Décryptage technologique

Face à la crise des opioïdes, Donald Trump durcit le ton contre le Mexique, promettant des sanctions, désignant des cartels comme « organisations terroristes », et menaçant d’une intervention militaire sur le sol mexicain. Mais entre posture électorale et tension bilatérale, la stratégie de Washington semble plus soulever des risques qu’apporter des solutions.


Durant sa campagne électorale en 2024, Donald Trump s’était fait fort de résoudre le grave problème posé par les opioïdes illicites et le fentanyl, qui causent chaque année des dizaines de milliers de décès aux États-Unis.

Il s’était engagé à exécuter les trafiquants et à prendre des mesures contre le Canada, le Mexique et la Chine, jugés responsables de l’arrivée sur le territoire des États-Unis des drogues et des précurseurs chimiques utilisés pour les produire.

Une fois arrivé au Bureau ovale, il a mis en place des tarifs douaniers sur les importations depuis la Chine, dans l’objectif de la contraindre à adopter un contrôle plus important des exportations des précurseurs vers le Mexique.

Il a également attaqué verbalement à plusieurs reprises le Mexique, ainsi que le Canada, pour un supposé manque de contrôle de leurs frontières.

Dans ce reportage datant de 2024, on entend notamment un fabricant mexicain de fentanyl expliquer (à 5’15) : « La pâte est constituée de composants qui nous viennent de Chine. Là-bas, c’est légal. »

Si le présent article se concentre sur la frontière sud avec le Mexique, il faut noter que le Canada, dont le flux de fentanyl illégal vers les États-Unis a représenté moins de 16 kg sur un total de presque 10 tonnes saisies toutes frontières confondues en 2024, a réagi en nommant un « Fentanyl czar » en février dernier afin d’améliorer une coopération policière bilatérale déjà assez solide, mais surtout pour tenter de répondre aux exigences croissantes de la nouvelle administration états-unienne.

Le Mexique, au cœur de la réponse trumpienne

Donald Trump a évoqué la possibilité d’envoyer des troupes des forces spéciales au Mexique pour éliminer les cartels de la drogue. Il a aussi promis de renvoyer des membres de gangs présumés vers une prison de haute sécurité au Salvador, dont le président est son allié (des renvois remis en cause par la justice américaine). L’hôte de la Maison Blanche a, en outre, menacé de signer un décret qualifiant le fentanyl d’arme de destruction massive, ce qui alourdirait fortement les sanctions pénales contre les personnes arrêtées, allant jusqu’à la peine de mort.

Certes, on se saurait reprocher au président des États-Unis de se concentrer sur la crise des opioïdes ; ces drogues, et principalement le fentanyl, ont tué plus d’un demi-million d’Américains depuis 2012. Les overdoses liées au fentanyl seul ont presque triplé entre 2019 et 2023, passant de 31 000 à 76 000 décès. Une nette baisse de la mortalité a toutefois été enregistrée en 2024 avec une diminution de 36,5 % des décès dus au fentanyl, qui se sont élevés cette année-là à environ 48 000 morts.

Mais bon nombre des propositions avancées par l’administration Trump comportent de graves risques. Des mesures telles que les sanctions tarifaires et des opérations militaires au Mexique feraient plus de mal que de bien, en mettant encore plus l’accent sur les approches punitives au détriment de la coopération transnationale.

Par exemple, la désignation des cartels de la drogue et d’autres organisations criminelles comme des organisations terroristes étrangères (aux côtés du Hamas ou de Daech), en place depuis janvier dernier, entraîne des sanctions américaines, y compris le gel des avoirs, des restrictions sur les transactions financières et l’interdiction pour les citoyens et organisations des États-Unis d’apporter leur soutien ou leur assistance aux membres des cartels. Depuis l’application de cette désignation, les entreprises (états-uniennes ou sous-traitantes) opérant dans des zones contrôlées par des cartels qualifiés d’organisations terroristes, ou entretenant des relations commerciales – même contraintes – avec ces entités, s’exposent à un risque accru de faire l’objet d’enquêtes diligentées par les autorités américaines et de sanctions économiques, ainsi que de poursuites pénales ou civiles en lien avec des affaires de terrorisme.

Les administrations précédentes, y compris celle de Trump lors de son premier mandat, avaient déjà envisagé une telle désignation avant d’y renoncer. Car, au lieu de soutenir la riposte face aux cartels sur le terrain, elle perpétue la « guerre aux drogues » et favorise le déplacement géographique des opérations de production et de trafic d’un endroit à un autre, provoquant ce que l’on appelle un effet ballon, conséquence connue et largement étudiée des approches punitives face au trafic de drogues.

La posture du Mexique

Les autorités mexicaines sont-elles exemptes de toute responsabilité dans ce face-à-face tendu avec l’administration Trump 2 ? Depuis 2019, l’ancien président mexicain Andrés Manuel López Obrador (2018-2024), par sa politique de « Abrazos, no balazos » (« Des câlins, pas de balles ») envers les cartels, n’a fait qu’aggraver la criminalité et la violence au Mexique.

En incitant les forces de l’ordre à se contenter d’arrestations occasionnelles de criminels de haut rang et de démantèlement de laboratoires de drogue pour apaiser le voisin états-unien, au lieu de s’attaquer aux cartels de manière systématique, et en entravant la coopération policière bilatérale, la politique de l’administration López Obrador a permis aux cartels d’étendre leur pouvoir d’intimidation, leur emprise sur les entreprises légales et leur domination criminelle sur de vastes pans du pays. Pendant ce temps, les cartels de Sinaloa et Jalisco Nueva Generación (listés comme groupes terroristes par l’administration Trump) devenaient les principaux fournisseurs de fentanyl aux États-Unis.

Claudia Sheinbaum, successeure et héritière politique de López Obrador à la présidence, s’est montrée prête à restaurer une collaboration plus significative avec les États-Unis contre l’activité des cartels, même si elle hausse le ton et prépare un arsenal juridique contre toute incursion ou activité militaire des États-Unis sur son territoire.

Au moment où des drones américains survolent le Mexique à la recherche de laboratoires de fentanyl et enfreignent ce faisant sa souveraineté, le secrétaire d’État Marco Rubio laisse entendre que les menaces d’intervention sur le territoire mexicain sont un levier pour convaincre Sheinbaum d’accepter une coopération policière « efficace » avec Washington.

Le Mexique réagit déjà : pour éviter la hausse des tarifs douaniers annoncée par Trump en cas de non-coopération dans la lutte contre le trafic de fentanyl, le gouvernement mexicain a déployé 10 000 soldats supplémentaires à la frontière avec les États-Unis, en plus des 15 000 déjà envoyés en 2019 sous la pression de Washington.

De leur côté, les cartels, qui ne semblent pas prendre les menaces de Trump au sérieux, poursuivent leurs batailles intestines et comptent sur leurs réseaux infiltrés dans l’armée mexicaine pour les prévenir en cas d’attaques.

Dans ce contexte, une action efficace, de la part des États-Unis, consisterait à cibler les niveaux intermédiaires de ces cartels (logisticiens, blanchisseurs d’argent, chefs de gangs) et à aider le Mexique à renforcer son système judiciaire et sa lutte contre la corruption.

Une réponse commune entravée par des agendas opposés

Les États-Unis devraient aussi suivre de près la réforme constitutionnelle en cours au Mexique, qui vise à transformer la procédure de nomination des juges, de la Cour suprême aux tribunaux locaux : ceux-ci seront désormais élus directement par les citoyens. Cette réforme controversée, qui vise également à revoir la structure de la Cour suprême (qui a bloqué à plusieurs reprises les lois de López Obrador) est porteuse de risques réels, de la politisation de la justice à une plus grande infiltration du système judiciaire par le crime organisé.

Dans ce face-à-face tendu, une dynamique de populisme sécuritaire se déploie des deux côtés de la frontière, bien que sous des formes idéologiquement distinctes.

L’administration Trump mobilise une rhétorique de droite autoritaire, qui externalise les causes de la crise des overdoses vers l’étranger et instrumentalise la menace – très réelle – des cartels pour justifier l’adoption de mesures militaires, commerciales ou juridiques extrêmes, dans le cadre d’un agenda électoral fondé sur son approche de la paix par la force.

De son côté, Claudia Sheinbaum poursuit la militarisation du territoire entamée par ses prédécesseurs entre 2006 et 2024 et, sous la pression américaine, mène une politique brutale contre les cartels. Mais, dans le même temps, se voulant fidèle à la tradition de la gauche populiste, elle ne renie pas entièrement le concept d’« Abrazos, no balazos », estimant que les coûts humains et sociaux pour le Mexique d’une confrontation frontale avec le crime organisé ne sont pas entièrement justifiables, surtout lorsque le marché final des drogues reste, structurellement, les États-Unis.

Chacun, à sa manière, rejette les responsabilités internes et privilégie une posture politique tournée vers ses propres électeurs. Le résultat est une coordination bilatérale entravée, dominée par des logiques nationales court-termistes au détriment d’une stratégie commune, crédible et efficace face à un défi transnational.

Dès lors, une action militaire unilatérale des États-Unis dans les territoires mexicains contrôlés par les cartels ne semble pas impossible. Si Donald Trump semble souvent faire beaucoup de bruit, il finit le plus souvent par mettre ses menaces à exécution…

Fentanyl : vers une opération militaire des États-Unis au Mexique ?

Khalid Tinasti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Khalid Tinasti, Chercheur au Center on Conflict, Development and Peacebuilding, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.