Cybersécurité dans l’espace : il faut protéger nos satellites des nouvelles menaces
Aujourd’hui, l’espace est devenu un véritable champ de bataille stratégique, au cœur de tensions internationales de plus en plus marquées. Cette évolution témoigne d’une prise de conscience croissante des menaces potentielles qui pèsent sur nos infrastructures spatiales.
De nos jours, notre quotidien repose largement sur les satellites, qui jouent un rôle crucial dans des domaines variés tels que les activités scientifiques, commerciales, et militaires. Ces dispositifs spatiaux sont indispensables non seulement pour le développement économique, mais aussi pour le bon fonctionnement de notre mode de vie moderne, incluant la navigation, les services de géolocalisation, les télécommunications, la surveillance météorologique par exemple.
“Leur importance les rend également particulièrement vulnérables, faisant d’eux des cibles privilégiées pour des attaques cybernétiques et d’autres formes de sabotage”
Sur le plan militaire, les satellites sont au cœur des opérations, fournissant des capacités essentielles en matière de communication, de renseignement et de navigation. Ils permettent une coordination efficace des forces, un accès rapide à des informations stratégiques et une compréhension approfondie des environnements d’opération. Cependant, leur importance les rend également particulièrement vulnérables, faisant d’eux des cibles privilégiées pour des attaques cybernétiques et d’autres formes de sabotage. Ces menaces soulignent la nécessité d’une vigilance accrue et d’une protection renforcée pour garantir la sécurité de nos infrastructures spatiales face à un paysage géopolitique de plus en plus incertain et hostile.
Cette forte dépendance des États à l’espace révèle que la domination dans ce domaine est désormais perçue comme une extension de leur pouvoir militaire et économique, poussant les nations à reconsidérer leurs stratégies de défense.
Vulnérabilités et nécessité de protection
Face à cette réalité, il est crucial de reconnaître que les satellites et les infrastructures au sol qui leur sont dédiées sont vulnérables à divers types d’attaques, tels que le hacking, le brouillage ou même la destruction physique. La protection des infrastructures spatiales doit donc être une priorité absolue. Pour ce faire, l’adoption de technologies avancées s’avère essentielle. Cela inclut :
- chiffrementchiffrement des communications : pour sécuriser les données transmises entre les satellites et les centres de contrôle ;
- intelligence artificielleintelligence artificielle : pour détecter et analyser les anomaliesanomalies en temps réel ;
- systèmes de défense active : comme les drones et les missiles capables de neutraliser les menaces potentielles.
Enseignements de la guerre en Ukraine
La guerre en Ukraine a mis en lumière l’arsenalisation de l’espace, une notion qui n’est plus théorique. Les attaques cybernétiques et spatiales observées durant ce conflit illustrent que des frappes ciblées contre des systèmes spatiaux pourraient affaiblir considérablement un pays en quelques minutes. Ce risque, souvent qualifié de « Pearl Harbor spatial », souligne l’importance d’une vigilance et d’une préparation accrues.
Vers un futur de tensions accrues
Actuellement, les hostilités dans l’espace restent discrètes, mais on peut craindre qu’une escalade des tensions géopolitiques ne mène à des conflits ouverts, impliquant des attaques directes contre des satellites. Un tel scénario inciterait les nations à renforcer et à diversifier leurs capacités de défense spatiale, créant ainsi un climatclimat d’incertitude et de méfiance.
Vers une sécurité spatiale collaborative
La question de la sécurité dans l’espace est donc complexe et multidimensionnelle. Elle nécessite une approche équilibrée qui combine des technologies avancées et une adaptation des stratégies nationales, tout en favorisant la coopération internationale. La prospective indique qu’il sera impératif de renforcer notre souveraineté dans l’espace, tout en maintenant un niveau nécessaire de collaboration internationale.
Un événement clé : Cysat
Pour répondre aux préoccupations relatives à la sécurité de nos satellites et infrastructures spatiales, des initiatives comme Cysat jouent un rôle fondamental. Cet événement de portée mondiale, qui en est à sa cinquième édition, est le seul événement international consacré à la cybersécurité dans le secteur spatial. Il réunit chaque année des institutions européennes, des industriels historiques, des nouveaux acteurs du New Space et des centres de recherche autour des enjeux de cybersécurité et de résiliencerésilience de ce secteur.
La parole à Mathieu Bailly, directeur de Cysat et VP Space de Cysec.
Mathieu Bailly : Opérer des satellites demande une infrastructure très complexe, au sol comme dans l’espace. La surface d’attaque est très vaste et les vecteurs d’attaque multiples.
Lorsqu’on établit un modèle de menaces avec un opérateur de satellites, il n’est pas rare de lister des centaines de scénarios, qui ont chacun diverses probabilités et niveaux de sévérité. Le modèle de menace dépend du spectrespectre opérationnel de l’opérateur et de la mission : s’il s’agit d’une mission scientifique, les profils, moyens et motivations des attaquants ne seront pas les mêmes que pour une mission militaire.
Les risques peuvent aller d’une faille toute simple dans le Système d’information (SI), où l’attaquant peut avoir accès à des informations confidentielles, à des attaques à plus grande échelle, menées par exemple par des gouvernements qui peuvent investir beaucoup de moyens dans des capacités d’attaque (telles que des antennes au sol pour pouvoir écouter, brouiller, ou intercepter les communications). L’opérateur décide alors des risques qu’il considère « inacceptables » et qu’il doit absolument mitiger.
Futura : Quelles sont les actions à mettre en place pour sécuriser cette infrastructure ?
Mathieu Bailly : Tout dépend de qui on veut se protéger (c’est-à-dire du modèle de menace évoqué plus haut). Il n’y a pas de « one size fits all », même si la réglementation impose un filet de sécurité depuis quelques années.
Jusqu’à récemment (et même encore maintenant dans certains pays), il n’y avait aucune vérification de sécurité obligatoire avant de lancer des satellites, même ceux ayant des capacités de propulsion ! C’est heureusement de moins en moins vrai aujourd’hui. En France, par exemple, la mise à jour de la Loi relative aux opérations spatiales (LOS) impose aux opérateurs de chiffrer et d’authentifier les données de TMTC (télémétrietélémétrie, télécommande). Si cela paraît être le « minimum syndical », c’était en réalité jusque-là réservé aux missions défense uniquement !
Pour les missions de défense qui font appel aux grands industriels, il n’y pas de difficultés en matière de sécurité, car ils en ont les capacités, les moyens et les équipes. Cependant, la nouveauté est que de plus en plus de missions sensibles sont portées par des acteurs émergentsémergents du New Space qui, en plus d’avoir des contraintes de budget, de temps et de recrutement, doivent en plus intégrer la (cyber)sécurité aux projets. Chez Cysec, nous avions identifié ce « pain point », et notre expertise se concentre aujourd’hui sur l’accompagnement de ces acteurs pour aider à sécuriser les communications par satellite.
Plusieurs types de technologies font de plus en plus parler d’elles dans le contexte de la sécurisation des satellites, notamment la cryptographiecryptographie post-quantique et la distribution quantique de clé.
Enfin, il faut souligner l’importance de la collaboration européenne et internationale pour parvenir à créer un écosystèmeécosystème vraiment sécurisé et résilient. C’est tout l’objet de Cysat, il faut continuer à réunir (et aligner le plus possible) tous les acteurs du spatial autour de cet enjeu vital qu’est la cybersécurité.
Futura : À l’ère de l’IA et de l’informatique quantique, quelles sont les mesures pour protéger les données des satellites, voire aussi la manipulation des données ?
Mathieu Bailly : La tendance de fond est que les satellites deviennent de plus en plus modernes et intelligents. Par exemple, avec du LinuxLinux à bord, déployer des containers est presque aussi facile que sur un service cloud au sol.
C’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle pour la sécurité : une bonne, car il existe beaucoup plus d’outils de sécurité pour des architectures classiques que l’on retrouve au sol que sur des équipements très « exotiquesexotiques ». Par exemple, la communauté de gens travaillant sur la sécurité de Linux est énorme. Cependant, c’est également une mauvaise nouvelle dans la mesure où cette modernisation est aussi profitable aux attaquants, qui ont beaucoup moins d’efforts à faire pour s’attaquer aux systèmes spatiaux (Linux restant Linux, même dans l’espace).
Les mesures de protection concernent deux points. En premier lieu, protéger le SI de l’entreprise (qui reste le même que l’on fabrique des yaourtsyaourts ou des satellites). En second lieu, la « product security ». C’est cette dernière qui est de plus en plus prise en compte dans l’industrie. Elle désigne les contre-mesures que l’on doit mettre à bord des satellites, qui sont assez similaires à ce qu’on peut trouver dans des systèmes embarquéssystèmes embarqués terrestres. Au fond, un satellite n’est qu’un objet connecté parmi d’autres ! Il est certes plus loin, mais n’est pas tellement différent d’un objet connecté du quotidien…
Les bonnes pratiques de sécurisation portent aussi sur l’intégration d’outils classiques de durcissement de l’OS, et de protection des données en transittransit. Il faut de plus noter que de nombreuses initiatives liées au spatial au niveau européen ont été mises en place dans l’objectif de protéger nos données, la souveraineté étant étroitement liée à ce sujet. C’est un des fondements, par exemple, de la constellation IRIS² à venir.
Futura : Vous avez récemment évoqué la nécessité de la « sécurisation des satellites de surveillance de l’Arctique ». Pourquoi est-il important de souligner cette sécurisation ? Existe-t-il des menaces spécifiques qui justifient une attention particulière à cet égard ?
Mathieu Bailly : La surveillance de l’Arctique est principalement météorologique et climatique. L’exploration, la maîtrise et l’exploitation de cette zone sont cependant des sujets hautement géopolitiques. L’observation à partir de l’espace en est un aspect, mais le contrôle des espaces au sol est un enjeu encore plus clé : pour des raisons physiques, en fonction de l’orbiteorbite et de leur inclinaison, les satellites passent souvent par les pôles ; il y a donc beaucoup d’antennes au nord (notamment sur l’île de Svalbard), dont le contrôle permet à la fois de communiquer avec les satellites et écouter leurs communications.
Il y a donc un vrai enjeu stratégique rattaché à ce territoire, qui justifie d’apporter une attention particulière à la sécurité des satellites qui l’observent.
Auteur : Rémy Decourt, Journaliste
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