Grande première : le télescope James-Webb a détecté de la glace cristalline ailleurs dans l’Univers
Il existe plusieurs types de glace d’eau dans le Système solaire à l’état naturel (le terme « glace d’eau » précise sa composition en H2O, car de nombreuses autres molécules sont également observées dans l’espace dans la même phase, comme la glace de gaz carboniquegaz carbonique CO2 encore appelée « glace sèche »). Elle peut grossièrement se représenter sous forme cristallisée tel du quartzquartz ou au contraire amorpheamorphe comme du verre. Dans sa quête de ses origines cosmiques et de sa place dans le cosmoscosmos observable, la noosphère avait non seulement spéculé depuis longtemps au sujet de l’existence de glace d’eau dans l’un de ses états ailleurs dans la Voie lactée, mais avait aussi entrepris de le vérifier par des observations.
Nos modèles de la cosmogonie du Système solaire, de la formation des planètes géantes (certains soupçonnent même l’origine de la vie), font intervenir l’existence de ces glaces et il semblait nécessaire de savoir si à cet égard celui-ci était une exception ou, au contraire, un exemple de processus générique. Dans le premier cas, cela pouvait constituer un argument supplémentaire pour la thèse de la « Terre rareTerre rare » et de ses variantes, comme celle avancée par Jean-Pierre Bibring.
Sean Raymond, astrophysicien au Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux, nous parle de la formation du Système solaire selon le scénario standard par accrétion de planétésimaux donnant des embryons planétaires. © Ideas in Science
Des disques de Kuiper universels ?
En fait, on avait des indications de l’existence de glaces amorphes enrobant des poussières cosmiques dans les nuagesnuages moléculaires denses et froids depuis des décennies. On avait même des indices provenant des observations effectuées en 2008, avec le télescope spatialtélescope spatial Spitzer, de la présence de glace cristalline dans le disque de débris laissé par la formation d’un disque protoplanétairedisque protoplanétaire autour de l’étoileétoile HD 181327.
Nettement plus jeune que notre SoleilSoleil auquel elle ressemble (plus précisément, c’est une étoile jaune-blanc de la séquence principaleséquence principale est une étoile de type spectral FV), elle en est située à seulement environ 155 années-lumièreannées-lumière dans la constellationconstellation du Télescope et on estime son âge à 23 millions d’années.
En utilisant le télescope spatial James-Webbtélescope spatial James-Webb, le JWST, une équipe d’astrophysiciensastrophysiciens vient de confirmer solidement l’existence de glace cristalline en dehors du Système solaire, précisément dans le disque de débris de HD 181327. La découverte est exposée dans un article de Nature, dont une version en accès libre existe sur arXiv.
« Webb a détecté sans ambiguïté non seulement de la glace d’eau, mais aussi de la glace d’eau cristalline, que l’on trouve également dans des endroits comme les anneaux de Saturne et les corps glacés de la ceinture de Kuiper de notre Système solaire », explique ainsi dans un communiqué de la NasaNasa Chen Xie, auteur principal de la nouvelle étude et chercheur adjoint à l’université Johns-Hopkins de Baltimore, dans le Maryland aux États-Unis.
« Il y a 25 ans, lorsque j’étais doctorante, mon directeur de thèse m’a dit qu’il devait y avoir de la glace dans les disques de débris, mais avant Webb, nous n’avions pas d’instruments suffisamment sensibles pour réaliser ces observations. Le plus frappant est que ces données ressemblent aux autres observations récentes du télescope d’objets de la ceinture de Kuiperceinture de Kuiper dans notre propre Système solaire », ajoute Christine Chen, co-auteure et astronomeastronome associée au Space Telescope Science Institute de Baltimore.
La glace d’eau, une clé de la cosmogonie planétaire et de la vie ?
La glace détectée avec le spectrographespectrographe proche infrarougeinfrarouge (NIRSpecNIRSpec) de Webb – un spectrographe ultra-sensible aux particules de poussière extrêmement faibles, détectables uniquement depuis l’espace – est associée à de fines particules de poussière réparties dans la partie externe du disque de débris entourant HD 181327. Il y a des milliards d’années, notre ceinture de Kuiper ressemblait probablement à cette partie externe et de la même façon que pour HD 181327, les rayons ultravioletsultraviolets du Soleil vaporisaient les particules de glace d’eau les plus proches dans la partie externe du disque de débris.
Webb nous ouvre donc maintenant une nouvelle fenêtrefenêtre sur les processus qui dans les disques protoplanétaires pouvaient conduire à des géantes gazeusesgéantes gazeuses ou de glace, comme Jupiter ou Uranus.
Dans le scénario cosmogonique le plus généralement accepté, l’existence de glace d’eau enrobant des poussières silicatées multiplie par 4 la quantité de matièrematière solidesolide disponible formant par accrétionaccrétion des planétésimaux, des briques fondamentales de la constructionconstruction planétaire, comme l’explique dans la vidéo (plus haut) de Sean Raymond.
Il se formerait alors un cœur solide contenant environ 10 fois la massemasse de la Terre, dont le champ de gravitationgravitation une fois cette masse atteinte va capturer du gaz pendant qu’il est encore présent dans le disque protoplanétaire initial. Au début, ce processus est lent, mais quand la masse de gaz devient comparable à celle du cœur solide au centre, l’accrétion du gaz s’emballe alors extrêmement vite, ce qui permet d’accumuler plusieurs dizaines de masses terrestres en quelques milliers d’années.
Ce processus est-il universel ou était-il limité au Système solaire (en supposant que ce scénario soit correct, ce qui n’est pas certain) ?
Le saviez-vous ?
L’eau peut exister sous différentes phases une fois solidifiée. Il existe donc plusieurs types de glace d’eau comme l’ont montré les expériences initiées par un des pionniers de la physique des hautes pressions, le physicien P. W. Bridgman. Il a contribué à l’extension de notre connaissance des types de glace en fabriquant, en 1912, d’abord les glaces V et VI, puis, en 1937, la glace VII. Avant lui, la première glace découverte par l’humanité, celle des glaciers et de la neige, avait été classifiée au début du XXe siècle par Gustav Tammann, sous l’appellation de « glace Ih » (la lettre « h » indique qu’elle fait partie des cristaux dont la maille cristalline est hexagonale). Tammann a aussi découvert les glaces de types II et III.
Il se trouve qu’il existe un type de glace qui, contrairement aux autres, n’est pas cristallisée et qui pour cette raison est appelée glace amorphe. Elle se forme, a contrario des premières, à des pressions quasi nulles, c’est-à-dire dans un vide poussé tel que celui du milieu interplanétaire et surtout interstellaire, à très basse température. Cette glace amorphe entoure les grains de poussière des nuages interstellaires et on sait que se produisent dans cette glace des réactions chimiques prébiotiques.
On a de bonnes raisons de penser également que certaines des glaces planétaires dans le Système solaire sont amorphes, par exemple probablement au niveau de certains cratères lunaires ou sur les lunes glacées de Jupiter telle Europe. Explorer la physique et la chimie de ces glaces dans les conditions reproduisant celles de la surface de ces lunes ou dans les nuages moléculaires froids et poussiéreux pourrait donc être riche en enseignement pour l’exobiologie.
Auteur : Laurent Sacco, Journaliste
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