La coopération scientifique, amorce d’une relation renforcée entre la France et le Groenland

Décryptage technologique

« Rien sur nous sans nous », tel est l’adage du Groenland, reprenant ainsi le slogan historique des groupes sociaux et nationaux marginalisés. À l’heure des velléités états-uniennes, de nouvelles coopérations avec la France émergent, notamment scientifiques.


La visite très médiatisée d’Emmanuel Macron au Groenland, une première pour un président français, marque une nouvelle dynamique de la politique étrangère dans l’Arctique. Elle met en lumière la solidarité transpartisane des acteurs politiques en France à l’égard du Danemark et du Groenland. Le pays signifie Terre des Kalaallit – en groenlandais Kalaallit Nunaat – du nom des Inuit, le plus grand groupe ethnique de l’île. La « terre verte » a gagné en visibilité stratégique et écologique en affrontant de nouveau les aspirations impériales de Donald Trump.

Organisée à l’invitation du premier ministre du Groenland, Jens-Frederik Nielsen, et de la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, cette visite dépasse largement le simple statut d’escale protocolaire avant le Sommet du G7 au Canada. Elle s’inscrit dans une séquence entamée en mai 2025 avec le passage à Paris de la ministre groenlandaise des affaires étrangères et de la recherche. Quelques semaines plus tard, en marge de la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan, le président français s’entretient à Monaco avec le premier ministre du Groenland.

Cette multiplication de rencontres signale un tournant : le Groenland n’est plus perçu comme une simple périphérie du royaume du Danemark, mais comme un partenaire politique, économique et scientifique en devenir. Avec quelles formes de coopération ?

Développement d’un axe arctique

En octobre 2015, François Hollande se rend au pied du glacier islandais Solheimajökull. Ce déplacement, survenu peu avant la COP21 à Paris, vise à alerter sur les effets des changements climatiques et à souligner l’intérêt d’un traité international sur la question – ce qui sera consacré avec l’adoption de l’accord de Paris. Dix ans plus tard, l’Arctique reste un espace d’alerte écologique mondial. Sa calotte glaciaire a perdu 4,7 millions de milliards de litres d’eau depuis 2002.

Lors de la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan à Nice (Unoc), le 9 juin dernier, le président Macron affirme son soutien au Groenland : « Les abysses ne sont pas à vendre, pas plus que le Groenland n’est à prendre ».

Dans le contexte des tensions géopolitiques arctiques, le rapprochement franco-groenlandais brise l’imaginaire d’une France exclusivement tournée vers le Sud, l’Atlantique ou les espaces indopacifiques. On peut y voir l’émergence d’un axe arctique, certes encore peu exploré malgré quelques prémices sur le plan militaire, notamment avec des exercices réguliers de l’Otan. Quelques jours avant la visite présidentielle, deux bâtiments de la Marine nationale naviguent le long des côtes groenlandaises, en route vers le Grand Nord, afin de se familiariser avec les opérations dans la région. Plus largement, la France détient le statut d’État observateur au sein du Conseil de l’Arctique depuis 2000. Elle formalise son intérêt stratégique pour cette zone en 2016, avec la publication d’une première feuille de route pour l’Arctique.

Présence face aux puissances traditionnelles

Cette approche s’inscrit dans le cadre plus large d’une volonté européenne de renforcer sa présence dans une région longtemps dominée par les puissances traditionnelles locales :

  • les États côtiers de l’Arctique (A5) : Canada, Danemark, États-Unis, Fédération de Russie et Norvège ;

  • les huit États membres du Conseil de l’Arctique (A8) : Canada, Danemark, États-Unis, Fédération de Russie, Norvège, Finlande, Islande et Suède.

Fin 2021, l’Union européenne lance le programme Global Gateway, pour mobiliser des investissements et financer des infrastructures. Conforme à cette initiative, l’Union européenne et le Groenland, territoire d’outre-mer non lié par l’acquis communautaire signent en 2023 un partenariat stratégique relatif aux chaînes de valeur durables des matières premières.

La montée en exergue de la « Terre verte » sur la scène internationale se traduit par le déploiement progressif de sa diplomatie extérieure, malgré son statut d’entité territoriale non souveraine. Le territoire dispose de représentations officielles à Bruxelles (la première à l’étranger, ouverte en 1992), à Washington D.C. (ouverte en 2014), à Reykjavik (ouverte en 2017) et à Pékin (ouverte en 2021). De leur côté, les États-Unis ouvrent un consulat à Nuuk en 2020, sous la première présidence Trump. L’Union européenne y inaugure un bureau en mars 2024, rattaché à la Commission européenne, dans le cadre de sa stratégie arctique.




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L’annonce faite par le président Macron lors de sa visite à Nuuk de l’ouverture prochaine d’un consulat général français au Groenland confirme cette tendance.


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Ressources convoitées

Le Groenland est un territoire autonome du Royaume du Danemark. Depuis la loi sur l’autonomie élargie du Groenland entrée en vigueur le 21 juin 2009, il dispose de compétences accrues, notamment dans la gestion de ses ressources naturelles.

Sa position géostratégique au cœur de l’Arctique et ses richesses en minerais en font un territoire d’intérêt croissant pour plusieurs puissances extérieures comme les États-Unis, la Chine et l’Union européenne.

La coopération scientifique, amorce d’une relation renforcée entre la France et le Groenland
Le Groenland possède des gisements de minerais rares, essentiels aux technologies modernes : terres rares, uranium, zinc, plomb, etc.
Greenland portal

Parmi les ressources d’intérêts, « on y trouverait un nombre considérable de minéraux (rares). Certains sont considérés comme stratégiques, dont le lithium, le zirconium, le tungstène, l’étain, l’antimoine, le cuivre sédimentaire, le zinc, le plomb (à partir duquel on produit du germanium et du gallium), le titane et le graphite, entre autres ». Le Groenland bénéficie notamment de contextes géologiques variés favorables à la présence de gisements de [terres rares] attractifs pour les compagnies d’exploration.

Coopération scientifique

La France cherche à tisser des liens économiques durables avec le Groenland. En 2022, la stratégie polaire française à l’horizon 2030 mentionne le Groenland. Elle invite à un réengagement de la science française au Groenland, ce qui signe une évolution importante de la recherche, notamment en sciences humaines et sociales. En 2016, dans la « Feuille de route nationale sur l’Arctique », le Groenland apparaît au travers de ses ressources potentielles, et non au niveau de la dimension bilatérale scientifique.

La stratégie polaire de la France à horizon 2030 propose plusieurs pistes « comme l’installation d’un bureau logistique, l’implantation dans une station déjà opérée par des universités, la création d’une infrastructure en lien avec les autorités et municipalités groenlandaises ». La recherche française s’y est affirmée, notamment grâce au soutien déterminant de l’Institut polaire français Paul-Émile-Victor (Ipev).

L’Université Ilisimatusarfik, la seule université groenlandaise, située à Nuuk, a déjà des partenariats avec des universités et grandes écoles françaises, notamment grâce au réseau européen Erasmus + auquel est éligible le Groenland. Elle entretient des relations privilégiées avec des universités françaises par le biais du réseau d’universités, d’instituts de recherche et d’autres organisations que constitue l’Université de l’Arctique (Uarctic). Sont membres uniquement trois universités françaises : Aix Marseille Université, Université de Bretagne Occidentale et Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

« Rien sur nous sans nous »

Du côté groenlandais, une invitation à un renforcement de la coopération bilatérale avec la France s’observe dans la stratégie pour l’Arctique. La France est expressément citée à côté de l’Allemagne, de la Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg, de l’Espagne, de l’Italie, de la Pologne et de la République tchèque.

Ce croisement stratégique invite au développement de partenariats bilatéraux nouveaux et structurants.

Si le Groenland accepte une coopération internationale, ce n’est pas à n’importe quel prix. Le Kalaallit Nunaat cherche à être plus qu’une plateforme extractiviste, et à ne pas être vu uniquement comme un réservoir de ressources à exploiter. La vision stratégique nationale actuellement promue invite à une approche plus diversifiée qui mêlerait les différentes industries au sein desquelles le Groenland souhaite investir. Toute évolution devra nécessairement compter sur la volonté de la population groenlandaise, composée en très grande majorité d’Inuits. Comme l’affiche avec force le territoire notamment dans sa stratégie pour l’Arctique » : « Rien sur nous sans nous ».


Cet article a été co-rédigé avec Arthur Amelot, consultant expert auprès de la Commission européenne.

The Conversation

Anne Choquet est membre du Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques (CNFRAA).

Florian Aumond est membre du Comité national français des recherches arctiques et antarctiques.

Auteur : Anne Choquet, Enseignante chercheure en droit, laboratoire Amure (UBO, Ifremer, CNRS), Ifremer

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