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La Chine aurait espionné des satellites depuis un village français


Guoanbu, jusqu’hallali

La Chine aurait espionné des satellites depuis un village français

Intelligence Online révèle qu’une petite société de télécommunications spatiales chinoises avait déployé une station d’écoute dans un village rural à proximité de centres du CNES et d’Airbus. Son antenne ciblait les fréquences de communication des satellites français. Peu de temps après, un satellite survolant la frontière russo-ukrainienne a brusquement cessé de fonctionner.

D’après Intelligence Online, qui a passé plusieurs mois à enquêter à ce sujet, il s’agirait de « l’une des plus grandes opérations d’espionnage ayant visé la France ces dernières années ».

Dans une enquête en deux parties, notre confrère raconte qu’en 2022, la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), le service de contre-espionnage et de contre-ingérence du ministère des Armées, découvrait une « antenne suspecte » dépassant d’un balcon dans un immeuble de Boulogne-sur-Gesse.

D’après les sources d’Intelligence Online, il s’agirait d’un « endroit parfait pour intercepter des communications échangées » avec les satellites gérés par le Centre national d’études spatiales (CNES). Ce village de 1 600 habitants en Haute-Garonne est en effet situé à 71 km à vol d’oiseau du téléport (ou station terrestre de télécommunication par satellite) d’Issus Aussaguel qui, sis à 20 km au sud de Toulouse, permet de piloter les satellites d’observation de la Terre du CNES.

D’autant que Boulogne-sur-Gesse se situe aussi à 74 km du site toulousain de l’Astrolabe, la division du groupe Airbus Defence and Space (ADS) spécialisée dans les avions militaires, les drones, les missiles, les lanceurs spatiaux et les satellites.

Une cellule réunissant quatre services de renseignement

Contactée par la DRSD, l’Agence nationale des fréquences (ANFR) découvrit que l’antenne ne disposait d’aucune autorisation d’emploi. En outre, la personne qui avait déployé l’antenne est une Chinoise, diplômée d’une université proche de l’Armée populaire de libération et travaillant pour une entreprise chinoise de « services de communication dans le domaine spatial ».

Le faisceau d’indices suspicieux était tel qu’au printemps 2022, une cellule interservices était créée, réunissant la DRSD, les services de renseignement extérieur (DGSE), intérieur (DGSI), et financier (Tracfin). « Un dispositif peu courant dans le contre-espionnage économique », souligne Intelligence Online.

Leurs investigations allaient confirmer que l’antenne était bien en capacité d’intercepter les communications satellitaires, mais également qu’elle ciblait précisément les fréquences de communication des satellites français (CNES, Airbus, Thales Alenia Space).

Les services concluaient en outre que l’opération émanerait du ministère de la Sécurité de l’État (ou Guoanbu), le principal service secret chinois. Intelligence Online ne donne aucune indication par contre sur quand l’antenne avait été mise en place et donc pendant combien de temps elle avait pu « écouter » des transmissions.

Un satellite azerbaïdjanais survolant la frontière russo-ukrainienne

Dans la seconde partie de son enquête, Intelligence Online revient sur « la mystérieuse perte d’un satellite d’Airbus vendu à l’Azerbaïdjan ». En mars 2023, SPOT-7 (pour Système probatoire d’observation de la Terre), qui avait été vendu à l’agence spatiale azerbaïdjanaise Azercosmos par Airbus Group en 2014 et avait au passage été renommé Azersky, cessait brusquement d’émettre.

La piste d’une collision avec un débris ou une météorite était rapidement écartée, la trajectoire du satellite n’ayant pas été affectée. A contrario, « un large faisceau d’indices » laissait supposer une opération émanant d’un « acteur étatique hostile ».

Le Centre Opérationnel de Surveillance Militaire des Objets Spatiaux (COSMOS), une unité du Commandement de l’espace (CDE) créée en 2014, relevait que le satellite azerbaïdjanais avait perdu ses deux panneaux solaires avant de disparaître. Circonstance aggravante : ses réservoirs d’hydrocarbures alimentant les propulseurs avaient en outre été vidés.

Armée : immersion au cœur du COSMOS, le centre du commandement de l’espace

« Au moment où il a cessé d’émettre […] Azersky était positionné exactement au-dessus de la frontière russo-ukrainienne », précisent nos confrères, sans expliquer comment ils ont pu obtenir la localisation précise du satellite.

Azersky se déplaçait en effet très rapidement. Il était à près de 700 km d’altitude, sur une orbite héliosynchrone, avec une période orbitale de 98,79 minutes. Le satellite effectuait ainsi le tour de la Terre en 1h40 environ, soit une vitesse de 27 000 km/h.

Selon l’Agence spatiale européenne, le satellite pouvait repasser au même endroit avec un délai compris entre un et trois jours. Intelligence Online ajoute que les images prises par le satellite (avec une résolution de 1,5 m) étaient transmises à l’armée ukrainienne par l’Azerbaïdjan, qualifié de « discret allié de Kiev ».

Une opération orchestrée par la Chine, alliée de la Russie ?

Les services de renseignement russes disposent bien d’unités entraînées à ce type d’opérations de guerre électronique et cybernétique, comme on l’avait vu avec la cyberattaque Viasat (KA-SAT) qui, à la veille de l’invasion militaire russe, avait rendu des dizaines de milliers de terminaux satellitaires inopérants. Il y a néanmoins une différence de taille : l’attaque Viasat visait les installations au sol. Ici, c’est le satellite qui semble viser, sans que l’on sache comment.

La Russie avait aussi précédemment montré ses muscles, de la manière la moins discrète possible, en tirant un missile tiré depuis la Terre pour détruire l’un de ses propres satellites. Une démonstration de force et une pluie de centaines de débris ; un « comportement imprudent et irresponsable » pour certains.

Mais les services français penchent plutôt pour une opération orchestrée par la Chine, alliée de la Russie, à qui elle fournit des capacités d’observation satellitaires. La société chinoise qui avait déployé l’antenne d’écoute satellitaire à Boulogne-sur-Gesse venait en effet d’être informée de l’ouverture d’une enquête judiciaire pour utilisation non conforme de fréquences ou d’équipements radioélectriques.

En outre, l’entreprise ayant déployé l’antenne appartient au groupe privé chinois Emposat, soupçonné d’espionnage par la République tchèque, qui opère pour sa part des stations de communication par satellite et « est très implanté en Azerbaïdjan, où il fournit plusieurs stations de communication par satellite terrestres à Azercosmos ».

Contactés, aucun des acteurs impliqués de part et d’autres n’ont souhaité faire de commentaires, à l’exception de la personne ayant déployé l’antenne et qui leur a répondu : « Tout ce que je peux vous dire est que tout est faux ».

Auteur : Jean-Marc Manach

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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