Fusions-acquisitions : l’intégration ne commence pas après la fusion
La réussite, ou l’échec d’une fusion, est attribuée au travail fourni ex post par les équipes. Et si l’issue de ces opérations se décidait beaucoup plus tôt, dès la négociation entre les différentes parties, la phase finale n’étant que l’aboutissement de ce qui s’est déroulé en aval ?
Et si le concept « d’intégration post-fusion » contribuait aux échecs qu’il prétend résoudre ? Depuis près de vingt ans, ce concept s’est imposé comme une évidence chez les professionnels, consultants et chercheurs en fusions-acquisitions. Pourtant, il repose sur un postulat discutable : l’intégration ne commencerait qu’après la signature de l’accord, une fois la responsabilité juridique transférée à l’acquéreur.
Cette lecture technico-financière occulte une réalité fondamentale : les décisions prises en phase pré-fusion comme la tactique de négociation, la due diligence ou l’estimation des synergies, déterminent la manière d’intégrer les entités, comme nous l’avons montré.
En effet, le paradigme dominant invite à penser les projets de fusions-acquisitions comme deux phases indépendantes, avec une « pré-fusion » où l’on négocie le deal (approche stratégique et financière) et une « post-fusion » (logique culturelle et organisationnelle), où l’on intègre les équipes et les organisations. Or, de nombreuses recherches montrent qu’une partie du succès de l’intégration se joue avant l’annonce officielle du deal. Négliger cette continuité entre l’amont et l’aval de ces opérations induit des biais susceptibles de compromettre la concrétisation des synergies attendues.
Un cas d’école : l’illusion des « fusions entre égaux »
Lors des négociations, de nombreux rapprochements d’envergure sont positionnés comme des fusions « entre égaux », sans qu’il y ait de réalité effective en phase d’intégration. Le principe d’égalité vise essentiellement à faciliter l’accord en rassurant les parties prenantes sur le futur équilibre des pouvoirs.
Cependant, durant l’intégration, une approche purement égalitaire s’accorde difficilement avec les décisions à prendre pour exploiter les synergies (nouvelle gouvernance, harmonisation du modèle opérationnel, maintien des systèmes d’information…). On assiste donc à un décalage entre les intentions affichées lors des négociations et la réalité concrète de l’opération.
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Le scepticisme à l’égard de cette « stratégie de négociation entre égaux » tient au fait que de nombreux rapprochements entre égaux se sont révélés des postures et ont dérivé vers des logiques de domination voire des divorces (par exemple, Technip-FMC ou Lafarge-Holcim. Ces exemples illustrent à quel point l’équilibre affiché lors des négociations peut rapidement céder la place à des rapports de force, compromettant ainsi la création de valeur attendue de la fusion.
Dans ce contexte, tout l’enjeu est de recourir à un principe de pragmatisme, en articulant les enjeux amont et aval du projet, afin d’assurer une intégration harmonieuse et porteuse de synergies réelles.
Des contraintes nombreuses
Pour formuler des recommandations pratiques, il convient ainsi de préciser les contraintes qui pèsent sur les responsables de projets de fusion. Dans un délai relativement court, l’entreprise doit sélectionner une cible, la valoriser, estimer les synergies potentielles, structurer l’offre, négocier et obtenir un accord. L’acquéreur se voit souvent contraint de s’entourer d’une multitude de spécialistes, dont l’intérêt prioritaire est d’aboutir à un accord (banquiers et avocats d’affaires, consultants en stratégie, etc.). Par ailleurs, les décideurs sont amenés à prioriser l’ingénierie financière et juridique (valorisation des actifs et des passifs, structuration de l’offre, business plan, retours sur investissement…) au détriment des problématiques humaines.
Cependant, les chiffrages utiles pour convaincre les dirigeants et actionnaires ne résonneront pas de la même manière chez les managers et salariés. Pour renforcer l’adhésion collective, il est essentiel de construire dès l’amont un discours fédérateur. Le projet doit être mis en avant comme une solution indispensable face à des menaces (situation financière, nouveaux entrants, nouvelles attentes des clients, etc.) ou des opportunités (rupture technologique, nouveaux besoins à satisfaire, etc.) Il est également indispensable de traduire l’intérêt du rapprochement pour les salariés. De ce fait, différents dispositifs devront être anticipés dès la phase pré-fusion, afin de rassurer les collaborateurs (garanties sociales, plan de rétention, mobilités…) et créer de vraies synergies une fois l’achat réalisé.
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Des délais contraints
Le deuxième risque majeur tient à la pression temporelle et concurrentielle. Les décideurs peuvent tomber dans le piège bien connu de « l’escalade de l’engagement » : plus les efforts investis dans le projet sont importants, plus il devient psychologiquement coûteux d’y renoncer, même lorsque des signaux d’alerte apparaissent. De plus, les difficultés potentielles d’intégration peuvent être volontairement minimisées par pragmatisme, notamment lorsque les cibles disponibles sont rares.
Pour éviter ce biais, l’implication des futurs acteurs de l’intégration dès la phase de due diligence s’avère judicieuse. D’ailleurs, ces audits autrefois centrés sur la conformité, sont de plus en plus orientés vers l’analyse des enjeux d’intégration (diagnostic culturel, test des modèles de synergies, scénarios organisationnels…) Dans ce domaine, les progrès liés à l’intelligence artificielle pourraient à terme permettre aux équipes de consacrer davantage de temps aux problématiques d’intégration.
Une incertitude forte
Le troisième facteur est lié à l’asymétrie d’information entre les partenaires. Tout d’abord, le cadre réglementaire et les accords de confidentialité limitent considérablement l’accès à l’information. De plus, les négociations sont marquées par une forte incertitude sur la conclusion d’un accord. Tant que l’accord n’est pas sécurisé, ni l’acheteur ni le vendeur n’ont intérêt à ouvrir pleinement le débat sur l’intégration. Les vendeurs, en particulier, ont tout intérêt à restreindre la divulgation de données sensibles afin d’éviter toute exploitation ultérieure par acheteurs.
Pour fiabiliser les projections du business plan, il est crucial de le confronter au plus tôt avec les équipes de la cible. Les managers peuvent également apporter un regard critique sur les coûts cachés de l’intégration. De même, construire une relation de confiance dès les négociations s’avère essentiel pour limiter la rétention d’information. Le capital de confiance établi dès cette phase pourra être déterminant pour résoudre ultérieurement des questions épineuses comme l’harmonisation des offres, la convergence des systèmes d’information ou l’alignement des politiques RH.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
Auteur : Olivier Meier, Professeur des Universités, président de l’Observatoire ASAP, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
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