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La Belgique est-elle toujours un paradis fiscal ?


La Belgique est-elle toujours un paradis fiscal ?
Les actifs potentiellement taxés : actions cotées et non cotées, obligations, produits dérivés, fonds d’investissement et fonds négociés en bourse (ETF), contrats d’assurance épargne, contrats d’assurance placement, cryptomonnaies, devises… et l’or. Max.ku/Shutterstock

Le 1er janvier 2026, la Belgique taxera de 10 % les plus-values d’actifs financiers tels que les actions, les obligations, les assurances-épargne, l’or ou les cryptomonnaies. La fin d’une ère où les riches contribuables affluaient massivement vers le Plat pays ?


La Belgique est à un tournant historique. Le pays, longtemps considéré comme un quasi-paradis fiscal en raison de l’absence de taxation des plus-values sur actions, s’apprête à instaurer un impôt sur ces gains. Cette taxe de 10 % sur les plus-values d’actifs financiers entre en vigueur le 1er janvier 2026.

Derrière la volonté affichée de justice fiscale, ce changement majeur soulève de nombreuses interrogations sur ses implications économiques et financières. Plusieurs chercheurs belges, dont le professeur de finance Georges Hübner et l’économiste Bruno Colmant, ont mis en garde contre une série d’effets secondaires. Ces derniers peuvent freiner le développement du marché boursier, pénaliser les épargnants, et nuire à l’investissement productif.

Cette réforme intervient dans un contexte international où la taxation du patrimoine progresse, même dans des économies traditionnellement libérales. Alors quels seront les effets économiques concrets d’une telle mesure ?

Réforme historique en Belgique

Depuis des décennies, la taxation des plus-values figure régulièrement parmi les projets de réforme fiscale en Belgique. Malgré l’évolution des majorités gouvernementales, aucune mesure n’avait jusqu’ici abouti. Ce statu quo s’explique par plusieurs facteurs : volonté de maintenir l’attractivité du pays pour les capitaux, difficulté de mettre en œuvre une taxation efficace et crainte d’effets négatifs sur l’économie réelle.

Le projet de loi prévoit une taxe de 10 % sur les plus-values d’actifs financiers tels que les actions cotées et non cotées, les obligations, les instruments du marché monétaire, les produits dérivés, les fonds d’investissement et les fonds négociés en bourse (ETF). Elle concerne également les contrats d’assurance épargne et les contrats d’assurance placement, ainsi que les crypto-monnaies, les devises et l’or. La taxe entrerait en vigueur le 1er janvier 2026.


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Une exonération générale de 10 000 euros est prévue. Les actionnaires détenant au moins 20 % d’une entreprise bénéficieront d’un traitement spécifique : un taux progressif par tranche allant de 1,25 % à 10 %, après exonération d’une première tranche d’un million d’euros. Une exonération totale sera prévue après dix ans de détention des actifs. Les banques prélèveront une taxe à… la source.

Moins de liquidité sur les marchés

L’une des conséquences les plus documentées de la taxation des plus-values est la réduction de la liquidité des marchés. Ce phénomène, connu sous le nom d’« effet lock-in » a été analysé, notamment par les économistes Feldstein, Slemrod et Yitzhaki. Ils soulignent que la taxation des plus-values entraîne une diminution significative du volume de transactions sur les marchés boursiers. Lorsque la vente d’un actif déclenche un événement fiscal, les investisseurs sont incités à conserver leurs titres plus longtemps pour éviter d’avoir à payer l’impôt.

En Belgique, la Bourse de Bruxelles souffre d’une faible liquidité relative par rapport à ses homologues européennes. Un tel bouleversement réglementaire pourrait être dommageable. Une moindre liquidité réduit l’incitation des entreprises à se financer via des introductions en bourse (IPO), au détriment de l’innovation et de la croissance économique.

Alourdissement administratif

L’instauration d’une taxe sur les plus-values d’actifs financiers suppose de suivre avec précision leur prix d’acquisition, leur durée de détention et les éventuelles pertes. Imposer une taxation aussi complexe risque d’accroître considérablement la charge administrative, tant pour les particuliers que pour l’État, puiqueque toutes les transactions doivent être précisément documentées.

Jan Jambon, Vice-premier ministre de Belgique Ministre des Finances et des Pensions chargé de la Loterie nationale et des Institutions culturelles fédérales
La proposition de texte a été proposé par Jan Jambon, vice-premier ministre de Belgique, ministre des finances et des pensions.
AlexandrosMichailidis/Shutterstock

En pratique, le traitement d’opérations complexe – splits, fusions, rachats, pertes reportées – pourraient multiplier les litiges fiscaux, notamment pour les titres non cotés, où la valorisation objective est difficile. En 2023, en Belgique, il y a eu près de 20 000 litiges fiscaux portés devant les tribunaux, dont près de 15 000 étaient reportés de l’année précédente et près de 17 000 toujours en cours à la fin 2023.

Le calcul de la période de détention poserait aussi un problème majeur puisqu’il est question d’une exonération pour la détention de plus de dix ans. Quelle méthode de valorisation serait utilisée ? First-in-first-out (FIFO) ? Last-in-first-out (LIFO) ? Autant de questions auxquelles le projet actuel de loi ne répond guère. Dans la première approche, les plus-values seraient calculées sur la base du prix du premier achat de l’actif. Dans la seconde approche Last-in-first-out (LIFO), sur la base du dernier achat de l’actif. Si l’investisseur a acheté de manière régulière le titre, ce prix initial pourrait être largement désavantageux. Dans ce cadre, une approche pondérée serait préférable.

Le casse-tête fiscal des cryptoactifs

La réforme entend également s’appliquer aux gains sur cryptoactifs. La taxation des plus-values dans cet univers volatile est complexe. Il serait difficile, voire impossible, pour un État de contrôler et d’évaluer correctement les transactions sur cryptoactifs, ouvrant la porte à l’arbitrage fiscal et à la sous-déclaration.




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Transmission d’entreprises familiales

Un autre risque souvent négligé concerne la transmission d’entreprises familiales. En Belgique, celles-ci représentent environ 70 % des PME. Elles possèdent un actif patrimonial important, mais peu de liquidités disponibles. D’où l’adage « Riches en actifs, pauvres en cash ».

La taxation des plus-values pourrait freiner les donations et successions d’entreprises, en imposant des coûts supplémentaires au moment du transfert. Hansmann dans The Ownership of Enterprise rappelle que les incitations fiscales jouent un rôle clé dans la pérennité des entreprises familiales. Une taxation immédiate des plus-values sur les actions non cotées, souvent difficile à valoriser objectivement, peut forcer les héritiers à vendre tout ou partie de l’entreprise pour payer l’impôt. Ce mécanisme est qualifié de « fiscalité destructrice ».

Et créer un effet domino : ventes forcées, délocalisations, absorptions par des groupes étrangers, etc.

Détournement vers l’immobilier

L’instauration d’une taxe sur les plus-values financières, sans réforme équivalente sur l’immobilier, risque de distordre la concurrence entre classes d’actifs. Les investisseurs pourraient être incités à privilégier l’immobilier locatif, déjà fiscalement favorisé, au détriment des actions et des investissements productifs. Comme le montre Thomas Piketty dans Capital in the Twenty-First Century, l’absence de fiscalité efficace sur le capital renforce la concentration des richesses.

Ce phénomène risque de ralentir encore davantage l’investissement en actions productives en Belgique, renforçant des tendances déjà observées ces dernières décennies. Il y a également un risque majeur de bulle immobilière sur le marché belge, si cette classe d’actif devenait le berceau d’un arbitrage anti-taxe.

Un alignement européen… au prix de l’attractivité ?

Le pari du gouvernement belge est risqué. En voulant taxer davantage les plus-values au nom de l’équité, il pourrait paradoxalement créer des effets secondaires négatifs : fragiliser la capacité des entreprises à se financer, appauvrir l’offre d’investissement pour les épargnants, moins de liquidité sur les marchés et pousser davantage de capitaux vers l’étranger ou vers des actifs moins productifs.

La taxation des plus-values sur actions représente un tournant majeur pour la Belgique, qui rompt avec une tradition d’attractivité fiscale. Si l’objectif de justice sociale est compréhensible, les conséquences économiques potentielles ne doivent pas être sous-estimées. Pour réussir cette réforme sans nuire à son économie, la Belgique devra soigneusement calibrer ses règles d’application et accepter de corriger rapidement ses erreurs si les premiers effets négatifs se font sentir.

The Conversation

Paolo Mazza ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Paolo Mazza, Associate Professor of Finance, LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of Management

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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