Décryptage technologique

Contrefaçons de sacs Chanel, Vuitton, Dior ou Hermès… en provenance de Chine : décryptage d’un phénomène devenu viral !

Des sacs de luxe vendus directement par des sous-traitants asiatiques à des prix défiants toute concurrence ? La campagne de vidéos a eu une diffusion virale… alors que les propos étaient mensongers. Où sont produits les sacs de luxe ? Par qui ? Que risque-t-on à les acheter ?


À la mi-avril 2025, une vague de vidéos déferlait sur TikTok laissant entendre que certaines maisons de maroquinerie de luxe, notamment françaises, produiraient en fait en Chine. Les protagonistes y clamaient être les manufacturiers officiels et exhortaient les clients à acheter leurs sacs directement à la source pour une très faible fraction du prix pratiqué dans les boutiques.

Quel a été l’évènement déclencheur de ces campagnes ? Pourquoi ont-elles pris une telle ampleur ? Entre tensions géopolitiques et enjeux légaux, ce phénomène suscite des questions cruciales sur les pratiques commerciales et la propriété intellectuelle.

Les États-Unis : moteur de croissance du luxe pour 2025-2027

La diffusion savamment orchestrée de ces vidéos est intervenue précisément au moment où les États-Unis annonçaient des droits de douane de 145 % sur les importations chinoises. Utilisant des titres racoleurs comme « les marques de luxe produisent toutes en Chine » (traduction des sous-titrages anglais apparaissant dans les vidéos : « Luxury Brands are all made in China ») ou « les marques de luxe vous ont menti », les créateurs de contenus espéraient attirer les clients directement sur leurs sites.

De cette manière, ils pouvaient espérer contourner les circuits de distribution classiques. En proposant leurs articles sur des applications chinoises comme DHGate ou Taobao qui figurent parmi les plus téléchargées aux États-Unis, elles visaient surtout le marché américain.

En effet, celui-ci est l’un des plus importants pour le secteur du luxe. En 2024, les États-Unis représentaient 25 % des ventes de LVMH, le numéro un mondial du luxe. De son côté, Hermès y réalisait 19 % de son chiffre d’affaires, ce qui représente une progression de 15 % par rapport à 2023.




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Plus intéressant encore, alors que la Chine présente des signes d’essoufflement pour de nombreux grands acteurs du secteur, les États-Unis sembleraient redevenir le moteur de la croissance dans un marché du luxe qui se stabilise. Selon « The State of Fashion: Luxury », l’étude réalisée par BoF et McKinsey, publiée en janvier 2025, les ventes de biens de luxe personnels sur le marché américain devraient ainsi progresser de 3 à 5 % pour les années 2024 et 2025, et de 4 à 6 % pour la période allant de 2025 à 2027, contre 1 à 3 % de croissance globale pour le marché du luxe de 2024 à 2025 et 2 à 4 % pour la période de 2025 à 2027. Les États-Unis dépasseraient même la croissance attendue en Chine, de 3 à 5 % pour la période allant de 2025 à 2027.

Quand le luxe devient un investissement

D’après BoF et McKinsey, les ventes d’articles de maroquinerie de luxe sont celles qui ont connu la plus forte croissance entre 2019 et 2023. Elles auraient franchi les 79 milliards de dollars en 2023. Une demande notamment portée par l’achat d’articles considérés comme « des pièces d’investissements » à l’instar du « Timeless » de Chanel, du « Neverfull » de Louis Vuitton, du Prada « Arqué » ou encore des modèles particulièrement convoités et difficilement accessibles comme les « Birkin » et « Kelly » de la maison Hermès.


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Ces manufacturiers chinois qui se présentent comme « officiels » et prétendent ne pas avoir pu révéler jusque-là ces éléments qui, selon eux, auraient été sous couvert d’accords de confidentialité ont vu là une opportunité de faire croire aux internautes que ces maisons italiennes ou françaises faisaient fabriquer leurs articles de maroquinerie en Chine n’apposant le « Made in Italy » ou le « Made in France » qu’une fois l’assemblage final réalisé en Europe. En montrant de sacs ressemblant à ceux d’Hermès et de Louis Vuitton, les auteurs de ces vidéos se sont clairement in fine discrédités.

Des productions quasi exclusivement européennes

En effet, Hermès ne produit pas ses sacs en Chine. Comme indiqué dans son document d’enregistrement universel 2024 : sur ses 75 sites de production, 60 sont en France. Les autres sont en Italie (chaussures), au Royaume-Uni (le bottier John Lobb qui appartient à Hermès), en Suisse (montres), aux États-Unis et en Australie (tanneries et cuirs précieux) et enfin au Portugal avec deux manufactures de métaux, mais qui ne concernent pas la réalisation de sacs.

La qualité des objets de la maison du Faubourg Saint-Honoré réside notamment dans son modèle artisanal avec une transmission des savoir-faire de génération en génération, une formation au sein des propres écoles Hermès. Ses sacs sont produits exclusivement en France, et d’ailleurs il est clairement écrit sur ces derniers : « Hermès Paris ». Pour les connaisseurs, c’est une évidence !

Quant aux prétendus sacs Louis Vuitton, en se plongeant dans les page 395 et 396 du document d’enregistrement universel de LVMH pour 2024, nous pouvons découvrir la liste des ateliers Louis Vuitton. Ils sont essentiellement implantés en France. Quelques productions sont réalisées en Europe : en Italie, en Espagne et au Portugal pour une partie seulement, et aux États-Unis où l’entreprise possède un site au Texas. Là aussi, aucune production n’est réalisée en Chine.

Près de 467 milliards de dollars pour la contrefaçon

Les clients moins avertis, qui pourraient être tentés d’acheter directement en Chine, prennent un risque important. Pour les deux maisons françaises sus-citées, les modèles présentés dans les vidéos sont des contrefaçons. Les acheteurs comme les revendeurs s’exposent à des sanctions sévères.

D’après les dernières données récoltées dans l’étude « Mapping Global Trade in Fakes 2025: Global Trends and Enforcement Challenge », les biens de contrefaçon (toutes catégories confondues, incluant aussi les produits pharmaceutiques, pièces détachées…) auraient représenté 467 milliards de dollars en 2021 au niveau mondial et 117 milliards de dollars pour les importations en Europe, soit respectivement 2,3 % du commerce mondial et 4,7 % des importations en Europe.

La Chine, mais aussi l’Europe

Si tous les secteurs sont touchés, « l’habillement, les chaussures et la maroquinerie le sont plus encore, puisque ces produits représentent 62 % des biens contrefaits saisis ». Ces chiffres sont corroborés par des déclarations de Delphine Sarfati-Sobreira, la présidente-directrice générale de l’Union des fabricants pour la protection internationale de la propriété intellectuelle (Unifab), recueillies dans l’article de Guillaume Keller, « La contrefaçon un “marché” en pleine expansion ! », dans lequel il précise que « 65 % des produits contrefaits viennent d’Asie, mais 25 % viennent tout de même d’Europe ».

Les contrefacteurs ainsi que les revendeurs et les acheteurs sont passibles de peines importantes. L’auteur rappelle que les acheteurs peuvent écoper d’une amende représentant une ou deux fois la valeur du produit contrefait. Les peines prévues par la loi sont de 3 à 4 ans d’emprisonnement et de 300 000 à 400 000 euros d’amende. Alors si un sac ressemblant étrangement à un sac « Kelly » est proposé à 1 000 dollars sur certains sites Internet, la note finale pourrait être très salée quand on sait que les premiers prix de ces sacs d’Hermès dépassent les 10 000 euros.

France 24 – 2025.

Un manque de contrôle des réseaux sociaux ?

Ces campagnes visionnées des millions de fois alimentent en fait le marché des contrefaçons. Revendre directement depuis les plateformes chinoises n’exempte pas totalement les clients de paiements de droits de douane.

En outre, les clients s’exposent à des saisies et des sanctions lourdes. Aux États-Unis, les contrôles douaniers de commandes en provenance de Chine devraient être renforcés notamment sur les petits colis. Ce phénomène viral soulève la question du rôle et du contrôle des réseaux sociaux en laissant des internautes diffuser des campagnes trompeuses voire mensongères.

Mais il invite aussi à une réflexion plus profonde : comment justifier la valeur des objets de luxe ? Si la plupart des maisons n’ont pas réagi sur la toile, indiquant le peu de crédibilité qu’elles accordent à ces campagnes, peut-être devraient-elles y voir une opportunité pour renforcer la communication auprès de leurs clients sur la préservation de leurs savoir-faire et la valorisation de leur héritage ?

Contrefaçons de sacs Chanel, Vuitton, Dior ou Hermès… en provenance de Chine : décryptage d’un phénomène devenu viral !

Isabelle Chaboud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Isabelle Chaboud, Professeur senior d’analyse financière, d’audit et de risk management – Directrice de Programme pour le MSc Fashion Design & Luxury Management- Responsable de la spécialisation MBA "Brand & Luxury Management", Grenoble École de Management (GEM)

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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