Décryptage technologique

De GRTgaz à NaTran : face à l’enjeu de décarbonation, quel avenir pour les infrastructures gazières françaises ?

Alors que GRTgaz s’est renommé NaTran début 2025, la consommation de gaz naturel devrait continuer à baisser. En cause, un contexte géopolitique tendu, auquel s’ajoute la nécessité de décarboner le secteur de l’énergie. Dans ces conditions, les politiques énergétiques doivent s’adapter… et les infrastructures gazières aussi.


Ces dernières années, la consommation de gaz naturel en France a fortement diminué, en raison de la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine, la hausse des prix et une réglementation relative à la construction neuve favorisant l’électricité.

Malgré tout, le réseau gazier français reste robuste, avec des interconnexions européennes multiples et des infrastructures adaptées – des réseaux de transport et de distribution, des infrastructures de stockages souterrains et des terminaux gaziers. L’avenir du secteur repose donc sur l’adaptation de ces infrastructures à d’autres vecteurs énergétiques.

La France, tout comme l’Union européenne au travers d’initiatives comme le plan RePowerEU, encouragent cette transition énergétique pour renforcer la sécurité d’approvisionnement et réduire la dépendance au gaz fossile d’ici à 2050.

Le fait que GRTgaz, le principal gestionnaire français du transport de gaz, soit devenu en janvier 2025 NaTran (pour Nature, Transport et Transition), pose question. Cela correspond-t-il à un changement de modèle économique ? À l’adaptation des infrastructures gazières à d’autres vecteurs énergétiques ?

Plus largement, la baisse de consommation de 5,5 % du gaz naturel en France en un an a-t-elle un impact sur l’équilibre financier des opérateurs gaziers ? Quelles impulsions proposent l’Europe (par le biais du plan RePowerEU) et la France dans le cadre de la prochaine Programmation pluriannelle de l’énergie (PPE) ?

Dans cet article, nous dressons un panorama de la situation actuelle et explorons les solutions envisagées pour sauvegarder ces infrastructures dans le cadre des politiques énergétiques françaises et européennes.

Une baisse de la consommation de gaz naturel

Notons en premier lieu que les opérateurs d’infrastructures observent une baisse notable de la consommation de gaz en France, consécutive à la guerre en Ukraine.

Alors que la Russie, fournisseur historique des pays européens, représentait en 2019 près de 41 % des importations gazières de l’UE par gazoduc et par terminaux méthaniers sous forme de gaz naturel liquéfié. Cette part est tombée à 14 % en 2023 avant de remonter à 18 % en 2024. L’interruption de la livraison de gaz russe a mis en évidence la dépendance énergétique européenne.


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La crise ukrainienne a également engendré une importante hausse du prix du gaz, de +70 % et +110 % par rapport à 2021, avec un prix moyen du gaz naturel facturé aux ménages français pouvant atteindre jusqu’à 96 €/MWh. Dès l’été 2022, les consommateurs, qu’ils soient industriels ou particuliers, ont donc été incités à la sobriété.

Par conséquent, la consommation brute de gaz naturel en France est passée de 474 TWh en 2021 à 361 TWh en 2024, ce qui représente une baisse de près de 23 %.

De GRTgaz à NaTran : face à l’enjeu de décarbonation, quel avenir pour les infrastructures gazières françaises ?
Evolution de la consommation de gaz en France entre 2021 et 2024.
NaTran, Teréga, GrDF — Analyse : Natran, Fourni par l’auteur

Cette évolution s’inscrit aussi dans le cadre de la réglementation énergétique française RE2020, en vigueur depuis janvier 2022, qui favorise le choix de l’électricité par rapport au gaz naturel afin d’améliorer la performance énergétique sur les logements neufs et lors des rénovations énergétiques.




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Un réseau gazier français robuste

En France, la gestion du réseau de transport de gaz naturel est partagée entre deux opérateurs, NaTran et Teréga (anciennement TIGF), qui exploitent respectivement 32 600 km et 5 100 km de réseau.

Ce réseau intègre des points d’interconnexion aux frontières avec plusieurs pays européens : la Norvège par Dunkerque, la Belgique par Taisnières, l’Allemagne par Obergailbach, la Suisse par Oltingue et l’Espagne par Larrau et Biriatou.

Ces réseaux relient les points de livraison aux différents points névralgiques :

  • Quinze sites de stockage souterrain. Ils permettent une grande flexibilité de livraison grâce à de l’injection de gaz lorsque la consommation est faible, comme en été, et de soutirage en période de forte consommation, comme en hiver.

  • Quatre terminaux méthaniers. Ces usines regazéifient le gaz naturel liquéfié qui arrive par méthaniers des pays producteurs. Le gaz ainsi obtenu est injecté dans le réseau de transport. En octobre 2023, un terminal flottant a été mis en service au Havre afin de compenser la perte du gaz russe.

Alors que la France s’est fixée pour objectif de ne plus recourir au gaz naturel fossile en 2050, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) préconise l’adaptation des réseaux pour transporter du gaz décarboné, en injectant du biogaz ou de l’hydrogène bas carbone après adaptation des canalisations.

L’espoir du biogaz

La méthanisation (ou digestion anaérobie) consiste en la dégradation de substrats organiques à l’aide de microorganismes en l’absence d’oxygène, générant ainsi du biogaz composé de biométhane (50-70 %), de dioxyde de carbone (30-50 %) et d’eau. Les substrats utilisés correspondent à des biodéchets, avec, en France, une dérogation de 15 % maximum de substrats en poids/an par des cultures alimentaires ou énergétiques cultivées à titre de culture principale.

S’il est injecté sur le réseau, le biogaz est purifié afin de respecter les spécifications réglementaires. Ainsi, en 2024, 13,9 TWh de biométhane, produit sur 731 sites de méthanisation ont été injectés, ce qui correspond à 4 % de l’énergie renouvelable en France. Le biogaz participe donc à la décarbonation du système gazier, avec des objectifs d’injection qui figurent dans la dernière PPE.

À noter cependant que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que le coût de production du biométhane est compris entre 55 et 90 euros par MWh. En comparaison, après une période de prix élevés en 2022 (début de la guerre en Ukraine), le prix moyen du gaz naturel sur le marché français s’élevait à 34 euros par MWh en 2024. L’opérateur NaTran estime qu’il pourrait atteindre 45 euros par MWh en 2025.

Aujourd’hui donc, le prix du biogaz n’est pas encore concurrentiel, sauf si le prix du gaz naturel s’envole.

Injecter de l’hydrogène bas carbone

La deuxième option envisagée est d’utiliser l’hydrogène comme vecteur énergétique. Il « peut changer la donne pour l’Europe », selon Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne lors de son discours du 14 septembre 2022. « Nous devons passer du marché de niche au marché de masse pour l’hydrogène » a-t-elle affirmé, mettant ainsi en avant l’importance de cette molécule pour l’avenir énergétique de l’Europe.

Selon son processus de production, l’hydrogène est désigné par différentes couleurs : gris s’il est obtenu par reformage du gaz naturel, bleu s’il est obtenu par reformage du gaz naturel couplé à la capture de dioxyde de carbone, vert lorsque produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité d’origine décarbonée et enfin rose si l’électricité est d’origine nucléaire, et blanc s’il est extrait du sous-sol.

Seuls les hydrogènes qualifiés de bleu, rose et vert sont actuellement considérés comme « bas carbone ».

L’hydrogène peut alors être acheminé vers l’utilisateur selon deux procédés :

  • Soit l’hydrogène est injecté à hauteur de 5 à 10 % pour enrichir le gaz transporté. Aucune modification d’équipement est alors nécessaire, que ce soit pour l’opérateur (détendeurs de pression, compresseurs) ou pour l’utilisateur final (brûleur). Cependant, avant le déploiement large d’un tel procédé, certains verrous réglementaires, économiques et techniques sont à lever.

  • Soit l’hydrogène injecté est pur, sans mélange avec le gaz transporté. Dans ce cas, une conversion partielle des canalisations est nécessaire. Elle permettrait d’économiser de 50 à 80 % des investissements par rapport à la construction d’un nouveau gazoduc.

Selon l’Observatoire européen de l’hydrogène, le coût actuel de l’hydrogène décarboné s’élève à environ 7 euros/kg, ce qui est supérieur au coût de l’hydrogène gris (non décarboné) évalué à 3,5 euros/kg. Pour optimiser les coûts de l’hydrogène bas carbone, les producteurs étudient la possibilité d’améliorer les technologies, d’augmenter les rendements de production, d’utiliser des matériaux plus performants afin de développer cette filière.




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Un environnement favorable en France et en Europe ?

À l’échelle européenne, le plan RepowerUE a lancé comme objectif la réduction de la dépendance énergétique de l’Union européenne et de renforcer la sécurité d’approvisionnement avec, en particulier, le développement de l’hydrogène décarboné.

En France, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) établi par les pouvoirs publics prévoit un important développement de la production de biogaz, avec comme objectif d’atteindre 50 TWh à l’horizon 2035 contre 12 TWh en 2023. La troisième PPE propose d’ailleurs de promouvoir le biogaz et l’hydrogène bas carbone.

Cependant, pour atteindre ces objectifs, des investissements financiers des pouvoirs publics et des entreprises sont indispensables. Dans un document récent, la Commission de régulation de l’énergie évalue le coût de l’adaptation des réseaux gaziers pour l’hydrogène et le biogaz entre 6 et 9,7 milliards d’euros d’investissement d’ici à 2050.

The Conversation

Salariée d'une filiale d'Engie (Storengy) jusqu'en 2012.

Elisabeth Cazier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Virginie Cartier, Energies Renouvelables, Economie Circulaire, Innovations Environnementales, RSE, UCLy (Lyon Catholic University)

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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