Consommation de réglisse : quels sont les risques ?

Une consommation excessive de réglisse peut s’accompagner d’effets indésirables potentiellement graves, notamment une hypertension pouvant mener à des complications cardiovasculaires. Or, de nombreux aliments contiennent des extraits de réglisse.
Pour la plupart d’entre nous, le mot « réglisse » évoque des bonbons de couleur noire, ou, pour les plus âgés, de courts bâtons bruns vendus au comptoir des pharmacies.
Mais la réglisse n’est pas utilisée seulement en confiserie. On trouve certains de ses constituants dans de nombreux produits alimentaires. Or, une consommation excessive peut mener à une diminution de la teneur en potassium dans le sang, ainsi qu’à une hypertension pouvant entraîner des complications cardiovasculaires.
Ces dernières années, plusieurs cas d’effets indésirables associés à la consommation de réglisse ont été enregistrés par les centres antipoison français ainsi que par le dispositif de nutrivigilance de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Face au nombre de cas et à la sévérité de certains d’entre eux, l’Anses a mené une évaluation des risques sanitaires liés à la consommation de réglisse pour la population française. Voici ce qu’il faut savoir.
Des extraits de réglisse dans de nombreux aliments
Originaire du sud-est de l’Europe à l’Asie centrale, la réglisse est une plante herbacée qui peut atteindre 1,5 m de haut. Elle est consommée depuis l’Antiquité, Grecs et Romains lui prêtant des vertus médicinales.
Parmi les nombreuses espèces de réglisse identifiées, seules trois sont utilisées dans les produits commerciaux : Glycyrrhiza glabra (la réglisse « européenne », typiquement cultivée sur ce continent), Glycyrrhiza uralensis et Glycyrrhiza inflata, ces deux dernières espèces étant connues sous le nom de « réglisse chinoise ». En France, seules Glycyrrhiza glabra et Glycyrrhiza uralensis figurent sur la liste des plantes autorisées dans les compléments alimentaires.
On extrait des racines de la réglisse (qui sont en réalité des rhizomes, des tiges souterraines dotées de racines) une substance aromatique. De nos jours, ces extraits constituent l’utilisation principale de la réglisse : ils sont notamment employés pour aromatiser des confiseries et des boissons anisées, qu’elles soient alcoolisées ou non (par exemple le pastis, avec ou sans alcool). La réglisse est également présente dans certaines tisanes « digestives », ainsi que dans des compléments alimentaires.
Par ailleurs, l’un de ses constituants, l’acide glycyrrhizique (un édulcorant 50 à 100 fois plus sucré que le sucre raffiné) est aussi autorisé au niveau européen comme arôme alimentaire, tout comme son sel d’ammonium (code E958). On retrouve ces arômes dans divers aliments sucrés ou salés : produits laitiers, de boulangerie, glaces, confiserie, charcuterie, produits de la pêche, etc.
C’est justement l’acide glycyrrhizique qui est à l’origine d’effets indésirables, lesquels surviennent le plus souvent en cas de consommation excessive et/ou régulière.
Des effets indésirables qui peuvent être graves
Entre 2012 et 2021, plusieurs dizaines de cas d’effets indésirables associés à la consommation de réglisse ont été déclarés, concernant 62 adultes et 2 enfants. Les produits consommés étaient principalement des boissons (8 cas dûs à des tisanes, 32 à d’autres boissons non alcoolisées, 7 à des boissons alcoolisées), suivies par des confiseries (14 cas) et des compléments alimentaires (2 cas).
Ces intoxications sont dues à l’acide glycyrrhizique contenu dans la réglisse. Une fois absorbé, il donne naissance dans l’intestin à des métabolites, notamment l’acide glycyrrhétique. Ce dernier va mimer l’action d’une hormone, l’aldostérone, impliquée dans la régulation du volume sanguin et de la pression artérielle. L’aldostérone agit notamment au niveau rénal, en augmentant la réabsorption du sodium vers le sang. Cela induit une augmentation de la pression artérielle.
Le résultat est un syndrome appelé pseudohyperaldostéronisme. Les conséquences de ce dernier sont similaires à une augmentation des niveaux d’aldostérone. Il se traduit par une augmentation des concentrations de sodium dans le sang qui peut mener à une hypertension pouvant entraîner des complications cardiovasculaires), ainsi que par une diminution de la teneur en potassium sanguin (hypokaliémie), pouvant provoquer des troubles du rythme cardiaque.
Le plus souvent, l’hypokaliémie et l’hypertension se manifestent par des maux de tête, des crampes, des douleurs musculaires, mais elles peuvent aussi être asymptomatiques. Lorsqu’elles sont sévères, elles peuvent toutes deux engendrer des troubles du rythme cardiaque.
C’est souvent le médecin traitant qui, au cours d’une consultation du fait de symptômes ou lors d’une consultation de routine, constate une hypertension. Il peut alors interroger son patient et lui conseiller de réduire sa consommation de réglisse. Dans les rares cas les plus extrêmes, c’est-à-dire en cas de troubles cardiaques, les patients sont généralement adressés aux urgences, où ils sont pris en charge.
Surveiller sa consommation
En s’appuyant sur les études menées chez l’être humain, l’Anses a défini un repère toxicologique (appelé valeur toxicologique indicative) pour l’acide glycyrrhizique. Sa valeur a été fixée à 0,14 mg par kg de poids corporel et par jour, soit environ 10 mg/j pour un individu de 70 kg. Cette valeur toxicologique indicative a ensuite été comparée au niveau de consommation de la population.
La teneur en acide glycyrrhizique des aliments n’étant pas connue, pour évaluer les apports de la population, les experts de l’Anses ont dû faire des hypothèses. Ils ont choisi de considérer les teneurs maximales d’acide glycyrrhizique autorisées par la réglementation comme étant les teneurs dans les aliments (de ce fait, lesdites teneurs sont probablement surestimées, et par conséquent le risque de dépassement du repère toxicologique l’est également).
De ces estimations d’apport, il ressort que 75 % des adultes et 95 % des enfants ne sont pas exposés à l’acide glycyrrhizique par l’alimentation courante, hors compléments alimentaires. L’exposition moyenne de la population générale est faible : elle serait d’environ 0,07 et 0,009 mg d’acide glycyrrhizique par kilogramme de poids corporel et par jour, chez les adultes et les enfants respectivement. Des valeurs qui se situent en deçà du repère toxicologique.
La situation est cependant différente si l’on considère uniquement les personnes, peu nombreuses, qui consomment des produits contenant de la réglisse. Leur exposition est beaucoup plus élevée que celle du reste de la population : on l’estime à environ 0,5 mg d’acide glycyrrhizique par kilogramme de poids corporel et par jour pour les adultes, et 0,2 mg d’acide glycyrrhizique par kilogramme de poids corporel et par jour pour les enfants.
Cela signifie que 60 % de ces adultes et 40 % de ces enfants consommateurs dépassent le repère toxicologique et s’exposent donc à un risque.
Chez les adultes, les principaux aliments vecteurs d’acide glycyrrhizique sont les boissons alcoolisées (environ 65-70 %), les confiseries (environ 16-18 %) et les thés et tisanes (environ 7-16 %). Chez les enfants, les aliments concernés sont les confiseries (un peu plus de 75 %), les thés et tisanes (environ 13-16 %) et les boissons rafraîchissantes sans alcool (environ 5 %).
Des risques d’interactions médicamenteuses
Au-delà de son effet sur le pseudohyperaldostéronisme, la réglisse peut interagir avec plusieurs classes de médicaments.
Du fait de son action hypokaliémante, la réglisse interagit avec les médicaments présentant un effet hypokaliémant comme les diurétiques hypokaliémiants, les laxatifs stimulants ou les glucocorticoïdes, ce qui accroît le risque d’hypokaliémie.
L’hypokaliémie favorisant l’apparition de troubles du rythme cardiaque, la réglisse peut également augmenter dangereusement le risque d’effets indésirables sévères de médicaments utilisés dans le traitement de l’insuffisance cardiaque ou de certaines tachycardies (elle peut notamment accroître le risque d’effets indésirables de la digoxine, un médicament utilisé dans des cas d’insuffisance cardiaque grave).
Du fait de son action hypertenseuse, la réglisse interagit aussi avec les médicaments antihypertenseurs en limitant leur efficacité.
Enfin elle peut interagir avec les médicaments susceptibles d’engendrer des troubles du rythme cardiaque appelés « torsades de pointes », augmentant leur risque de survenue.
Conduite à tenir
Dans ce contexte, il est recommandé aux amateurs de produits contenant de la réglisse d’éviter de cumuler la consommation des aliments qui en contiennent (boissons de type pastis alcoolisées ou non, sirops, confiseries, tisanes ou compléments alimentaires, etc.).
En cas de pathologies cardiaques (notamment d’hypertension) ou rénales, d’insuffisance hépatique ou d’hypokaliémie, de grossesse ou d’allaitement, il faut signaler toute consommation de réglisse aux professionnels de santé. Le même conseil s’applique en cas de doute relatif à d’éventuelles interactions médicamenteuses.
L’Anses recommande également aux médecins, pharmaciens et diététiciens d’interroger les personnes répondant aux critères mentionnés précédemment quant à leur consommation de réglisse sous toutes ses formes, y compris les compléments alimentaires.
Enfin, les experts de l’agence préconisent la mise en place d’un étiquetage destiné à informer les usagers de la présence de réglisse ou d’acide glycyrrhizique dans les produits de consommation.
Anne Morise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Auteur : Anne Morise, Coordinatrice scientifique au sein de l’Unité d’évaluation des risques liés à la nutrition, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)
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