Et si vos salariés devenaient vos meilleurs alliés pour innover ?

Alors que le désengagement des salariés menace toujours plus la compétitivité des entreprises, une étude montre que la co-création interne crée de la valeur à la fois pour le salarié et pour l’entreprise.
Le quiet quitting, ou « démission silencieuse », désigne ces collaborateurs qui se contentent du strict minimum sans quitter leur poste. Cette tendance est devenue une source de préoccupation majeure pour les entreprises. Selon le dernier rapport de Gallup « State of the Workplace », seuls 19 % des salariés français se disent pleinement engagés dans leur travail. Ce désintérêt coûte cher : plus de 3 800 € par an et par employé.
Turnover élevé, baisse de productivité ou encore ralentissement du rythme des innovations… la liste des conséquences pour l’entreprise est longue. Pourtant, des solutions existent, et l’une d’entre elles pourrait être la co-création interne. Elle repose sur un principe clé : valoriser l’expertise et la créativité des collaborateurs, en leur offrant un rôle actif dans la réflexion autour de la conception ou l’amélioration de produits, services voire processus de l’entreprise.
D’après notre étude conduite auprès de collaborateurs issus de divers secteurs d’activité et fonctions, cette approche agit comme un catalyseur, permettant aux employés d’atteindre des objectifs qu’ils jugent essentiels : reconnaissance des pairs, efficacité et implication personnelle, apprentissages organisationnels, liens sociaux ou encore bien-être au travail. Elle montre que la mise en place d’un projet de co-création interne crée de la valeur à la fois pour le salarié et pour l’entreprise.
Alors, comment donner la bonne place aux salariés pour innover ?
Reconnaissance personnelle
Selon notre étude, le salarié perçoit de nombreux bénéfices à participer à ce projet, ce qui génère de la valeur pour lui. Cette valeur influence ensuite positivement – ce que nous appelons les valeurs instrumentales – le fait que le salarié estime que l’entreprise lui témoigne son soutien. La co-création agit également sur les valeurs terminales, en augmentant sa satisfaction et sa motivation. Ces dynamiques de soutien organisationnel et de motivation se retrouvent dans les témoignages recueillis lors d’une précédente recherche qualitative menée auprès de participants à des projets collaboratifs. L’un d’eux illustrait ainsi le sentiment de soutien ressenti :
« On avait l’opportunité d’avoir le directeur de l’innovation avec nous… il était très à l’écoute de nos idées, et il en a fait quelque chose derrière. »
Un autre témoignage révélait l’impact motivationnel de cette participation :
« On va pouvoir trouver une super idée qui n’a pas été mise en place […] et puis participer aussi à un collectif, directement je trouve que ça renforce son sentiment d’appartenance. »
Prenons l’exemple de la reconnaissance personnelle. Lorsque les salariés sentent que leurs idées sont prises en compte, cela renforce leur sentiment d’être valorisés par l’entreprise. Les interactions sociales générées par ce type de projet collaboratif créent également des connexions entre les collègues, qui transcendent les silos organisationnels. Cette dimension relationnelle, source de motivation supplémentaire, transparaît dans ce témoignage : « On n’était pas forcément très proche, et j’ai découvert du coup cet aspect chez lui, cette créativité. »
Abonnez-vous dès aujourd’hui !
Chaque lundi, des informations utiles pour votre carrière et tout ce qui concerne la vie de l’entreprise (stratégie, RH, marketing, finance…).
Les bénéfices ne s’arrêtent pas là ; ils dépassent le cadre individuel pour avoir une portée collective tangible ! Notre modèle testé auprès de 1 288 individus – représentatif sur différents critères comme l’âge, le niveau de diplôme, la taille de l’entreprise, le poste occupé – ayant participé à un projet de co-création, révèle que même les salariés peu satisfaits de leur poste éprouvent un regain de motivation lorsqu’ils participent à ce type de démarche. Ce mécanisme repose sur une causalité circulaire. Plus les employés se sentent impliqués dans l’organisation, plus ils apprécient ces projets collaboratifs, et inversement.
Sodexo et Eiffage
Certaines entreprises ont déjà adopté avec succès la co-création interne pour stimuler l’innovation et renforcer l’engagement de leurs collaborateurs.
Prenons le cas de Sodexo, leader mondial en gestion alimentaire durable et services intégrés. En 2016, l’entreprise a lancé la plateforme Innov’Hub permettant à ses milliers d’employés de partager leurs idées, de collaborer sur des projets et de contribuer à l’innovation stratégique du groupe. Grâce à cet outil, Sodexo a non seulement renforcé l’engagement de ses équipes mais aussi développé des solutions innovantes et adaptées aux besoins locaux et globaux.
Un autre exemple marquant est celui d’Eiffage. Le groupe français, spécialisé dans la construction, les infrastructures ou encore les concessions, a créé la plateforme Start Box pour mobiliser ses 50 000 collaborateurs autour d’enjeux stratégiques pour le groupe. Lancée en 2017, cette initiative a permis aux employés de proposer des solutions innovantes sur des thématiques variées, telles que le bas-carbone, la prévention des risques ou encore le logement durable. En seulement quelques jours, certaines campagnes ont généré plus de 10 000 engagements, illustrant la mobilisation rapide des équipes.
La campagne « Logement de demain » a donné naissance à trois nouvelles offres d’Eiffage Immobilier aujourd’hui commercialisées. Cette démarche participative ne se limite pas à recueillir des idées : elle favorise le dialogue entre les filiales, renforce la cohésion interne et accélère la mise en œuvre de projets concrets qui répondent aux enjeux RSE de demain.
Moins de 35 ans les plus enthousiastes
Pour que la co-création interne soit efficace, il est essentiel d’adapter la démarche au profil des participants. Selon notre étude, les moins de 35 ans et les cadres supérieurs sont souvent les plus enthousiastes, attirés notamment par les opportunités d’apprentissage et par les interactions sociales qu’offrent ces projets. À l’inverse, les salariés expérimentés, de plus de dix ans d’ancienneté, se montrent parfois plus réservés, notamment lorsqu’ils estiment avoir déjà vécu des expériences similaires qui n’ont pas abouti.
À lire aussi :
Réarmement : l’indispensable coopétition entre petites, moyennes et grandes entreprises de la défense
Pour mobiliser ces profils variés, il est essentiel d’adopter une communication ciblée. Les jeunes générations seront davantage sensibles aux bénéfices liés au développement des compétences et au réseautage professionnel. Les collaborateurs plus expérimentés répondront mieux à des arguments mettant en avant la reconnaissance – bénéfice statutaire – et l’efficacité personnelle qu’ils peuvent en retirer. Un autre résultat important issu de l’étude : former des équipes de co-création diversifiées en termes d’âge, d’ancienneté au sein de l’entreprise et de niveau hiérarchique.
Si l’entreprise oblige les collaborateurs à participer à un projet de co-création, cela peut produire l’effet inverse : un manque d’implication, des idées peu innovantes ou encore une collaboration de façade. C’est pourquoi il est préférable d’éviter toute forme de coercition. Notre recommandation ? La récompense personnalisée pour le salarié qui contribue comme levier de motivation : promotions internes, formations spécifiques ou reconnaissance symbolique lors d’événements officiels.
Réponse face au désengagement
Comme le souligne notre étude, la co-création n’est pas une démarche à mener ponctuellement, mais une culture organisationnelle à long terme. Elle donne aux salariés, à tous les niveaux, le pouvoir d’agir et de contribuer activement à l’avenir de leur entreprise. Une culture où l’entreprise devient un terrain fertile pour les idées – celles qui font avancer ses produits et services autant que celles qui redonnent du sens au quotidien professionnel de ses équipes.
Alors que le désengagement menace toujours plus la compétitivité des entreprises, il est temps pour elles d’investir dans cette approche collaborative. Car après tout, qui de mieux placés pour imaginer et construire l’avenir de l’entreprise, que ses propres salariés ?
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
Auteur : Elodie Jouny-Rivier, Enseignant-chercheur en marketing, ESSCA School of Management
Aller à la source