Coopération ou autonomie ? les enjeux de l’Europe dans l’ère post-ISS
Alors que s’ouvre aujourd’hui le 55e Salon international de l’aéronautique et de l’espace du Bourget, nous avons eu l’occasion d’interviewer Xavier Roser, responsable de lignes de produits Exploration et Science chez Thales Alenia Space. Cette rencontre s’inscrit dans un contexte marqué par une incertitude entourant la coopération internationale dans le domaine de l’exploration spatiale, exacerbée par les récentes propositions budgétaires controversées de la Nasa sous l’administration Trump. Parmi ces propositions, l’abandon de projets emblématiques, tels que le GatewayGateway, est particulièrement préoccupant, car ce dernier est considéré comme essentiel pour les futures étapes de l’exploration humaine. Néanmoins, il convient de mentionner que le sénateur du Texas, Ted Cruz, semble gagner le soutien du Sénat pour le programme Gateway, ce qui pourrait atténuer certaines craintes liées à son avenir. Pour Thales Alenia Space, qui réalise plusieurs modules du Gateway, cette petite station spatialestation spatiale est « une étape indispensable au développement du transport d’équipage vers Mars ».
Trois axes stratégiques pour l’avenir de l’exploration
Xavier Roser identifie trois axes stratégiques pour l’avenir de l’exploration spatiale. Premièrement, l’orbite basse qui représente un défi majeur : « Maintenir la capacité scientifique et opérationnelle pour réaliser des missions ». Ensuite, l’orbite cislunaire et la Lune, où le Gateway est perçu comme un programme essentiel pour préparer le système de transport d’équipage entre l’espace cislunaire et l’orbite martienne. C’est également un « programme fondamental fournissant les briques technologiques pour le développement d‘un programme européen en orbite basse ». Enfin, le troisième axe concerne l’exploration humaine et robotique de Mars, avec une préparation rigoureuse pour atteindre l’objectif ambitieux d’une première mission habitée sur la Planète rouge.
Avec Xavier Roser, nous avons discuté de l’ère post-ISS et de la nécessité pour l’Europe de continuer ses activités technologiques et scientifiques en orbite basse pour lesquelles il existe un vaste écosystèmeécosystème dans divers domaines, allant des sciences de la vie et des matériaux à la pharmacie, aux biotechnologiesbiotechnologies et à la recherche médicale.
Xavier Roser est l’expert idéal pour fournir des éclairages sur ces enjeux futurs. En effet, Thales Alenia Space a conçu plus de la moitié des modules pressurisés de la Station spatiale internationale. De plus, elle développe actuellement des modules pour de futures stations spatiales, y compris ceux pour Axiom et le Gateway. Les modules du Gateway sont une étape fondamentale pour les prochaines missions habitées de la Lune à Mars, en développant des fonctions d’autonomieautonomie, de robotiquerobotique et de résistancerésistance à un environnement spatial plus hostile (radiations, micrométéorites) que sur l’orbite de l’ISS.
“Il est nécessaire de passer d’une coopération internationale centrée sur la dépendance à une autonomie réelle”
L’Europe à la croisée des chemins
Aujourd’hui, l’Europe doit réévaluer sa stratégie spatiale. Xavier Roser souligne qu’elle se trouve à un tournant : « Il est nécessaire de passer d’une coopération internationale centrée sur la dépendance à une autonomie réelle ». Aux États-Unis, « une transition commerciale s’opère depuis environ quinze ans, après la fin de la constructionconstruction de la Station spatiale internationale » avec un changement de stratégie qui passe de « l’achat d’infrastructures spatiales à l’achat de services ». À l’origine, cette transition se concentrait sur « l’acquisition de services destinés à des usages institutionnels, incluant la logistique, le transport de fret ainsi que les rotations d’équipages ». Aujourd’hui, alors que les agences spatiales se préparent à l’ère post-ISS, la Nasa poursuit son évolution et « privilégie l’utilisation de stations spatiales commerciales à la construction de son propre complexe orbitalcomplexe orbital ».
Les enjeux européens post-ISS : vers une autonomie spatiale
L’après-ISS représente un tournant décisif pour l’Europe en matière d’exploration spatiale. Xavier Roser insiste sur l’importance de « la continuité des vols habitésvols habités en orbite basse, ce qui doit inciter l‘Europe à développer un programme moins dépendant des États-Unis », favorisant ainsi une « autonomie véritable en matière d‘utilisation de l‘orbite basse, ouvert à des coopérations équilibrées ».
Pour cela, il serait nécessaire de « développer un ou deux modules habitables capables de fonctionner de manière autonome », tout en étant capables de s’associer à des stations partenaires.
Fonctionnalités et conception des modules
Ces modules pressurisés, à l’intérieur desquels il sera possible de vivre et travailler, devront intégrer plusieurs fonctionnalités essentielles, notamment une capacité à fonctionner sans équipage permanent tout en maintenant ses opérations de manière autonome lorsqu’ils sont inoccupés. Ils devront disposer de systèmes d’amarrage avec d’autres stations en orbite basse, facilitant les synergiessynergies logistiques et diversifiant les missions. Mais ce n’est pas tout : ces modules devront être « auto-livrables », c’est-à-dire capables de s’amarrer – le cas échéant – et de se mettre en service de manière autonome. Contrairement aux modules de la Station spatiale internationale, qui étaient transportés par les navettes américaines et mis en service par leurs équipages, ces dernières ne sont désormais plus opérationnelles.
Pour garantir cette autonomie et limiter les opérations de maintenance par des astronautesastronautes, la conception de ces modules « doit s’inspirer des réalisations de Thales Alenia Space pour les modules du Gateway ». Contrairement aux modules de l’ISS, conçus pour un équipage permanent, les modules du Gateway « sont prévus pour des visites périodiques, alliant grande autonomie et fonctionnement sans maintenance par des astronautes ». Ils sont également conçus pour minimiser leur dégradation face à un environnement plus contraignant que celui de l’ISS.
Perspectives futures et développement du transport spatial
L’architecture européenne pour l’orbite basse de demain sera débattue lors du Conseil ministériel prévu en novembre 2025, où seront également présentés les deux scénarios pour la future station spatiale européenne. Quelles que soient les décisions prises, Xavier Roser pense que d’ici la fin de cette décennie, il sera « essentiel de disposer d’au moins un élément orbital d’usage, capable de fonctionner en autonomie et de s’amarrer à d’autres stations spatiales, d’une composante logistique, d’un système de contrôle au sol et d’un système de transport pour équipages ». Il sera également nécessaire que ces futures infrastructures européennes autonomes restent ouvertes à des coopérations.
Quant à ce système de transport humain, l’ESAESA est engagée dans le développement d’un véhicule cargo réutilisable, de type capsule, conçu pour évoluer « facilement » vers une version habitée si nécessaire. Dans un premier temps, l’Europe utiliserait des services commerciaux de transport spatial pour les rotations de ses équipages, voire envisagerait un partenariat avec une autre agence spatiale ou une société privée qui fournirait ce service de transport humain en contrepartie de droits d’utilisation du module européen.
Conclusion
L’avenir européen en orbite basse est à un carrefour crucial. La réponse à ces nouveaux défis dans l’ère post-ISS dépendra de la capacité de l’Europe à développer des infrastructures autonomes, à s’engager dans l’innovation technologique et à nouer des partenariats stratégiques. Avec des acteurs comme Thales Alenia Space en première ligne, l’Europe a toutes les cartes en main pour s’affirmer comme leader dans l’exploration et s’installer durablement en orbite basse et, voire au-delà.
Auteur : Rémy Decourt, Journaliste
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