Décryptage technologique

Japon : Takashi Tachibana, le populiste qui veut « faire exploser l’audiovisuel public »
Takashi Tachibana en campagne, en 2021.
Noukei314/Wikipédia, CC BY-NC

Au Japon, les élections à la Chambre des conseillers se sont achevées le 20 juillet, se soldant pour le premier ministre Shigeru Ishiba par une perte de sa majorité à la Chambre haute, une première depuis quinze ans. Dans un contexte d’inflation du prix du riz, de taxes douanières américaines et de nombreux scandales politiques, les partis d’extrême droite, populistes et anti-immigration, ont réalisé une percée. S’il n’a pas réussi à obtenir de siège lors de cette élection, le candidat Takashi Tachibana et son mouvement, le « Parti qui protège la population de la NHK », incarnent certaines des nouvelles tendances qui marquent le monde politique japonais.


Fondé en 2013, le Parti NHK (NHK-Tō) a fait son cheval de bataille de la dénonciation de la principale chaîne de télévision du pays, la Nippon Hōsō Kyōkai ou NHK, l’unique groupe audiovisuel public du pays. Devenu une figure incontournable de la scène médiatique nippone, le mouvement de Takashi Tachibana incarne deux dynamiques révélatrices des mutations politiques depuis les années 2010 : (1) l’émergence de nouveaux acteurs misant très largement sur les réseaux sociaux pour obtenir des voix ; (2) l’apparition de représentants outsiders, porteurs d’un discours anti-establishment mêlant opportunisme politique et conservatisme.

Né en 1967 à Osaka, Takashi Tachibana rejoint le groupe NHK en 1986 et intègre son service comptabilité au milieu des années 2000. C’est à cette époque qu’il apparaît pour la première fois dans les médias, d’abord comme source anonyme dans la presse à scandale, puis en tant que lanceur d’alerte dénonçant publiquement les méthodes de recouvrement qu’il juge abusives au sein de la chaîne publique.

La première tentative de Takashi Tachibana pour entrer en politique remonte au début des années 2010, lorsqu’il se porte candidat à des élections locales dans le département d’Osaka. Se présentant d’abord comme journaliste indépendant, puis plus sobrement comme « ancien salarié de la NHK », il occupe ensuite divers mandats locaux dans la région de Tokyo, avant de se faire remarquer lors de sa candidature à la mairie métropolitaine de Tokyo en 2016. C’est à partir de cette campagne qu’il commence à structurer son programme autour d’un slogan percutant, devenu sa signature : « Exploser la NHK ! » Cette formule rappelle le slogan de l’ancien premier ministre Junichirō Koizumi, qui dans les années 2000, voulait faire « exploser le Parti libéral ».

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Couverture d’un manuel de technique pour éviter de payer la redevance, publié après la campagne électorale de 2016 pour la mairie de Tokyo.

En juillet 2019, Tachibana réalise son principal succès en entrant à la Chambre haute via le scrutin proportionnel, avec 3,02 % des voix au niveau national. Il perd toutefois son siège peu après, en se présentant sans succès à une élection dans la circonscription de Saitama. Pourtant, malgré une série d’échecs aux élections locales, il parvient à rester très présent dans l’espace public.

Comment un outsider a-t-il pu s’imposer dans un univers politique aussi fermé, avec pour seul mot d’ordre la destruction de l’audiovisuel public japonais ?

D’une chaîne YouTube aux bancs de la Chambre haute

Au début des années 2010, Takashi Tachibana ne dispose d’aucun capital politique. Il mise alors sur la construction d’un capital médiatique pour gagner en visibilité. Après son départ de la NHK, son statut de « journaliste indépendant » lui permet d’être ponctuellement invité par certains médias nationaux comme « spécialiste » de la chaîne, notamment lorsque celle-ci est accusée de collusion avec le pouvoir après la nomination d’un nouveau directeur.

C’est avant tout par une présence continue en ligne que Tachibana construit son capital médiatique. Bien qu’actif sur YouTube dès 2012, soit un an avant la légalisation de l’usage d’Internet en campagne électorale, il ne fonde sa chaîne actuelle qu’en 2018. Forte de plus de 760 000 abonnés et comptant près de 5 000 vidéos, elle est le pilier de son mouvement. Les vidéos, parfois publiées plusieurs fois par jour, se distinguent par leur amateurisme revendiqué : image floue, captation sommaire, décor minimaliste, montrant Tachibana seul ou accompagné, face à un simple tableau blanc couvert de schémas manuscrits.

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Poster de campagne affiché dans le département de Hyôgo, « Takashi Tachibana, le Trump japonais. Contre l’immigration ».

Lors de son élection à la Chambre haute en juillet 2019, certaines vidéos de Tachibana dépassent les six millions de vues, devançant parfois celles du premier ministre Shinzo Abe.

Une enquête du quotidien Asahi publiée le 25 juillet 2019 révélait que le recrutement des candidats se faisait sur la base de la capacité à produire des vidéos YouTube, au prix de dérapages tels que ceux déclenchés par la candidate Chizuko Nakaso, également membre du groupe xénophobe « Association des citoyens contre les privilèges des résidents étrangers (Zaitokukai) ». Une stratégie assumée par le candidat : peu importent les propos, pourvu qu’ils fassent parler. Ses vidéos, qui abordent aussi bien la politique locale que les affaires internationales, reviennent toujours à la critique de la NHK. Son ascension repose sur une logique d’allers-retours entre réseaux sociaux et médias traditionnels.

De la critique de la NHK à la critique de l’ensemble des médias

À l’origine, les critiques de Tachibana à l’encontre de la NHK portaient principalement sur la question du paiement de la redevance. Mais dès 2016, il élargit son discours en dénonçant l’ensemble des scandales dans lesquels la chaîne publique a pu être impliquée. Si ce sujet peut sembler secondaire au premier abord, il se révèle plus subtil qu’il n’y paraît.

Depuis les années 2000, la grande chaîne publique japonaise suscite en effet de nombreux mécontentements. Du côté progressiste, elle est jugée trop proche du pouvoir politique, en raison de son mode de fonctionnement, et incapable de remplir un rôle de contre-pouvoir comparable à celui de la BBC britannique. Du côté conservateur, elle incarne l’héritage de la culture d’après-guerre, perçue comme une imposition d’une posture de perpétuelle repentance vis-à-vis des autres pays asiatiques.

À cela s’ajoute la dénonciation, de plus en plus audible, du caractère jugé injuste de la redevance que tout Japonais est tenu de payer dès lors qu’il possède un téléviseur, qu’il regarde ou non la NHK. Cet argument trouve un écho croissant auprès d’une partie de la population confrontée à des difficultés économiques, et notamment chez les jeunes, où la défiance à l’encontre des institutions s’installe. En concentrant son discours sur la chaîne publique, Tachibana parvient ainsi à capitaliser sur un mécontentement certes minoritaire, mais suffisamment répandu pour produire des résultats électoraux, comme ce fut le cas lors des élections à la Chambre des conseillers de 2019.

Si cette stratégie a rencontré un certain succès à la fin des années 2010, la focalisation exclusive sur la NHK montre aujourd’hui ses limites. Cet axe d’attaque ne fait pas consensus, d’autant que la NHK continue d’inspirer une forte confiance chez une large partie de la population. Cette critique récurrente constitue ainsi à la fois la force et la faiblesse du discours de Tachibana et de son mouvement.

Parmi ses stratégies récentes, Tachibana élargit sa critique, qui ne vise plus seulement la NHK mais l’ensemble des médias traditionnels, presse quotidienne et chaînes privées incluses. Cette évolution se reflète dans le slogan de sa campagne de juillet 2025 : « Poursuivre le combat contre les vieux médias, à commencer par la NHK ».

Vidéo de campagne avec le message « le Parti NHK, en lutte contre les médias », chaîne YouTube de Takashi Tachibana, 27 juin 2025 (sous-titres automatiques en français disponibles).

Une partie des vidéos publiées sur sa chaîne YouTube est consacrée à des propos critiques visant des médias plus ou moins précisément ciblés. Sans surprise, ses attaques s’adressent le plus souvent aux journaux ou aux chaînes de télévision qui ne lui ont pas accordé une couverture favorable, que ceux-ci soient d’obédience progressiste comme la chaîne TBS ou conservatrice comme le quotidien Yomiuri.

Tachibana n’est pas seul à cibler les « vieux médias ». Il a ouvert la voie à d’autres figures, comme Shinji Ishimaru, arrivé en deuxième position aux municipales de Tokyo en 2024. Plus récemment, le gouverneur de Hyōgo, Motohiko Saitô, a repris cette stratégie pour sa réélection, avec le soutien de Tachibana dans sa critique de l’establishment.

Mobiliser l’électorat en contestant grâce à Internet l’ordre politique et médiatique établi depuis les années 1950, incarné par la proximité entre le Parti libéral-démocrate et les principaux organes de presse, devient progressivement une stratégie à la mode auprès des candidats appartenant à des mouvements contestataires. Si cette stratégie ne permet pas d’accéder à des postes d’envergure nationale, elle offre néanmoins la possibilité de remporter des sièges lors d’élections locales. On y retrouve les mêmes ressorts que dans la critique de la NHK : capter le soutien de personnes mécontentes, quelles que soient leurs orientations politiques initiales.

Un opportunisme politique sans limite

Lors des élections à la Chambre haute de 2019, Tachibana et son parti avaient délaissé les grands enjeux nationaux, comme la TVA ou la sécurité sociale, pour se focaliser sur leur combat contre la NHK.

Face aux difficultés à réitérer ce succès, son discours s’est progressivement élargi. Lors des élections de juillet 2025, candidat à Hyōgo, Tachibana s’est présenté comme « le Trump japonais », arborant dans ses vidéos la casquette rouge du mouvement MAGA, dans une tentative assumée de capitaliser sur la popularité de l’ex-président américain.

Cette identification à Donald Trump s’accompagnait également d’évolutions notables dans le contenu du message politique, avec l’adoption de propos ouvertement xénophobes à l’encontre de la présence étrangère au Japon. Cette thématique s’est progressivement imposée dans le débat public, notamment sous l’influence du Sanseitō, un parti d’extrême droite aux propos complotistes et xénophobes, actuellement très médiatisé en raison de son bon score lors du scrutin du 20 juillet. À ce propos, il est intéressant de noter que les attaques contre les médias font également partie de la panoplie de ce nouveau parti en vue.

Malgré la perte de vitesse de son mouvement, illustrée par sa récente défaite aux dernières élections, le cas de Tachibana est intéressant en ce qu’il représente l’un des premiers exemples de politicien « youtubeur » ayant réussi un véritable coup politique. Comble de l’ironie, la Loi sur les élections publiques (Kōshoku senkyo hō) oblige la NHK (mais aussi les autres chaînes) à accorder un temps de parole aux candidats du mouvement, alors même que ceux-ci en font leur cible principale. Aussi fantasque qu’il puisse paraître, ce mouvement s’efforce de capter le vote des abstentionnistes en s’attaquant au monde politico-médiatique traditionnel.

La stratégie qui consiste à viser les principales institutions du pays, parmi lesquelles les médias, mais aussi les universités ou la justice, est une tendance globale. Si les mouvements populistes sont longtemps restés marginaux au Japon, les élections à la Chambre des conseillers de 2025 semblent bien être une nouvelle étape de leur montée en puissance.

The Conversation

César Castellvi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : César Castellvi, Sociologue, maîtres de conférences en études japonaises, Université Paris Cité

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.