Décryptage technologique

Faut-il supprimer les zones à faibles émissions au nom de la justice sociale ?

Les zones à faibles émission (ZFE), déjà en place à Paris, Grenoble, Lyon ou Strasbourg, excluent progressivement les automobiles les plus polluantes des centres urbains. Pourtant, mardi 17 juin, une majorité de députés (essentiellement MoDem, LR et RN) a adopté un projet de loi mettant fin à l’extension des ZFE. Les députés LFI avaient déjà voté pour leur suppression en mai au nom de la justice sociale. Mais les ZFE sont-elles vraiment injustes socialement ? Plusieurs études en région parisienne évaluent leur impact sur les différentes catégories de populations – avec des résultats inattendus.


Malgré une amélioration constante de la qualité de l’air en France depuis plusieurs décennies, les seuils de dangerosité pour la santé de concentration des polluants réglementaires ne sont toujours pas respectés. Politiques territoriales très diffusées en Europe, les zones à faibles émissions (ZFE) devaient être la clé de voute d’une politique française de lutte contre la pollution atmosphérique dans les grandes villes. En janvier 2025, la loi Climat et Résilience impose de déployer les ZFE dans de nouvelles agglomérations et de renforcer celles de Paris et Lyon, villes toujours trop polluées. Un certain nombre de partis politiques se sont alors érigés en défenseur des travailleurs et artisans qui seraient contraints dans leur déplacement par les ZFE. Ainsi, le 28 mai 2025, l’Assemblée nationale a voté pour la suppression des ZFE en France avec comme principale critique qu’elles n’étaient pas juste socialement. Mais est-ce vraiment justifié ?

Des gains sur la qualité de l’air et sur la santé des plus précaires

Les études scientifiques montrent unanimement que, quelles que soient les restrictions et le périmètre, les bénéfices sur la qualité de l’air sont là. Les concentrations de particules fines et de dioxyde d’azote, les 2 polluants atmosphériques visés par les ZFE, diminuent de quelques pour cent indépendamment du renouvellement naturel du parc automobile. Les retards dans les restrictions et l’absence de contrôle limitent leur efficacité. Le nombre de maladies cardiovasculaires et de cas d’asthmes seraient aussi moins nombreux grâce aux ZFE. Les populations défavorisées sont plus vulnérables aux problèmes environnementaux comme la pollution de l’air. Elles sont en effet fragilisées par leurs contraintes sur leur mode de vie comme leur emploi plus physique ou leur alimentation moins diversifiée et ainsi à la multiplication des expositions environnementales néfastes pour leur santé. En France, une seule étude montre sur la région parisienne que les bénéfices de santé publique des ZFE seraient également répartis socialement, résultat qu’il faudra consolider avec d’autres études.

Peut-on parler pour autant d’une mesure inégalitaire ?

Les politiques ont tendance à attendre que le renouvellement naturel du parc automobile diminue la part des voitures à interdire de circuler à un taux très faible pour mettre en place les ZFE. Des premières études montrent que ce sont alors les plus défavorisés qui sont impactés dans leurs déplacements. Les autres ménages ont pu acheter une voiture plus récente ou adapter leur déplacement. Finalement ces retards dans le calendrier n’ont que peu d’impacts sur la nécessité d’accompagner les ménages défavorisés contraints mais limitent les bénéfices sur les concentrations de polluants. Le sentiment d’injustice est renforcé par les très nombreux SUV récents et chers qui sont toujours autorisés à circuler. S’ils peuvent émettre moins de polluants que des véhicules anciens, ils n’en sont pas moins des nuisances environnementales et urbaines.

Certains partis politiques se veulent clairement les défenseurs des habitants d’une « France périphérique » qui n’auraient plus accès aux centres des métropoles et seraient alors rejetés.

Pourtant, une exploitation de l’Enquête Global Transport de la région datant de 2020 sur les pratiques de mobilité des résidents montre que la ZFE ne concernait que 2 % des déplacements quotidiens en Île-de-France. De plus, dans une étude récente, nous avons montré que les déplacements des 20 % les plus pauvres ne contribuent qu’à hauteur 9 % de la pollution automobile. Si l’on considère les conducteurs du périurbain qui se déplacent dans le centre, les proportions sont quasiment identiques : 20 % des plus pauvres ne contribuent qu’à hauteur de 7 % de la pollution automobile. On peut expliquer ces résultats par le fait que les populations défavorisées sont moins nombreuses à utiliser leurs voitures quotidiennement dans le centre ou la périphérie.

Ce résultat montre que les ZFE ne concernent qu’une très faible part des pollutions émises par les véhicules particuliers dans les centres. La plus grande part n’est pas produite par les populations précaires. Ce résultat confirme que l’étalement des emplois peu qualifiés en périphérie et la réalité des prix immobiliers rendent les centres inaccessibles à certaines populations défavorisées. La faible part des déplacements des plus pauvres vers le centre soulèvent donc plutôt des enjeux d’aménagement du territoire et de conditions de logement dans les centres.

Qu’est-il possible de faire maintenant ?

La non-régulation de l’étalement urbain et les politiques de logement successives favorisant la maison individuelle ont participé au développement des territoires périurbains dépendants de la voiture.

N’oublions pas que la périurbanisation et l’obligation dans de très nombreux territoires d’utiliser la voiture est le fruit de politiques. Le détricotage actuel de la politique de zéro artificialisation nette (ZAN) par les mêmes partis politiques critiquant la ZFE participe de cette fuite en avant vers toujours plus de dépendance à la voiture et donc de vulnérabilités). En ciblant les véhicules les plus anciens, les ZFE sont effectivement inégalitaires, pour autant, elles servent de cadre et d’argument pour construire des politiques volontaristes et faire face à cette vulnérabilité. Pour créer des alternatives efficaces à la voiture dans les grandes métropoles, les politiques de développement de nouvelles offres comme les réseaux cyclables et de tramway doivent être accompagnés de mesures restrictives de la circulation routière comme les zones à trafics limités (ZTL), la végétalisation des chaussées ou l’agrandissement des trottoirs. Ce type de mesures qui restreint tous les véhicules est non inégalitaire socialement et protège la santé et la sécurité des urbains.

Pour rappel, en France en 2023, 660 piétons et cyclistes ont été tués, la plupart en ville, et par des véhicules motorisés. Les communes ou les départements qui gèrent le réseau de voirie manquent de coordinations politiques pour proposer des politiques cohérentes et ambitieuses. L’intérêt des ZFE est aussi d’être à l’échelle des métropoles, un échelon territorial souvent plus pertinent pour prendre des décisions sur la mobilité. Elles pourraient ainsi être la première étape vers une redéfinition des compétences.

Les ZFE mettent en exergue ces inégalités et ces contraintes territoriales fortes qui dessinent des trajectoires de mobilité opposées entre centres, qui restreignent la voiture, et périphéries qui la défendent. Enterrer encore une fois les questions d’inégalités plutôt que d’améliorer le système de mobilité autour des ZFE ne fera que renforcer le ressentiment des Français. Ce débat autour de la restriction de la circulation des populations précaires n’est pas le signe d’un abandon total de la remise en cause des autres inégalités ? La voiture serait le dernier lien avant le déclassement total. Reconstruire les autres liens et prendre à bras le corps les nombreuses autres inégalités réduiraient la tension autour de ce symbole qui, comme l’avion pour les plus riches, devra par anticipation ou par contrainte naturelle, être réduit aux usages les plus essentiels.

Faut-il supprimer les zones à faibles émissions au nom de la justice sociale ?

Alexis Poulhès ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Alexis Poulhès, Enseignant-chercheur, Laboratoire Ville Mobilité Transport, École Nationale des Ponts et Chaussées (ENPC)

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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