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De l’invisibilité à l’égalité, le défi de la santé des femmes en entreprise

La question de la santé des femmes au travail est trop souvent négligée, par manque d’intérêt, méconnaissance des enjeux spécifiques, ou encore en raison de clichés sur les métiers féminins qui seraient par nature moins physiques. Or, la question de la santé est bien plus vaste et l’ignorance des différences sexuées conduit à une hausse des accidents du travail impliquant des femmes.


En France, un travailleur sur deux est une femme. Si la recherche en santé au travail est abondante, celle qui concerne spécifiquement les femmes reste limitée. Les études menées sur ce sujet sont encore marginales, que ce soit dans les sciences humaines et sociales ou les disciplines biomédicales, faisant de la santé des femmes au travail un angle mort de la recherche.

Ce manque d’informations sur le sujet vient en partie du fait qu’il est rare que la santé soit abordée de manière sexuée. Par exemple, la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam) n’exploite pas les statistiques sexuées dont elle dispose. La Direction générale du travail n’est pas capable de donner une répartition par sexe des arrêts maladie en France. Cette absence d’implication peut entamer la motivation des employeurs à s’impliquer pleinement.

Problématiques invisibilisées

L’approche genrée de la santé étant faiblement intégrée, les statistiques sexuées le sont également, ce qui participe à l’invisibilisation de certaines problématiques. Depuis 2014, le gouvernement impose aux employeurs de réaliser tous les deux ans un entretien professionnel avec l’ensemble de leurs salariés. Si 72,8 % des employeurs, dirigeants et managers interrogés par le laboratoire Val de Loire Recherche en Management (Vallorem) déclarent en mener un chaque année, ils sont néanmoins 36 % à reconnaître que la question de la santé des salariés n’y est pas abordée.

Parmi les facteurs explicatifs, il est possible que certains dirigeants d’entreprises ou managers hésitent à aborder ces sujets, qu’ils considèrent comme relevant de la vie privée de leurs salariées. Or, les sphères privées et professionnelles sont de plus en plus poreuses. Les penser de manière distincte pose davantage de problèmes que cela n’en résout ; penser ces deux aspects de la vie des salariées comme imbriqués permet alors de comprendre les effets de l’un sur l’autre. Si la santé physique des femmes au travail est de mieux en mieux considérée, la santé psychique, largement influencée par les inégalités de genre, demeure largement négligée par les politiques de prévention.

La santé au sens large

En avril 2025, le laboratoire de recherche Vallorem a lancé un baromètre visant à mieux cerner les mécanismes qui invisibilisent la santé des femmes au travail. Il propose une approche large de la santé, pensée comme une inflorescence, soit une dynamique où interagissent les dimensions physiques, psychiques, professionnelles, sociales et personnelles. L’objectif est de comparer les perceptions des employeurs, des dirigeants et des managers à celles des femmes actives, afin d’identifier les convergences et les écarts. Deux questionnaires en ligne ont été diffusés en Région Centre-Val de Loire.

Du côté des employeurs, une certaine réticence persiste à l’idée de penser la santé de leurs collaborateurs de manière sexuée. Certains, bien que conscients de l’importance de cette comparaison, sont peu au fait de la législation qui entoure ces questions, et craignent d’être accusés de discrimination sexiste.

« Gender Blindness » et paradoxe de l’équité

D’autres s’y refusent, par manque d’intérêt pour le sujet. D’autres encore rechignent à aborder le sujet par souci d’égalité : ils ne comprennent pas pourquoi hommes et femmes devraient être perçus de manière distincte lors de la rédaction de documents relatifs à la santé des salariés. Cette ignorance des différences de situations conduit à nier les disparités de genre au regard de la santé, ce qui renforce l’invisibilité des pathologies spécifiques aux femmes. On appelle ce phénomène « gender blindness ».

À ce jour, seuls 30,6 % des répondants au questionnaire envoyé aux employeurs, dirigeants et managers sont des hommes, alors qu’en France les postes à responsabilités sont principalement occupés par des hommes. Cet écart entre les répondants et le panel souligne une participation majoritairement féminine à cette enquête.

La discrimination peut également être utilisée comme un prétexte pour empêcher l’évolution des politiques publiques. Ce phénomène porte un nom, le « paradoxe de l’égalité ». Il désigne le fait d’utiliser l’argument d’une égalité de traitement pour freiner les avancées vers une égalité réelle, notamment pour les minorités.




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Certaines mesures pensées pour répondre à des besoins spécifiques, comme l’allongement du congé maternité ou encore la mise en place d’un congé menstruel, bien qu’applicables sous conditions, augmenteraient in fine les « discriminations à l’embauche ». Ainsi, une mesure pour favoriser le bien-être au travail d’une minorité se retourne in fine en modifiant les regards que certaines personnes portent dessus.


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Des maladies taboues, donc invisibles

Certaines pathologies féminines sont invisibilisées. Cela se reflète dans les attentes exprimées par les premières concernées. Ainsi, les données issues de l’enquête en cours illustrent le besoin de reconnaissance et d’adaptation des conditions de travail face à ces réalités. En effet, 55,5 % des femmes interrogées sont favorables à la mise en place d’un congé menstruel et 69,98 % des femmes concernées déclarent que la ménopause a des effets négatifs sur leur travail.

En outre, ces problèmes de santé sont souvent négligés, car peu visibles. L’occupation par les femmes de postes considérés comme moins exposés aux risques que ceux des hommes tend à renforcer cette invisibilisation.

Pour appuyer l’idée que les hommes sont davantage touchés par les risques professionnels, est souvent mis en avant le nombre plus élevé d’accidents du travail chez ces derniers. Pourtant, à mieux y regarder, on constate que, si ce chiffre est en baisse, cette tendance s’explique principalement par une diminution chez les hommes, tandis qu’ils augmentent chez les femmes.

Entre 2001 et 2019, les accidents du travail ont globalement diminué de 11,1 %, mais, paradoxalement, ils ont baissé de 27,2 % chez les hommes, tandis qu’ils ont augmenté de 41,6 % chez les femmes.

France 24, 2025.

Risques minimisés

Les pathologies professionnelles sont par ailleurs bien plus élevées chez ces dernières. Les métiers du « care », qui consistent à prendre soin des autres, ainsi que ceux où les femmes sont surreprésentées, exposent à des risques souvent minimisés. Gestes répétitifs, postures contraignantes, produits chimiques, les troubles musculosquelettiques et autres pathologies invisibles sont fréquents, y compris dans des secteurs perçus comme peu pénibles.

Récemment, une étude (non genrée) belge a révélé la présence de 70 résidus de pesticides dans l’urine de fleuristes, dont certains interdits en Europe. De nombreuses femmes témoignent de cancers précoces, de difficultés à concevoir ou de malformations et maladies graves chez leurs enfants.

Même si le lien entre ces expositions et les pathologies est désormais reconnu par le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, la justice refuse encore souvent d’en tirer des conséquences. De la même façon, dans le secteur agricole, l’exposition des conducteurs d’engins est plus facilement prise en compte que celle des femmes qui trient et conditionnent fruits et légumes.

Le baromètre régional de la santé des femmes au travail (SFT2025) montre l’importance de croiser les enjeux de genre, de santé et de travail, encore trop souvent traités séparément. En rendant visibles des réalités invisibilisées, elle ouvre des pistes concrètes pour améliorer la santé des femmes, favoriser l’égalité en entreprise et, plus largement, faire évoluer les pratiques au bénéfice de toute la société.

De l’invisibilité à l’égalité, le défi de la santé des femmes en entreprise

Elise Bonneveux a reçu des financements de la région Centre Val de Loire et des mécènes de la chaire Inclusion au Travail et Management

Annabelle Hulin a reçu des financements de la Région Centre Val de Loire et des mécènes de la Chaire Inclusion au Travail et Management.

Héloïse Trouilleux a reçu des financements de la Région Centre Val de Loire et des mécènes de la Chaire Inclusion au Travail et Management.

Auteur : Elise Bonneveux, Maître de conférences en sciences de gestion – membre du laboratoire de recherche VALLOREM (EA 6296), Université de Tours

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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