Décryptage technologique

Comment le conteneur change la face du monde


Comment le conteneur change la face du monde
Une dizaine de ports à l’échelle mondiale, principalement chinois, concentrent actuellement plus de 60 % du trafic conteneurisé. Travelmania/Shutterstock

Emblème du commerce mondial, le conteneur est au départ un simple rectangle de 20 pieds (33 m3). En 2024, plus de 183 millions d’équivalents vingt pieds (EVP) sont échangés, pour l’essentiel depuis les ports chinois, les canaux de Suez (Égypte) et de Panama, et le détroit de Malacca (Asie du Sud-Est), par les groupes Maersk, MSC ou CMA-CGM. Un objet logistique devenu même symbole culturel au Havre.


Le dimanche 25 mai, un porte-conteneurs transportant des marchandises dangereuses coule au large de l’Inde. Le jeudi 22 mai, un autre porte-conteneurs de 135 mètres de long s’était déjà échoué à quelques pas de la maison d’un Norvégien dans un fjord. Deux informations mettant en lumière la présence des conteneurs dans notre quotidien.

Le phénomène de la conteneurisation représente l’une des transformations logistiques les plus significatives des dernières décennies. Il a redéfini fondamentalement les échanges commerciaux mondiaux, au bénéfice de la Chine ou des grandes entreprises de logistique. Au-delà de son rôle fonctionnel, transformant les infrastructures portuaires et reconfigurant les réseaux, le conteneur est devenu l’emblème de la mondialisation économique, incarnant standardisation, efficacité et interconnexion des marchés.

D’où vient-il ? Que représente-t-il ? Et quel est son avenir à l’heure de la transition climatique et des tensions géopolitiques ?

Standardisation des conteneurs

La standardisation des conteneurs autour des formats de 20 et 40 pieds – équivalent vingt pieds (EVP) – constitue l’étape décisive ayant permis leur déploiement mondial. Cette évolution spectaculaire s’explique notamment par les économies d’échelle qu’elle permet. La croissance du commerce mondial conteneurisé a largement surpassé celle du PIB mondial sur plusieurs décennies, atteignant un volume de plus de 183 millions d’EVP en 2024, contre seulement 50 millions au début des années 2000.

L’évolution des porte-conteneurs illustre parfaitement cette dynamique. Des premiers navires transportant quelques centaines de conteneurs, on est passé aux géants actuels, capables de transporter plus de 24 000 EVP. Cette évolution a entraîné une refonte complète des infrastructures portuaires mondiales. La massification des flux conteneurisés a induit une hiérarchisation marquée du système portuaire mondial… au bénéfice de la Chine.

Domination chinoise portuaire

Seulement une dizaine de ports à l’échelle mondiale concentrent actuellement plus de 60 % du trafic conteneurisé. Cette concentration s’explique par les exigences infrastructurelles liées au gigantisme naval et les investissements colossaux nécessaires qui ont favorisé l’émergence de quelques mégahubs. Ces derniers émergent notamment en Asie du Sud-Est. Shanghai a supplanté tous ses concurrents avec plus de 47 millions d’EVP traités annuellement.

Cette polarisation des flux maritimes reflète les déséquilibres commerciaux mondiaux et la domination chinoise dans la production manufacturière globale.

La conteneurisation a favorisé une restructuration profonde des acteurs du transport maritime et logistique. Les armateurs, traditionnellement cantonnés au segment maritime, étendent leurs activités à l’ensemble de la chaîne logistique. Des groupes comme Maersk, MSC ou CMA CGM ont développé des filiales dans la manutention portuaire, le transport terrestre et la logistique. Cette intégration verticale s’accompagne d’une concentration horizontale intense : les trois premières alliances maritimes contrôlent aujourd’hui plus de 80 % de la capacité mondiale de transport conteneurisé. Elle crée des situations oligopolistiques préoccupantes pour les régulateurs et les chargeurs.

Recomposition des façades maritimes

La géographie portuaire mondiale s’est profondément transformée sous l’effet de la conteneurisation. Les grands ports historiques européens et nord-américains ont dû s’adapter ou décliner, tandis que de nouveaux acteurs émergeaient, particulièrement en Asie. Des ports comme Busan en Corée du Sud ou Jebel Ali aux Émirats arabes unis ont connu une croissance fulgurante en quelques décennies.

Cette recomposition s’accompagne d’une spécialisation accrue des terminaux et d’une extension considérable de l’emprise spatiale des infrastructures portuaires. Les ports ne sont plus de simples interfaces, mais de véritables zones logistiques intégrées, occupant parfois plusieurs dizaines de kilomètres carrés comme à Shanghai. Cette régionalisation portuaire s’accompagne d’une intégration croissante avec les hinterlands et la performance des systèmes conteneurisés repose sur la complémentarité entre nœuds portuaires et corridors continentaux.

Port de Shangai
Shanghai est le premier port mondial en EVP : plus de 50 millions en 2024.
Fuyuliu/Shutterstock

La géographie du transport conteneurisé reflète et renforce certaines inégalités territoriales. Si la conteneurisation a contribué à l’intégration de nombreuses économies émergentes dans les chaînes de valeur mondiales, elle a aussi marginalisé certaines régions moins bien connectées aux grands réseaux maritimes. Les pays enclavés, comme le Népal ou la Bolivie, ou dotés d’infrastructures portuaires limitées connaissent des surcoûts logistiques considérables, freinant leur développement économique.

Goulots d’étranglement

La concentration des flux conteneurisés sur quelques routes maritimes majeures crée des vulnérabilités stratégiques significatives : plus de 60 % du commerce conteneurisé transite par une poignée de points stratégiques : Suez, Panama, Malacca. La perturbation de ces goulots d’étranglement peut avoir des conséquences globales, comme l’a illustré le blocage du canal de Suez en mars 2021 par l’Ever Given. La sécurisation de ces passages stratégiques devient un enjeu géopolitique majeur.




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La dimension géopolitique de la conteneurisation s’illustre parfaitement à travers l’initiative chinoise de la Ceinture et de la Route de la soie (Belt and Road Initiative, ou BRI). Le développement de grands terminaux conteneurisés hors de Chine illustre la volonté de Pékin de sécuriser ses approvisionnements, d’accroître son emprise géostratégique sur les flux logistiques mondiaux.

La maîtrise des infrastructures portuaires constitue un enjeu stratégique croissant dans la compétition entre puissances.

Les opérateurs portuaires globaux, comme PSA international (Singapour) ou China Merchants Port Holdings, ont développé des réseaux mondiaux de terminaux, suscitant parfois des inquiétudes sécuritaires dans les pays hôtes. Ces préoccupations ont conduit l’Australie à vouloir reprendre le contrôle du port de Darwin, géré par Landbridge, une entreprise chinoise.

Le conteneur comme symbole culturel et sociétal

Au-delà de sa dimension fonctionnelle, le conteneur est devenu un puissant symbole culturel de la mondialisation contemporaine. Sa forme standardisée, aisément identifiable, symbolise la normalisation des échanges et la connectivité des économies. Les empilements colorés de conteneurs dans les ports sont désormais considérés comme des paysages emblématiques, objets de fascination artistique et médiatique.

Port du Havre
La Catène de containers(2017), du plasticien Vincent Ganivet, est une sculpture au Havre, et un symbole de la ville.
StefanRotter/Shutterstock

Le conteneur symbolise à la fois la fluidité des échanges et l’opacité des flux commerciaux, la connexion entre territoires et la déterritorialisation de la production. La standardisation du conteneur a paradoxalement favorisé sa réappropriation pour des usages alternatifs et créatifs. L’architecture conteneurisée s’est développée comme une tendance mondiale. Elle propose des solutions d’habitat modulaire, économique et potentiellement mobile.

Le conteneur reconverti incarne même une certaine vision de la durabilité par le réemploi et l’adaptabilité. Ces détournements questionnent notre rapport aux objets industriels et aux standards mondialisés, transformant un outil logistique en support d’innovation sociale et architecturale.

Transition écologique

Dans un contexte de dérèglement climatique, le transport maritime conteneurisé, responsable d’environ 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, fait face à un impératif de transition écologique. L’Organisation maritime internationale (OMI) a fixé un objectif de réduction des émissions de 50 %(par rapport à 2008) d’ici à 2050.

Cette ambition pousse armateurs et constructeurs à explorer diverses solutions technologiques. Parallèlement, les ports développent des solutions d’électrification des quais et optimisent leur efficacité énergétique pour réduire leur empreinte environnementale. Globalement, la recherche d’une plus grande résilience devient une priorité pour l’ensemble des acteurs.

Au-delà des aspects purement techniques et logistiques, la conteneurisation peut être considérée comme un fait social total, influant et reflétant les dynamiques géopolitiques, environnementales et culturelles contemporaines. Les défis à venir pour l’avenir du transport conteneurisé sont considérables.

Il s’agit de relever plusieurs enjeux majeurs : transition écologique d’un secteur fortement émetteur de gaz à effet de serre, adaptation à des tensions géopolitiques croissantes, réponse aux exigences de résilience après les crises récentes, et équilibrage entre efficacité économique et équité territoriale.

The Conversation

Arnaud Serry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Arnaud Serry, Maitre de conférences HDR en géographie, Université Le Havre Normandie

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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