La résistance aux antibiotiques remonte à plusieurs millions d’années : quels enseignements en tirer ?

L’analyse d’échantillons retrouvés notamment dans le permafrost montre que certaines souches de bactéries avaient développé des mécanismes de résistance bien avant la découverte et l’introduction des antibiotiques en clinique. Cela pourrait se révéler précieux pour lutter contre les phénomènes de résistances aux antibiotiques préoccupants que nous connaissons aujourd’hui.
Les antibiotiques sont considérés comme l’une des avancées les plus importantes de l’histoire de la médecine. Leur introduction en clinique dans les années 1940 a marqué un tournant dans la lutte contre les maladies infectieuses, amélioré la santé humaine et prolongé l’espérance de vie.
Aujourd’hui, paradoxalement, l’impact de la résistance bactérienne aux antibiotiques est devenu une menace mondiale et un défi majeur pour la médecine.
Leur utilisation abusive, qui est souvent incriminée en médecine humaine, vétérinaire et dans l’agriculture, a créé des conditions favorables à la sélection de bactéries résistantes.
Un héritage qui remonte à plusieurs millions d’années
Cependant, ce phénomène est plus ancien qu’on ne le pensait. Les bactéries possédaient des mécanismes de résistance bien avant la découverte et l’introduction des antibiotiques en clinique. Cela indique que la résistance aux antibiotiques est un phénomène évolutif ancien beaucoup plus complexe, répandu et profondément enraciné qu’on ne le pensait au départ.
Les données scientifiques appuient cette affirmation avec des études qui ont documenté les mécanismes de résistance aux antibiotiques dans les microorganismes retrouvés dans des habitats naturels où l’influence de l’humain est minime ou inexistante. Ces environnements comprennent les couches souterraines profondes, le fond des océans et les environnements anciens tels que les grottes isolées et le permafrost.
Il est intéressant de noter que de nombreux mécanismes de résistance décrits dans ces environnements vierges – dont l’origine remonte à des milliers ou des millions d’années – sont proches voire identiques à ceux observés chez les bactéries pathogènes actuelles. Cela suggère que la conservation et la transmission des mécanismes de résistance au cours de l’évolution constituent un avantage sélectif.
Résistance dans le permafrost
En particulier, les gènes de résistance retrouvés dans des échantillons de permafrost datant d’il y a 30 000 ans présentent une similitude frappante avec ceux que l’on trouve aujourd’hui. Il s’agit de résistances aussi courantes en clinique que celles observées contre les antibiotiques de la famille des bêta-lactamines (comme les pénicillines-céphalosporines, ndlr), les tétracyclines et la vancomycine.

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Des souches de staphylocoques résistantes aux antibiotiques aminoglycosides et bêta-lactamines ont également été isolées à partir d’échantillons de permafrost datant d’il y a 3,5 millions d’années.
Il existe des exemples qui remontent encore plus loin dans le temps. La grotte de Lechuguilla (Nouveau-Mexique, États-Unis) est un environnement considéré comme isolé depuis 4 millions d’années. Malgré cela, une étude a trouvé des bactéries du genre Streptomyces et Paenibacillus résistantes à la plupart des antibiotiques utilisés en clinique aujourd’hui.
« Le Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline » est le nom générique d’une bactérie multirésistante qui provoque des infections graves. Un travail de recherche a montré que certaines souches étaient résistantes bien avant l’utilisation de ce groupe d’antibiotiques : leur adaptation aux hérissons infectés par des champignons similaires qui produisent des antibiotiques leur a donné un avantage en termes de survie.
Une course aux armements pour la survie
Les résultats de la recherche révèlent que la compétition pour les ressources et l’adaptation à différents habitats ont été des facteurs clés dans l’évolution de la résistance aux antibiotiques.
Dans les environnements qui ont précédé le développement des médicaments, les antibiotiques naturels jouaient un rôle écologique en inhibant la croissance des concurrents. Ils favorisaient également la survie des espèces productrices. En outre, en très faibles quantités, les antibiotiques pouvaient agir comme des molécules de communication, en influençant les interactions et l’équilibre des communautés microbiennes.
Ces environnements dynamiques ont favorisé l’évolution des stratégies défensives des microorganismes exposés aux antibiotiques, qu’ils soient producteurs d’antibiotiques ou qu’ils coexistent avec eux. Cette évolution a, à son tour, favorisé la diversification et la diffusion des mécanismes de résistance au fil du temps.
Par ailleurs, la présence de ces mécanismes dans des environnements isolés et antérieurs à l’ère de développement des antibiotiques soulève des questions sur la manière dont la résistance est apparue et s’est propagée au cours de l’évolution microbienne. L’étude de ces processus est essentielle pour comprendre leur impact sur la crise actuelle de la résistance aux antibiotiques.
Regarder en arrière pour voir devant
Il est désormais admis que les gènes de résistance aux antibiotiques seraient passés des microorganismes de l’environnement aux organismes commensaux de l’humain, puis aux agents pathogènes. Ce processus de transfert de l’environnement à l’entourage de l’être humain est aléatoire : plus un mécanisme de résistance est répandu dans l’environnement, plus il est susceptible d’être transféré.
L’existence de réservoirs de résistance dans l’environnement peut accélérer considérablement l’évolution des bactéries vers la multirésistance sous la pression des antibiotiques. Il est donc crucial de prendre en compte la grande diversité de ces gènes de résistance au sein des populations microbiennes lors de l’élaboration ou de la mise en œuvre de nouvelles stratégies de lutte contre la résistance aux antibiotiques.
Comme l’a dit Winston Churchill :
« Plus vous regardez loin en arrière, plus vous verrez loin en avant. »
Cette réflexion souligne l’importance d’étudier le passé afin de comprendre et d’anticiper les risques futurs.
Par conséquent, la recherche sur la résistance ancestrale ne nous relie pas seulement au passé en fournissant des informations sur l’histoire évolutive des gènes de résistance, elle a également une valeur prédictive.
Ces connaissances nous permettent d’anticiper les mécanismes de résistance potentiels, ce qui améliore notre capacité à relever les défis futurs dans la lutte contre la résistance aux antibiotiques.
M. Paloma Reche Sainz a reçu des financements du ministère espagnol des sciences et de l'innovation dans le cadre du plan national PID2023-150116OB-I00 au sein duquel elle fait partie de l’équipe de recherche.
Rubén Agudo Torres a reçu des financements du ministère espagnol des sciences et de l'innovation, du ministère de l'économie, de l'industrie et de la compétitivité et du programme Horizon 2020 de la Commission européenne.
Sergio Rius Rocabert a reçu des financements du ministère espagnol des sciences et de l'innovation par le biais du programme Plan national avec le code PID2023-150116OB-I00 au sein duquel il fait partie de l'équipe de recherche.
Auteur : M. Paloma Reche Sainz, Profesora de Microbiología de la Facultad de Farmacia, Universidad CEU San Pablo, Universidad CEU San Pablo
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