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Investir dans l’art contemporain : comment est déterminée la valeur d’un artiste ?

Comment est déterminée la valeur d’un artiste sur le marché de l’art ? Une variable joue un rôle non négligeable. Qui de l’artiste hyperspécialisé ou du touche à tout a le plus de chance d’avoir la cote la plus élevée ? Une étude indique des pistes à explorer.


Le marché de l’art contemporain a retrouvé des couleurs. En 2024, selon l’observatoire d’Artprice, les ventes aux enchères ont retrouvé leur niveau d’avant la pandémie. Pourtant, investir dans l’art reste une aventure semée d’incertitudes, où le rendement dépend uniquement du prix futur de l’œuvre.

Dans ce contexte, un choix stratégique se pose aux artistes comme aux investisseurs : faut-il miser sur des artistes aux pratiques diversifiées ou sur des créateurs profondément ancrés dans une seule discipline ? Cette question touche à la valeur même de l’œuvre, à sa reconnaissance, et bien sûr… à son prix.




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Creuser… ou s’éparpiller ?

Deux philosophies s’affrontent. La première, défendue notamment par Gilles Deleuze, célèbre la maîtrise d’un médium unique, poussée à son plus haut niveau d’expertise. Deborah Butterfield et ses sculptures équines, Chéri Samba et ses scènes de vie colorées, Lynette Yiadom-Boakye et ses portraits peints à la palette brune, ou encore Desiree Dolron et ses portraits photographiques sombres, incarnent cette fidélité à une esthétique, à une grammaire artistique. Associant la création à une forme d’expertise radicale, ils creusent un sillon, affirment un langage, un style.

À l’opposé, une seconde école, incarnée par Mathias Fuchs, défend l’interdisciplinarité comme moteur de créativité. L’artiste y devient un explorateur, franchissant sans cesse les frontières entre peinture, sculpture, photographie, installation ou design. Rosemarie Trockel, Jan Fabre ou Maurizio Cattelan illustrent cette logique : des trajectoires multiples comme autant de réceptacles d’un même processus créatif.

Mais, au-delà de ces postures créatives, que disent les données sur la reconnaissance artistique et la valeur marchande que ces choix impliquent ? Une récente étude publiée en avril 2025 dans la revue académique Finance Recherche Letters, menée auprès de 945 artistes vivants, issus du Top 1 000 du classement Artprice apporte des réponses inédites à ce dilemme.

Un marché peut être irrationnel… mais pas sans logique

Dans un monde où l’art reste un actif faiblement rentable et coûteux à acquérir et détenir, comprendre ce qui fait (ou défait) la valeur d’un artiste est crucial. Sociologues et économistes s’accordent à dire que la reconnaissance artistique ne se mesure pas objectivement. Elle repose sur une convention entre trois parties : les instances artistiques (musées, galeries, institutions, collectifs d’artistes), le marché (enchères, galeries) et les médias (presse spécialisée ou généraliste, réseaux).

Tous contribuent à établir, à maintenir ou à contester la légitimité d’un artiste. Les parties ne sont pas nécessairement exclusives et partagent certains de leurs membres (galeries et experts des maisons d’enchères, par exemple). Reste qu’un accord dans la convention, favorable ou défavorable à l’artiste, définit la qualité et qu’un désaccord crée une incertitude. C’est aussi dans cet espace indéfini que la spéculation peut prendre place.


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Notre étude, s’est intéressée à l’impact de la diversification artistique sur deux indicateurs clés : la valeur marchande cumulée (somme des valeurs de vente entre 2000 et 2020), mesurée par Artprice, et la reconnaissance artistique, mesurée par le classement ArtFacts. La diversification artistique est mesurée grâce aux données provenant d’Artnet sur la répartition des ventes de l’artiste par discipline. Nous avons contrôlé de nombreuses variables (âge, genre, origine, volume de production, mouvement artistique, etc.) et utilisé les données de Google Trends comme indicateur de notoriété médiatique.

La diversité paie… mais pas pour tout le monde

Premier constat : plus un artiste pratique de disciplines différentes, plus il est reconnu par les instances artistiques et valorisé par le marché. Ce lien est quasi linéaire, à une exception notable : chez les photographes, la concentration sur un seul médium renforce la légitimité.

Cependant, la diversité des disciplines n’est pas dissémination de la production. Explorer plusieurs médiums tout en restant centré sur un seul n’a pas le même effet que de répartir équitablement sa production. Globalement, cette dissémination, mesurée par un indice de concentration, n’a pas d’impact significatif sur la valeur marchande, mais accroît la reconnaissance artistique.

Explorer ces relations entre dissémination et valeur ou reconnaissance artistique, selon le niveau de prix ou la discipline d’origine, ajoute quelques nuances. L’effet de la dissémination sur la valeur marchande se révèle significativement positif pour les peintres, les photographes et les artistes les moins valorisés. En revanche, la relation croissante entre dissémination et reconnaissance artistique reste vraie, quelle que soit la discipline d’origine ou le niveau de reconnaissance.

B smart 2025.

L’interdisciplinarité est donc un levier de reconnaissance artistique voire pour certains de valorisation marchande. Mais de tels résultats soulèvent de nombreuses questions. D’une part, l’artiste n’est pas seul à établir une stratégie créative, et une approche plus qualitative, relationnelle, des déterminants de ses choix de carrière s’avère nécessaire. D’autre part, dans un monde où les frontières de l’art se déplacent sans cesse – avec l’émergence de l’art numérique, des NFT ou de la création assistée par intelligence artificielle –, la question de l’interdisciplinarité ne fera que gagner en importance.


Avec la précieuse collaboration de Jeanne Briquet et d’Ylang Dahilou.

Investir dans l’art contemporain : comment est déterminée la valeur d’un artiste ?

Benoît Faye ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Benoît Faye, Full Professor Inseec Business School, Chercheur associé LAREFI Université de Bordeaux Economiste des marchés du vin, de l’art contemporain et Economiste urbain, INSEEC Grande École

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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