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Des molécules organiques d’une taille sans précédent découvertes sur Mars


Pour la première fois, des scientifiques ont identifié sur Mars des molécules organiques comportant jusqu’à 12 atomes de carbones. La découverte, publiée ce lundi 24 mars dans la revue PNAS, a été réalisée dans un échantillon de roche prélevé par le rover Curiosity dans le cratère Gale.

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Caroline Freissinet, géochimiste au Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations spatiales (LATMOS/CNRS) et autrice principale de l’étude, explique au Point pourquoi ces fragiles molécules constituent une avancée décisive pour la recherche de traces de vie ancienne sur la planète rouge, ouvrant de nouvelles perspectives pour les futures missions d’exploration.

Le Point : Quelles molécules organiques avez-vous identifiées dans le sol martien et en quoi cette découverte est-elle inédite ?

Caroline Freissinet : Nous avons découvert les plus grandes molécules jamais identifiées sur Mars : des chaînes linéaires comportant 10, 11 et 12 carbones – du décane, de l’undécane et du dodécane. C’est vraiment différent des molécules organiques trouvées précédemment, qui étaient plus petites et en forme d’anneaux, donc plus stables. Ces molécules linéaires sont beaucoup plus fragiles, surtout face aux radiations.

Le fait d’avoir découvert des molécules aussi fragiles préservées dans une roche datant de 3,7 milliards d’années est exceptionnel. Cela nous donne beaucoup d’espoir : nous savons désormais que si la vie existait sur Mars il y a 3,5 à 4 milliards d’années, ses résidus chimiques, qui sont des molécules complexes, pourraient avoir été préservés jusqu’à aujourd’hui.À LIRE AUSSI Euclid, le chasseur de l’univers sombre, dévoile ses premiers trésors

Par ailleurs, plus on trouve des molécules de grande taille, plus on se rapproche d’un système ayant une potentialité biologique. En effet, la vie repose sur une chimie très complexe basée sur de grosses molécules. Aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure de dire si ces molécules à 12 atomes de carbone ont une origine chimique ou biologique – et nous sommes loin de dire que nous avons trouvé la vie, mais d’un point de vue statistique, c’est un pas de plus.​​​​​​

Dans les systèmes vivants terrestres, ces acides carboxyliques à longue chaîne forment les membranes des cellules. Mais attention, ces mêmes acides peuvent également être formés par des réactions chimiques abiotiques, comme les réactions de Fischer-Tropsch.

Comment avez-vous identifié ces molécules et quelle pourrait être leur origine ?

​Nous avons détecté ces alcanes grâce à une méthode d’analyse innovante. L’échantillon a été foré en 2013 dans une zone appelée Cumberland, mais cette découverte n’intervient que maintenant car nous avons développé une nouvelle approche : préchauffer l’échantillon jusqu’à 450 degrés pour en relarguer l’oxygène avant de le chauffer à 850 degrés pour l’analyser. En fait, nous avions gardé deux portions de cet échantillon dans notre instrument SAM et, en décembre 2016, nous avons utilisé l’un d’eux avec cette nouvelle méthode. En éliminant l’oxygène avant l’analyse, nous avons empêché l’oxydation qui détruit normalement la matière organique lors du chauffage.

Au départ, nous n’avons rien noté de spécial mais quand j’ai repris ces données quelques années plus tard, j’ai remarqué une anomalie : des pics supplémentaires sur le spectre que nous n’avions jamais vus ailleurs. Après vérification en laboratoire sur le modèle de rechange de SAM au Nasa Goddard (un centre de recherche dans le Maryland, aux États-Unis), nous avons confirmé qu’il s’agissait bien d’alcanes à longues chaînes.

Notre hypothèse principale est que ces molécules proviennent d’acides carboxyliques, autrement dit des acides gras, présents dans le sol martien. Quand on chauffe ces acides à haute température dans notre instrument, on casse la liaison acide carboxylique et on forme des alcanes. Des expériences en laboratoire ont confirmé ce processus.

Or, cette hypothèse est particulièrement intéressante car les acides carboxyliques sont plus stables à la surface de Mars que les alcanes. Ils constituent une sorte de puits moléculaire : c’est-à-dire que des molécules plus grosses, de plusieurs types, en se dégradant à la surface de Mars, vont former des acides carboxyliques qui sont plus stables. Dans les systèmes vivants terrestres, ces acides carboxyliques à longue chaîne forment les membranes des cellules. Mais attention, ces mêmes acides peuvent également être formés par des réactions chimiques abiotiques, comme les réactions de Fischer-Tropsch.À LIRE AUSSI Le rover Perseverance a-t-il trouvé des preuves d’une vie ancienne sur Mars ? On en a trouvé dans des météorites formés sans intervention de la vie. Un indice intéressant est que nos mesures montrent une légère préférence pour les chaînes à nombre pair de carbones – comme dans la biologie terrestre où les enzymes forment ces molécules deux carbones par deux carbones. Mais avec seulement trois points de mesure, cette tendance reste à confirmer.

Sur Terre, il y a environ 3,8 milliards d’années, la vie apparaissait. Si les conditions étaient similaires et que la vie est apparue sur Terre, pourquoi pas sur Mars ?

Quelles implications cette découverte a-t-elle pour notre compréhension de Mars ancienne et pour les futures explorations ?

Cette découverte est d’autant plus significative que l’échantillon date de 3,7 milliards d’années, une période où Mars était habitable. Le cratère Gale était alors un lac d’eau douce, avec un pH neutre et peu de salinité – des conditions idéales pour l’apparition de la vie. À cette époque, Mars et la Terre étaient comme des jumelles. Sur Terre, il y a environ 3,8 milliards d’années, la vie apparaissait. Si les conditions étaient similaires et que la vie est apparue sur Terre, pourquoi pas sur Mars ? Bien sûr, c’est une supposition, mais elle repose sur des observations concrètes.

Pour l’avenir, nous avons plusieurs perspectives. À court terme, nous avons encore un échantillon de Cumberland dans SAM que nous n’avons pas analysé. Nous espérons développer une nouvelle méthodologie pour voir plus de variétés de cette même famille chimique – des alcanes avec 6, 7, 8, 9 carbones que notre protocole actuel ne permet pas de détecter.

Si nous parvenons à élargir cette gamme, nous pourrons mieux quantifier la différence entre les molécules ayant un nombre pair ou impair de carbones. Dans les systèmes vivants terrestres, les enzymes favorisent la formation de chaînes à nombre pair de carbones. Avec plus de points de mesure, nous pourrions potentiellement obtenir un indice supplémentaire sur une origine biologique.


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À moyen terme, la mission européenne ExoMars prévue pour 2028 explorera Oxia Planum, un site encore plus ancien que le cratère Gale. Son instrument MOMA pourra mieux déterminer si l’origine des molécules est biologique ou chimique. De plus, ExoMars pourra forer jusqu’à 2 mètres de profondeur, où les molécules sont mieux préservées qu’en surface.

À plus long terme, le programme Mars Sample Return pourrait, vers la fin des années 2030, rapporter sur Terre des échantillons martiens collectés par le rover Perseverance, permettant des analyses bien plus poussées. Reste à savoir si ces échantillons seront aussi riches que celui de Cumberland, qui s’avère être l’échantillon le plus précieux de toutes les missions spatiales actuelles.
 


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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.