expliquons pas encore.
En conclusion, notre étude multi-partenariale et multidisciplinaire met en évidence l’importance de la transmission humaine d’agents pathogènes de plantes et souligne le risque de transmission du RYMV, ainsi que celle d’autres phytovirus d’Afrique, vers d’autres continents. Nous étudions maintenant la dispersion et l’évolution du RYMV en Afrique de l’Ouest, en particulier de celle de lignées virales particulièrement préoccupantes car capables de se multiplier sur les variétés de riz, considérées résistantes au virus, compromettant ainsi les stratégies de contrôle.
Eugénie Hebrard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Auteur : Eugénie Hebrard, Directrice de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)
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