Être hyperconnecté et en présentiel permet-il d’échapper aux tâches domestiques ?

Hybridation et hyperconnectivité : une stratégie d’évitement pour échapper aux tâches domestiques ? Débranche et revenons à nous ! Une étude menée en 2022 conclut que les hommes prennent davantage part aux tâches domestiques et familiales en situation de télétravail à domicile. Le télétravail, le jackpot de l’équilibre vie professionnelle-personnelle ?
Cinq années après la pandémie de Covid-19 et le télétravail massif, les scientifiques en organisation ont mis en lumière les effets secondaires du travail hybride : agencement organisationnel, brouillage des frontières vie privée/vie professionnelle et surcharge de travail. Le télétravail touche aujourd’hui un quart des salariés en France, deux tiers des cadres. Il est particulièrement répandu chez les personnes en CDI, les plus diplômées, chez les plus jeunes et dans le secteur privé.
Cette révolution copernicienne du travail produit des effets dans la sphère intime du couple. Le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, « Pour une mise en œuvre du télétravail soucieuse de l’égalité entre les femmes et les hommes », mentionne de nombreuses inégalités subies par les femmes, notamment en matière de répartition des tâches domestiques et de charge mentale. Le déséquilibre entre hommes et femmes serait amplifié avec le télétravail. En cause les difficultés de garde d’enfants et l’espace de travail inadapté.
Nouvelle donnée : ce mode de travail hybride permet d’échapper à certaines tâches domestiques. Pour ce faire, nous avons mené une étude quantitative entre le 3 février et le 3 mars 2022 auprès de 211 télétravailleurs à domicile, au lendemain de la levée de l’obligation de télétravailler. Elle conclut que, parmi notre échantillon, les hommes prennent davantage part aux tâches domestiques et familiales en situation de télétravail à domicile. Une meilleure conciliation des temps de vie et une moindre participation aux tâches domestiques pourraient ainsi s’avérer favorables aux femmes.
Alors le télétravail à domicile peut-il réduire les inégalités professionnelles de genre en créant un ré-équilibrage des tâches en faveur des femmes ?
Division sexuelle du travail domestique inégalitaire
Pour la sociologue Marianne Le Gagneur, le télétravail ne redistribue pas les cartes d’une division sexuelle du travail domestique inégalitaire. Les télétravailleuses tablent sur cette journée pour laver leur linge ou faire la vaisselle par exemple, elles n’ont plus de véritables pauses. L’enquête 2023 de l’UGIC-CGT suggère également que le télétravail se solde pour les femmes par des journées plus intenses. Ce contexte de difficultés techniques rend leur activité moins fluide et plus hachée que celle des hommes – problèmes de connexion, de matériel, d’applications numériques.
Nos résultats vont partiellement à l’encontre de ces études et enquêtes. Ils enrichissent ceux de Safi qui conclut à une répartition plus équitable des tâches domestiques en situation de télétravail. À la question « Quand vous travaillez à domicile, profitez-vous de l’occasion pour vous occuper de vos enfants le cas échéant ? 16 % des hommes répondent « souvent ou très souvent » contre 8 % pour les femmes.
À la question « Quand vous travaillez à domicile, en profitez-vous pour vous occuper des tâches domestiques ? » 29 % des hommes son concernés contre 28 % pour les femmes.
Les hommes prennent part aux tâches domestiques et familiales. Ces résultats ambivalents et surprenants pointent le télétravail comme un enjeu au cœur du rééquilibrage des temps et une répartition différente des contraintes domestiques entre les hommes et les femmes.
Augmentation du temps de travail
Pour 82 % des répondants à l’étude de l’UGIC-CGT, le télétravail est plébiscité pour garantir un meilleur équilibre vie professionnelle/vie personnelle. Cette promesse d’une meilleure articulation des temps de vie s’accompagne d’une augmentation du temps de travail – 35,9 % des répondants – et de difficultés à déconnecter. Seulement 36 % des répondants bénéficient d’un dispositif de droit à la déconnexion, alors même que ce droit se trouve dans le Code du travail. Cela suggère que le télétravail, qu’il soit exclusif ou en alternance, est associé à des niveaux de tensions d’équilibre pro/perso inférieurs à ceux du travail exclusivement en présentiel.
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Les derniers chiffres de l’Observatoire de l’infobésité sont éloquents : 20 % des e-mails sont envoyés hors des horaires de travail (9 heures-18 heures) ; 25 % des managers se reconnectent entre 50 et 150 soirs par an ; 22 % des collaborateurs ont entre 3 et 5 semaines de congés numériques (sans e-mails à envoyer) par an. Alors que les emails sont identifiés comme source de stress générant des comportements d’évitement.
L’hyperconnectivité comme stratégie d’évitement
La notion d’évitement correspond à des efforts volontaires d’un individu pour faire face à une situation qu’il évalue comme stressante. Elle implique que cette situation est perçue comme difficile à surmonter et menaçante pour son bien-être. Un individu met en place différents processus entre eux. Il peut ressentir cet événement comme menaçant. L’enjeu est d’échapper à une situation inconfortable.
La dépendance à l’hyperconnectivité peut s’expliquer par des injonctions implicites ou une forme d’autocontrôle et d’autodiscipline. Cela suggère une servitude volontaire où les employés répondent aux sollicitations professionnelles à tout moment. Cette hyperconnectivité pourrait être un prétexte pour échapper aux tâches domestiques considérées comme peu valorisantes. Le collaborateur, volontairement ou non, se connecte ou répond à des sollicitations en dehors des horaires classiques de travail. Peut-être pour échapper à des contraintes personnelles et familiales ? Et s’investir dans un champ unique limitant la charge mentale.
Stress supplémentaire
L’imbrication croissante des espaces de travail et de vie personnelle due à l’hyperconnectivité engendre des conflits de rôle. Elle ajoute un stress supplémentaire aux individus et compromet leur bien-être. Autrefois, les frontières entre les temps et lieux de travail et de vie privée étaient claires : on se connectait au bureau à 9 heures et on se déconnectait à 18 heures, laissant ainsi le travail derrière soi. Aujourd’hui, ces frontières se sont effacées, rendant la déconnexion plus difficile à gérer.
Cette hybridation des espaces de vie, où le travail et les activités domestiques ou familiales s’entremêlent, apporte certes de la flexibilité. Elle permet par exemple d’emmener ses enfants à la crèche avant de se connecter au travail. Mais ce « mélange des genres » peut aussi être source de stress. Il génère un sentiment d’incapacité à tout gérer en même temps, provoquant des conflits de rôle, où les exigences professionnelles empiètent sur la vie personnelle et inversement.
Caroline Diard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Auteur : Caroline Diard, Professeur associé – Département Droit des Affaires et Ressources Humaines, TBS Education
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