Décryptage technologique

La croissance des placements privés : une alternative aux levées de fonds aux contours mal connus

C’est un outil financier peu connu du grand public qui se développe depuis quelques années. Les placements privés échappent largement aux obligations de la levée de fonds traditionnelle. Quelle est la réalité de ce phénomène peu étudié ? Le développement de ces opérations fait-il courir de nouveaux risques au système financier ?


L’augmentation de capital sans appel public à l’épargne, dit « placement privé » existe en France depuis le 22 janvier 2009. Introduite dans un contexte de crise financière, il s’agit d’une opération rapide et simple, ne nécessitant pas à l’émetteur de publier un prospectus visé par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Alors que, lors d’une introduction en bourse classique (IPO) ou pour une levée de fonds pour une entreprise déjà introduite, l’entreprise procède à un appel au grand public, la levée de fonds est ici réservée à un cercle restreint d’individus spécialisés. Cette opération est systématiquement une augmentation de capital sans droit préférentiel de souscription (DPS) proposée à des catégories précises d’investisseurs professionnels ou spécialisés.

Ainsi, une entreprise cotée dont il serait intuitivement logique de penser que son actionnariat serait plus diversifié, du fait de la nécessité de devoir vraisemblablement ouvrir son capital relativement à celui d’une entreprise non cotée, peut finalement réserver la plupart des titres à une certaine catégorie d’investisseurs, laissant peu de possibilités à un particulier de participer à ces opérations, et ce, dès l’introduction, de façon intégrale – en ayant opté pour le placement global – ou de façon plus mesurée, en ayant choisi l’IPO. Ensuite, lors des levées de fonds, elle pourra opter également pour un placement privé de ses titres.




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Un cadre peu contraignant

Selon l’AMF, les obligations se limitent depuis 2019 à faire figurer dans un communiqué de presse, certaines informations comme l’utilisation du produit d’émission, les risques liés à l’opération ou à sa non-réalisation ainsi que la décote consentie aux souscripteurs et le résultat du placement, tout en rappelant que lorsque l’une de ces informations constitue une information privilégiée, sa publication est obligatoire. Cette position-recommandation s’applique aux émetteurs cotés – sur Euronext, Euronext Growth, Euronext Access – et, plus généralement, à tous les émetteurs dont les titres sont inscrits sur un système multilatéral de négociations dès lors que leurs opérations ne donnent pas lieu à l’établissement d’un prospectus.

Dans le cadre du placement privé, l’offre s’adresse uniquement à des personnes fournissant le service d’investissement de gestion de portefeuille pour le compte d’un tiers, soit à des investisseurs qualifiés ou à un cercle restreint d’investisseurs, sous réserve que ces investisseurs agissent pour compte propre. L’offre qui en découle n’est donc pas adressée au grand public. Sous réserve de certaines dérogations pour d’autres formes sociales, seuls les titres financiers émis par les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions et les sociétés par actions simplifiées, peuvent faire l’objet d’un placement privé.

Un appel sélectif à l’épargne

En outre, les dirigeants ou actionnaires ne peuvent pas être les bénéficiaires uniques ou principaux. Les actionnaires qui autorisent une telle offre renoncent à l’exercice de leur droit préférentiel de souscription entraînant de fait un risque de dilution. L’AMF a résumé ce fait en précisant que l’objectif principal de ce type d’opération doit être l’ouverture du capital de la société à de « nouveaux investisseurs ».

Enfin, elle est caractérisée par un montant préalablement déterminé. L’émission de titres de capital réalisée par une offre visée au 1 de l’article L. 411-2 du Code monétaire et financier (incluant les placements privés) est désormais limitée à 30 % du capital social par an (depuis la loi n°2024-537 du 13 juin 2024, article 9).

La présentation succincte des principales caractéristiques de ces placements privés a suscité certaines réserves de la part de l’AMF. Ces opérations empreintes d’une certaine opacité (puisqu’un simple communiqué de presse suffit) échappent à son contrôle.


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Que sont devenus les petits porteurs ?

L’objectif de notre récente publication,dans la revue Bankers, Markets & Investors est d’étudier sur une période récente si cette pratique (augmentation de capital par placement privé) est plus répandue lors d’une augmentation de capital que l’autre alternative (offre « réelle » au public), une fois l’entreprise cotée puis de caractériser les entreprises concernées. En cumulant le placement privé au placement global, nous mettrons ainsi l’accent sur le fait que ces placements « réservés » pourraient être plus importants relativement à l’offre de titres « réellement destinée » au public, ce qui interroge sur le risque pris par des actionnaires minoritaires (le petit porteur) qui participeraient tout de même aux opérations. Notons que selon les données publiées par la BPCE, le taux de détention d’actions en direct d’actions par les petits porteurs est passé de 14 % en 2008 à 6,7 % en 2021.

En consultant Internet ainsi que le site Europresse avec une recherche par mots-clés, nous avons pu recenser tous les communiqués de presse faisant état d’une augmentation par placement privé (augmentation avec, rappelons-le systématiquement suppression du DPS). Les augmentations de capital par offre au public (particulier) faisant l’objet d’un prospectus visé par l’AMF, nous avons pu extraire plus facilement avec la base de données de l’AMF toutes les opérations sur la même période.

Une pratique en hausse

Nous avons ainsi pu constater en synthétisant les résultats obtenus que les augmentations de capital par placement privé sont plus nombreuses que les autres sur la même période et qu’elles concernaient davantage celles cotées sur Euronext Growth (marché d’Euronext adapté aux petites et moyennes entreprises (PME) qui souhaitent lever des capitaux pour financer leur croissance). Nous avons exclu par définition les émissions obligataires par placement privé. Sur Euronext Growth, depuis leur création, les placements privés sont globalement majoritaires et représentent plus de trois fois les augmentations de capital par offre au public impliquant l’aval de l’AMF.

BFM Business, 2024.

Entre 2009 et 2021, la France comptabilise plus de placements privés (279) que d’offres publiques classiques (241). La plupart de ces placements privés ont lieu sur Euronext Growth (160 sur 279). Au vu de leur relative importance en nombre, nous nous sommes intéressées aux motivations des entreprises françaises à opter pour un placement privé. Notre étude révèle que ce ne sont ni les difficultés à lever des fonds qui motivent un placement privé ni la recherche d’une réaction positive du marché à l’annonce d’un placement privé, permettant de faire grimper momentanément le prix de l’action.

Les placements privés semblent surtout entrepris par des entreprises assez opaques, c’est-à-dire caractérisées par une asymétrie informationnelle relativement élevée ; situation que les placements privés ne font qu’accentuer.

La récente mesure consistant à augmenter le pourcentage d’émission par placement privé de 20 % à 30 % par an permet certes aux entreprises d’accéder plus facilement aux financements. Pour autant, elle contribue à éloigner encore un peu plus le petit porteur des marchés financiers. Sa confiance ou son intérêt pour les marchés ne risque-t-il pas de diminuer s’il ne peut systématiquement pas participer à l’opération d’émission ?

La croissance des placements privés : une alternative aux levées de fonds aux contours mal connus

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

Auteur : Kirsten Burkhardt-Bourgeois, Maître de conférences, IAE Dijon, Université Bourgogne Europe

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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