Les arbres savent-ils quand a lieu le solstice ?

Le solstice d’été semble jouer un rôle d’aide-mémoire arboricole. Les températures autour de cette période affectent le nombre de graines produites par les arbres.
Depuis la Préhistoire, les humains célèbrent le solstice d’été. Mais nous ne sommes pas la seule espèce à avoir remarqué que le 21 juin est un moment particulier. Des études montrent que c’est aussi un moment important pour les plantes.
Ainsi, des études récentes (dont une des miennes) suggèrent que les arbres puissent utiliser le jour le plus long de l’année comme un marqueur clé de leurs cycles de croissance et de reproduction. Comme si le solstice était un aide-mémoire arboricole.
Par exemple, les arbres qui poussent dans des régions froides ralentissent la création de nouvelles cellules de bois aux environs du solstice et concentrent leur énergie à finir des cellules déjà formées mais encore incomplètes. Ce qui permettrait d’avoir le temps d’achever la construction des cellules avant l’arrivée de l’hiver – dont les températures glaciales endommagent les cellules incomplètes, les rendant inutiles pour le transport de l’eau l’année suivante.
Le solstice initie-t-il le brunissement des feuilles avant l’automne ?
Il semble également que les arbres profitent du solstice pour préparer de l’automne, avec la « sénescence » de leurs feuilles. La sénescence permet à l’arbre de réabsorber les nutriments essentiels présents dans les feuilles avant qu’elles ne tombent. Ce processus doit arriver au bon moment : si la sénescence est trop précoce, la perte de feuille réduit la photosynthèse (et donc l’acquisition d’énergie qui sert à la croissance de l’arbre entier). Si la sénescence est trop tardive, les gelées d’automne détruisent les feuilles encore vertes, ce qui fait perdre à l’arbre les précieux nutriments qu’il y avait stockés.
Ainsi, des observations satellites des forêts et des expériences contrôlées dans des serres montrent que des températures élevées juste avant le solstice ont tendance à avancer le brunissement des feuilles à l’automne
À l’inverse, des températures élevées juste après le solstice semblent ralentir le processus de sénescence, ce qui allonge la période de transition entre les feuilles vertes et les feuilles entièrement brunes. Ce réglage fin permettrait aux arbres de prolonger la période de photosynthèse les années où les températures restent plus élevées et de ne pas manquer ces conditions favorables.
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Ces observations et leurs interprétations font cependant débat parmi les scientifiques.
En effet, du point de vue de l’évolution, le solstice ne serait peut-être pas le meilleur marqueur temporel de ces transitions dans le cycle annuel des arbres. Par exemple, dans les forêts du Grand Nord, les feuilles n’apparaissent pas avant le début du mois de juin, quelques jours seulement avant le solstice, et la saison de croissance peut se prolonger jusqu’en octobre. Dans ces forêts où certains arbres viennent à peine d’entamer leur croissance pour l’année, utiliser le solstice pour amorcer le processus de réduction progressive des activités ne semble guère avoir de sens.
Par contre, il existe un consensus plus large sur l’utilisation du solstice par les plantes pour synchroniser leur reproduction.
Solstice, dis-moi combien de graines produire cette année
Chez de nombreuses plantes, en particulier les arbres des latitudes moyennes tempérées, le nombre de graines produites varie considérablement d’une année à l’autre, ce que l’on appelle le masting. Par exemple, un grand hêtre européen peut produire des centaines de milliers de graines lors d’une année exceptionnelle (une « masting year ») et renoncer totalement à la reproduction d’autres années.
La réduction de la production de graines par les hêtres, qui leur permet d’augmenter l’efficacité de leur reproduction, se fait souvent à l’échelle continentale, et par étapes.

Gabriele Rohde/Shutterstock
Un petit papillon, Cydia fagiglandana (ou le carpocapse des faînes, en français – le faîne est le fruit du hêtre), pond ses œufs dans les fleurs de hêtre. Lorsque les larves éclosent, elles mangent et détruisent les graines en développement. L’alternance entre des années fastes en faînes et années de disette contribue à protéger les populations de hêtres de ces papillons.
Au Royaume-Uni par exemple, les hêtres perdent moins de 5 % de leurs graines à cause de Cydia. En effet, les cycles affament les papillons et réduisent leur population, qui attend les années fastes. Si les arbres sont désynchronisés dans ces cycles de forte et faible production de fruits, la perte de graines peut atteindre plus de 40 %.
Nous savons depuis des dizaines d’années que les années d’abondance se produisent après un été particulièrement chaud. En effet, les températures élevées augmentent la formation des bourgeons floraux, ce qui entraîne généralement une plus grande récolte de graines à l’automne.
Comment les hêtres savent-ils que le solstice est le jour le plus long ?
Par contre, nous ne savons pas pourquoi ou comment les hêtres de toute l’Europe semblent utiliser la même fenêtre saisonnière (fin juin-début juillet) pour déterminer leur production de graines, quel que soit l’endroit où ils poussent en Europe. Comment un hêtre peut-il connaître la date ?
En 2024, en étudiant des dizaines de forêts à travers l’Europe, mon équipe a montré que ces arbres utilisent le solstice comme marqueur saisonnier : dès que les jours commencent à raccourcir après le solstice, les hêtres de toute l’Europe semblent percevoir simultanément la température.
Partout où les températures sont supérieures à la moyenne dans les semaines qui suivent le solstice, on peut s’attendre à une forte production de faînes l’année suivante, tandis que les conditions météorologiques des semaines précédant le solstice ne semblent pas avoir d’importance.
Comme le montrent les cartes météorologiques, les périodes de chaleur et de fraîcheur ont tendance à se produire simultanément sur de vastes zones.
Ceci permet aux hêtres de maximiser la synchronisation de leur reproduction, que ce soit en investissant dans une forte production (températures chaudes) ou en renonçant à la reproduction pendant un an (températures basses). L’utilisation d’un repère fixe comme le solstice est la clé de cette synchronisation et des avantages qui en découlent.

Andrew Hacket-Pain, CC BY-NC-ND
Désormais, nous collaborons avec une douzaine d’autres groupes européens pour tester cet effet sur différents sites, en manipulant la température de branches de hêtre avant et après le solstice. Les recherches en cours semblent indiquer que les gènes de floraison s’activent au moment du solstice d’été.
Enfin, des études sur les rythmes circadiens des plantes montrent que celles-ci possèdent des mécanismes moléculaires permettant de détecter de minuscules changements dans la durée du jour, et d’y répondre – ce serait la base de cette extraordinaire échelle de reproduction synchronisée.
Si le temps reste chaud au cours du mois qui vient, les hêtres de votre région produiront sans doute beaucoup de faînes à l’automne prochain – et il est bien probable que ce soit le cas dans le centre et le nord de l’Europe.
Andrew Hacket-Pain a reçu des financements de UK Research and Innovation, du Department for Environment, Food & Rural Affairs et du British Council.
Auteur : Andrew Hacket-Pain, Senior Lecturer, School of Environmental Sciences, University of Liverpool
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