Dans un avis inédit et unanime, la Cour internationale de justice reconnaît que le changement climatique constitue une menace existentielle pour l’humanité. Les États qui cherchent à se soustraire à leurs obligations climatiques peuvent voir leur responsabilité engagée, ce qui ouvre la voie à de futurs contentieux climatiques nationaux.
La Cour internationale de justice (CIJ) a rendu hier 23 juillet 2025 un avis consultatif très attendu sur les obligations des États à l’égard des changements climatiques. Dans cet avis qui constitue un jalon historique, la Cour clarifie les obligations des États : considérant que les changements climatiques constituent un risque existentiel pour l’humanité, elle adopte une interprétation du droit international particulièrement stricte et « pro-climat ».
La CIJ avait été saisie par une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU, adoptée par consensus il y a plus de deux ans, le 29 mars 2023. Inspirée par un collectif d’étudiants ( « Islands Students Fighting Climate Change ») de l’université du Pacifique Sud, cette demande avait été portée à l’ONU par un petit État insulaire du Pacifique, Vanuatu.
Elle fait suite à un premier projet qui avait été porté en 2011 par Palaos et les Îles Marshall, mais n’avait pas abouti pour des raisons politiques. Cette fois, grâce à une intense activité diplomatique, Vanuatu est parvenu à rallier une vaste coalition internationale et à convaincre l’Assemblée générale de l’ONU de saisir la Cour.
De nombreux États ont participé à la procédure, qui a donné lieu aux plus grandes audiences jamais connues par la Cour, avec une centaine d’interventions au total.
Un contexte d’explosion des procès climatiques
Créée en 1945, la Cour est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations unies (ONU). Composée de 15 juges élus pour un mandat de 9 ans, représentant les principaux systèmes juridiques du monde, elle siège à La Haye, aux Pays-Bas. La CIJ peut connaître de procédures contentieuses – elle tranche alors des conflits entre États – ou de procédures consultatives, lorsque des demandes d’avis concernant des questions juridiques lui sont présentées par des organes ou institutions spécialisées des Nations unies, comme c’est le cas ici.
Cette demande s’inscrit dans un contexte d’explosion du nombre de procès dits « climatiques » dirigés contre des États ou des entreprises à l’échelle mondiale.
Plus de 2 300 procès climatiques, en cours ou terminés, ont déjà été recensés aux États-Unis. On en compte également près de 1 300 ailleurs dans le monde, selon la base de données du Sabin Center de l’Université de Columbia.
Le droit international – tout particulièrement l’accord de Paris de 2015 – est souvent invoqué durant ces contentieux, qui se déroulent devant les juges nationaux. L’accord de Paris devient alors l’objet de batailles juridiques pour déterminer comment on doit l’interpréter, à quoi il oblige exactement les États et comment il s’articule avec d’autres obligations internationales (commerce international, investissements internationaux, droit de la mer, droits de l’homme…).
À lire aussi :
Climat : le Tribunal international du droit de la mer livre un arrêt historique
Récemment, non pas une mais quatre juridictions internationales ont été saisies de demandes d’avis consultatif visant à clarifier le contenu des obligations des États. Par ordre chronologique, il s’agit du Tribunal international du droit de la mer, de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, de la Cour internationale de justice dont il est question dans cet article et de la Cour africaine des droits de l’homme.
-
En avril 2024, le Tribunal international du droit de la mer a rendu son avis. Celui-ci concluait à l’obligation juridique, pour les États, de protéger les océans des effets du changement climatique.
-
Le 3 juillet 2025, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a statué que les pays de l’Organisation des États américains (OEA) avaient l’obligation d’adopter « toutes les mesures nécessaires » pour protéger les populations face au changement climatique
-
Enfin, la Cour africaine a été saisie il y a peu. Son avis n’a pas encore été rendu.
Les avis du Tribunal international du droit de la mer et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont apporté d’utiles précisions. Mais ils n’ont pas tranché toutes les questions posées, car ces tribunaux avaient une compétence limitée.
Ainsi, la Cour interaméricaine n’est compétente que s’agissant des droits de l’homme et pour la vingtaine de pays membres de l’OEA. Le Tribunal international du droit de la mer, pour sa part, a une compétence limitée parce que spécialisée. La Cour internationale de justice a, au contraire, une compétence très large et est universelle.
Que retenir de cet avis de 130 pages ?
La double question qui a été posée à la Cour internationale de justice était extrêmement vaste :
-
Quelles sont les obligations des États, en vertu du droit international, face à la crise climatique ?
-
Quelles sont les conséquences juridiques pour les États en cas de manquement à ces obligations ?
Pour y répondre, la Cour était invitée à appliquer l’ensemble des règles qu’elle considérait comme pertinentes, du droit international du climat au droit de la mer, en passant par les droits humains. Enfin, elle était appelée à clarifier les obligations climatiques des États, non seulement vis-à-vis des autres États, mais aussi des peuples et des individus.
De ce long avis de 130 pages, nous pouvons retenir plusieurs points clés.
Sur les aspects scientifiques, la Cour confirme l’importance des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Elle note que les États se sont accordés à dire devant elle qu’ils constituaient les meilleures données scientifiques disponibles sur les causes, la nature et les conséquences des changements climatiques. En novembre 2024, la Cour avait d’ailleurs demandé à rencontrer plusieurs membres du Giec pour renforcer sa compréhension des éléments scientifiques.
La Cour mobilise une large palette de normes internationales, tant coutumières (c’est-à-dire non écrites, comme le principe de prévention des dommages) que conventionnelles qui vont bien au-delà de l’accord de Paris. Elle estime ainsi qu’un État non membre d’un traité sur le climat (une allusion aux États-Unis qui ont de nouveau quitté l’accord de Paris sous l’impulsion de Donald Trump), a malgré tout des devoirs en la matière.
Sur les obligations des États, la Cour livre une interprétation très stricte du droit international. Au vu de la « menace urgente et existentielle » que représentent les changements climatiques, la CIJ considère à plusieurs reprises que la marge de discrétion des États doit être réduite. Ils ont des obligations étendues, aussi bien en termes d’atténuation des changements climatiques, que d’adaptation et de coopération :
-
L’objectif de l’accord de Paris, qu’il « convient de suivre » est bien de 1,5°C et non plus « nettement en dessous de 2°C », les États l’ayant notamment acté au cours des dernières COP sur le climat. Dans les mesures qu’ils adoptent, les États doivent prendre dûment compte des intérêts des générations futures et des « conséquences à long terme de certains comportements ».
-
Le niveau d’ambition de leurs contributions nationales n’est donc pas discrétionnaire : les contributions doivent être réellement les plus ambitieuses possibles, progresser de cycle en cycle, et permettre d’atteindre l’objectif de l’accord au bout du compte.
-
Les États doivent prendre les mesures voulues pour atteindre les objectifs de leurs contributions, mais les obligations peuvent toutefois être modulées selon les émissions historiques des États ou leurs niveaux de développement.
-
Les États ont « l’obligation, en vertu du droit international des droits de l’homme, de respecter et de garantir la jouissance effective des droits de l’homme en prenant les mesures nécessaires pour protéger le système climatique et d’autres composantes de l’environnement ».
-
Enfin, les États doivent coopérer, car « les efforts que déploieraient les États sans se coordonner entre eux pourraient ne pas leur permettre d’obtenir des résultats effectifs ».
Vers de futurs contentieux climatiques ?
Sur les conséquences juridiques, la Cour ouvre clairement la voie à de futurs contentieux en confirmant que les États peuvent voir leur responsabilité engagée s’ils ne se conforment pas à leurs obligations.
Pour elle, « le fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées pour protéger le système climatique contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) – notamment en produisant ou en utilisant des combustibles fossiles, ou en octroyant des permis d’exploration ou des subventions pour les combustibles fossiles – peut constituer un fait internationalement illicite attribuable à cet État ».
Elle estime que le droit international exige des États qu’ils mettent fin aux violations et notamment mettent « en œuvre tous les moyens à leur disposition pour réduire leurs émissions de GES » et prennent « toutes autres mesures propres à assurer la conformité à leurs obligations ».
Ils doivent aussi réparer intégralement les dommages causés aux autres États ou aux individus, par une remise en état lorsqu’elle sera possible, et/ou par une indemnisation et/ou par une satisfaction. Cette dernière pourrait ici prendre la forme d’une « expression de regrets, des excuses formelles, une reconnaissance ou une déclaration publique, ou encore en mesure de sensibilisation de la société aux changements climatiques ».
Pour la réparation des dommages, un lien de causalité devra être établi entre les actions ou omissions illicites d’un État et les dommages résultant des changements climatiques. Dans une partie quelque peu élusive, la CIJ reconnaît que c’est plus difficile que pour d’autres pollutions plus locales. Mais elle ajoute que ce n’est pas non plus « impossible » et que cela devra être apprécié in concreto (c’est-à-dire, sur la base d’éléments concrets) dans d’éventuels contentieux climatiques à venir.
Un avis historique
L’avis peut être qualifié d’historique : la Cour ne s’était jamais prononcée sur le sujet, d’autant que ce dernier est sensible. Les COP sur le climat s’essoufflent depuis plusieurs années et que beaucoup d’États reculent dans leurs politiques climatiques voire environnementales, alors même que les conséquences du changement climatique se font sentir de plus en plus vivement.
Les États les plus pauvres et vulnérables, mais aussi les ONG et militants environnementaux avaient des attentes très élevées envers cet avis. Bien que la Cour reste très générale et abstraite dans ses formulations, elle y répond assez largement.
Certes, un avis consultatif n’est pas contraignant en lui-même et les États ne s’y conforment pas toujours, mais il revêt une grande autorité. Adopté à l’unanimité, cet avis pourrait avoir des conséquences politiques et même juridiques.
Il pourrait être mobilisé dans les négociations internationales, et notamment lors des prochaines COP sur le climat. Beaucoup espèrent qu’il poussera au relèvement de l’ambition des politiques climatiques et soutienne leurs positions.
On imagine aussi qu’il va venir alimenter les contentieux climatiques nationaux, et peut-être même motiver certains États à saisir des tribunaux internationaux contre d’autres États.
Néanmoins, la Cour termine son avis en soulignant le rôle certes non négligeable, mais somme toute « limité » du droit international. Elle espère que « ses conclusions permettront au droit d’éclairer et de guider les actions sociales et politiques visant à résoudre la crise climatique actuelle », mais affirme que :
« [La] solution complète à ce problème qui nous accable, mais que nous avons créé nous-mêmes […] requiert la volonté et la sagesse humaines – au niveau des individus, de la société et des politiques – pour modifier nos habitudes, notre confort et notre mode de vie actuels et garantir ainsi un avenir à nous-mêmes et à ceux qui nous suivront. »
Elle engage ici une réflexion sur le rôle du juge, du droit, mais aussi sur leurs limites face à cet enjeu de civilisation.
Sandrine Maljean-Dubois a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche pour le projet PROCLIMEX.
Elle a été avocat-conseil de la République démocratique du Congo dans cette affaire.
Auteur : Sandrine Maljean-Dubois, Directrice de recherche CNRS, Aix-Marseille Université (AMU)
Aller à la source