Comment le changement climatique perturbe la recharge des eaux souterraines
Alors qu’une large part de la France est placée en vigilance canicule ce mercredi 25 juin, se pose la question de l’influence du changement climatique sur le cycle de l’eau, entre modification du régime des pluies et augmentation de la fréquence des événements extrêmes (sécheresses et inondations). Qu’en est-il des eaux souterraines ? Ces dernières, logées dans les profondeurs du sous-sol, ne sont pas à l’abri de ces changements qui touchent en premier lieu l’atmosphère et la surface de la Terre.
Les eaux superficielles et eaux souterraines sont en lien étroit. Ces dernières interagissent avec la surface, dont elles dépendent largement. Ainsi, les nappes d’eau souterraine sont renouvelées d’une part par la recharge naturelle diffuse apportée par la pluie et la fonte de la neige sur les sols, d’autre part par la recharge naturelle indirecte qu’apportent les infiltrations localisées à partir de rivières ou de lacs.
Quel que soit le processus de recharge naturelle concerné, les eaux souterraines sont donc fortement dépendantes du climat.
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D’abord de façon directe, à travers les modifications de ce dernier, en fonction du bilan hydrique à la surface de la Terre.
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Mais également de façon indirecte, via les changements dans les prélèvements d’eau souterraine nécessaires pour répondre aux différents usages de l’eau impactés par un climat plus chaud (irrigation notamment).
On distingue ainsi des effets directs qui s’imposent à nous, et des effets indirects qui résultent de notre réaction à cette nouvelle situation climatique. Le projet de recherche Explore2 a récemment analysé les conséquences du changement climatique sur la recharge des aquifères en France métropolitaine et a permis un certain nombre de constats.
Évapotranspiration accrue et précipitations plus intenses
Le climat et la couverture végétale contrôlent en grande partie les précipitations et l’évapotranspiration, tandis que le sol et la géologie sous-jacente déterminent si le surplus d’eau peut s’infiltrer vers un aquifère sous-jacent ou s’il va plutôt ruisseler vers une rivière.

USGS, Fourni par l’auteur
Dans le détail, l’évolution future de la recharge dépend au premier chef de la modification de la quantité et du régime des pluies.
Or dans le climat futur, on s’attend à une modification de la répartition des précipitations dans le monde, avec une diminution des précipitations de faible intensité et une augmentation de la fréquence des fortes précipitations, en particulier dans les régions tropicales, où plus de la moitié de la population mondiale devrait vivre d’ici à 2050. Phénomène qui s’accompagnera de sécheresses plus longues et plus fréquentes.
Dans un monde qui se réchauffe, l’évapotranspiration a globalement tendance à augmenter, ce qui réduit la quantité d’eau du sol disponible pour l’infiltration et le ruissellement.
Une recharge des aquifères de plus en plus incertaine
Des précipitations moins fréquentes mais plus abondantes pourraient améliorer la part de la recharge des eaux souterraines dans de nombreux environnements semi-arides à arides. Mais lorsque l’intensité des pluies dépasse la capacité des sols à l’infiltration, on observe une augmentation du ruissellement et des débits des rivières. Ces modifications contrastées des taux de recharge provoquent des changements plus ou moins rapides des niveaux d’eau au sein des nappes phréatiques, selon la vitesse de circulation des eaux souterraines.
Des risques d’inondations par remontée de nappe sont associés aux zones où la recharge augmente tandis que des risques de sécheresse menacent les secteurs où la recharge diminue, avec pour conséquence des modifications importantes des régimes hydrologiques des eaux de surface (rivières, lacs zones humides…). Par exemple, les débits d’étiage des rivières décroissent dans les bassins hydrographiques où le niveau des nappes baisse en réponse à une diminution de la recharge.
Outre les précipitations, la fonte des glaciers et de la neige en montagne contribue souvent aussi de manière importante à la recharge des aquifères montagneux. Son augmentation future sous l’effet du réchauffement est susceptible d’impacter le régime de cette recharge d’une façon qu’il est encore difficile d’analyser.
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Le recul des glaciers augmente dans un premier temps la production d’eau de fonte, jusqu’à atteindre un maximum, connu sous le nom de « pic d’eau », avant de diminuer au fur et à mesure que les glaciers continuent à reculer. Aujourd’hui, environ la moitié des bassins hydrographiques glaciaires du monde auraient dépassé le pic d’eau. Dès lors, une diminution de la recharge des aquifères de montagne est maintenant attendue dans un nombre croissant de bassins glaciaires.
Des impacts sur la qualité des eaux souterraines
On parle beaucoup de volumes d’eau et de taux de recharge, mais le changement climatique altère également la qualité de l’eau souterraine. Les épisodes de pluie plus intenses et la recharge qui en découle sont susceptibles de mobiliser par lessivage des contaminants qui étaient précédemment stockés dans les sols.
D’un autre côté, le réchauffement peut conduire à l’augmentation des concentrations en solutés comme les chlorures, nitrates ou l’arsenic dans les sols et les eaux souterraines superficielles, en lien avec une augmentation de l’évapotranspiration, et une diminution de l’infiltration et donc une dilution moindre.
Enfin, l’augmentation de la température de l’eau souterraine, induite par le réchauffement global et localement par les îlots de chaleur urbains, modifie quant à elle la solubilité et la concentration dans l’eau de certains contaminants. Ces impacts sont moins souvent observés, mais bien réels, notamment dans le pourtour méditerranéen.
En outre, l’augmentation du niveau de la mer induit un risque de salinisation des sols et des aquifères côtiers dans le monde. Cette intrusion saline dépend de nombreux facteurs tels que la géologie côtière, la topographie et surtout les niveaux d’eau dans les nappes. Elle peut être particulièrement sévère dans les zones basses telles que les deltas, les îles ou encore les atolls où il existe des lentilles d’eau douce particulièrement sensibles au changement climatique.
Voilà pour les impacts directs. Mais les scientifiques estiment que l’impact du changement climatique sur les eaux souterraines peut être localement plus important au travers d’effets indirects, liés aux effets du changement climatique.
La hausse des prélèvements, un effet indirect
Le changement climatique risque en effet de provoquer une augmentation des prélèvements dans les aquifères par les agriculteurs pour faire face à l’augmentation de l’évapotranspiration liée au réchauffement et à la variabilité et diminution de l’humidité dans les sols ou de l’eau disponible en surface.
L’augmentation des pompages, pour l’irrigation notamment, induit une baisse chronique des niveaux d’eau qui menace la gestion durable des nappes, les écoulements d’eau vers les hydrosystèmes voisins ou les écosystèmes de surface dépendant des eaux souterraines (zones humides).
Cette pression accrue est susceptible de modifier considérablement le cycle de l’eau, avec de forts contrastes entre :
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l’épuisement des eaux souterraines dans les régions où l’irrigation est principalement alimentée par des eaux souterraines ;
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la montée du niveau des nappes résultant de la recharge par les flux d’excédent d’irrigation alimentée par les eaux de surface et pouvant conduire à un engorgement et à une salinisation des sols ;
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et les modifications des climats locaux résultant de l’évapotranspiration accrue des terres irriguées.
Conséquences sur la « recharge potentielle » en France
L’incidence du changement climatique sur le taux de recharge des nappes aquifères en France métropolitaine a été récemment analysé par la communauté scientifique dans le cadre du projet Explore2.
Grâce à la mise en cascade de modèles climatiques avec des modèles hydrologiques, les chercheurs ont simulé les modifications du taux de recharge potentielle des nappes, selon deux scénarios d’évolution des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère (émissions moyennes ou fortes).
La recharge potentielle est définie comme la part des précipitations efficaces susceptible de s’infiltrer depuis la surface et de recharger les aquifères sous-jacents, dans la mesure où ils possèdent les caractéristiques hydrodynamiques favorables. Elle est qualifiée de potentielle car son arrivée dans les aquifères ne peut être connue a priori et une partie de ce flux peut revenir vers les cours d’eau, en aval de sa zone d’infiltration.
Des régions affectées différemment
D’après ces travaux, la recharge potentielle annuelle pourrait augmenter dès le milieu du siècle entre + 10 % et + 30 % dans le nord et le nord-est de la France. Il resterait globalement stable sur le reste du pays – et ce pour les deux scénarios étudiés.
De plus, le cumul de recharge pendant l’hiver augmenterait pour presque toute la France, hormis une bande sud et une partie de la Bretagne. Dans un scénario de fortes émissions, la recharge potentielle annuelle baisserait sur le sud-ouest, le sud-est et la Corse en fin de siècle, de -10 à -30 %.
La période à laquelle la recharge potentielle est à son maximum serait par ailleurs avancée d’un mois du printemps vers l’hiver sur les chaînes alpines et pyrénéennes. En raison de la hausse des températures, les précipitations tomberaient en effet davantage sous forme de pluie, qui s’infiltre rapidement, et moins sous forme de neige, qui stocke l’eau jusqu’à la période de fonte.
Dans le cas du scénario de fortes émissions, le maximum de recharge de l’automne serait décalé d’un mois vers l’hiver sur le pourtour méditerranéen. Pour le reste du pays, aucune modification notable n’a été observée dans les projections étudiées.

BRGM, projet Explore2, Fourni par l’auteur
Des résultats rassurants mais incomplets
Ces résultats semblent à première vue rassurants, du moins dans le nord du pays. Ils ne prennent toutefois en compte que les impacts directs du changement climatique sur la recharge, liés à l’infiltration potentielle des précipitations.
Or, pour un grand nombre d’aquifères, l’infiltration de l’eau des cours d’eau constitue une part importante de la recharge. L’évolution future des débits des cours d’eau, qui à l’échelle annuelle, devraient diminuer dans la moitié sud du territoire hexagonal français, doit donc également être prise en compte.
De plus, les impacts indirects doivent également être intégrés à l’analyse pour élaborer les politiques publiques futures visant à assurer une gestion durable des nappes aquifères à l’échelle de notre pays : comme une éventuelle hausse de prélèvements pour faire face à l’augmentation de l’évapotranspiration et les modifications dans l’occupation des sols pour s’adapter au climat changeant.
Cet article s’inspire largement du rapport des Nations unies « Eaux souterraines : rendre l’invisible visible » et du rapport du projet Explore2 « Projections hydrologiques : recharge potentielle des aquifères ».
Jean-Christophe Maréchal a reçu des financements de ANR et AERMC
Jean-Pierre Vergnes a reçu des financements de l’ANR et du ministère de la transition écologique.
Sandra Lanini et Yvan Caballero ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
Auteur : Jean-Christophe Maréchal, Directeur de recherche – Hydrogéologue, BRGM
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