Les crottes de hérisson, un trésor pour évaluer la biodiversité

Les hérissons européens, insectivores, sont de redoutables prédateurs à l’alimentation très variée. En étudiant, grâce à l’ADN environnemental, leurs déjections, on peut améliorer notre connaissance de la biodiversité des zones résidentielles, où ils vivent le plus souvent.
La biodiversité, ce riche répertoire des formes de vie présentes sur Terre, est en déclin. En tant que chercheuse en biologie de la conservation, je m’efforce de surveiller cette perte afin de mieux cibler les efforts pour les produire là où ils seront les plus efficaces. Et j’ai peut-être trouvé une piste originale.
J’étudie les hérissons européens, ces petits mammifères très appréciés qui peuplent nos jardins. Leur population est en fort déclin : on estime qu’en milieu rural, elle a chuté de près de 75 % au Royaume-Uni au cours des vingt-cinq dernières années.
Tirant les enseignements de mes recherches, je crois – moi, Dr Hedgehog (« Docteur Hérisson », en anglais) – que cette espèce pourrait être une aide précieuse pour cartographier la biodiversité. Grâce à un élément précis : ses crottes.
L’ADN environnemental à la rescousse
L’une des causes probables du déclin des populations de hérissons est la diminution des insectes, qui constituent une part essentielle de leur alimentation. C’est au cours de mes nombreuses nuits passées à suivre des hérissons équipés de balises radio que m’est venue l’idée d’analyser l’ADN environnemental (ADNe) contenu dans leurs crottes pour identifier ce qu’ils mangent – et, à travers cela, ce qui vit dans leur environnement.
La méthode de l’ADNe permet de révéler, en une seule analyse, les traces génétiques de tous les organismes présents dans l’échantillon. Et comme nous allons le voir, ces petits mammifères couverts d’épines ont un régime alimentaire étonnamment varié.
Au menu des hérissons
En raison de la disparition de leurs habitats naturels, les hérissons vivent de plus en plus souvent dans les jardins – c’est là que se jouera leur survie. Mes recherches ont montré que les hérissons européens présents dans les zones résidentielles visitent généralement de dix à quatorze jardins par nuit.
Ils y consomment une grande variété de proies, principalement des insectes, des escargots, des limaces et des vers, mais aussi des œufs d’oiseaux nichant au sol (car ils ne grimpent pas aux arbres). Ce sont aussi des charognards, capables de se nourrir de nombreux animaux morts.
Ce que l’on ignore généralement, c’est que ces adorables petites créatures sont aussi de redoutables prédateurs. S’ils en ont l’occasion, les hérissons n’hésitent pas à dévorer des oisillons tombés du nid ou des amphibiens comme des salamandres, des tritons ou des grenouilles. Ce sont d’excellents nageurs, et il leur arrive même d’attraper des poissons dans les bassins de jardin.
J’ai vu des hérissons s’attaquer à des pigeons adultes, voire à des poules de taille normale – et gagner. Il leur arrive aussi de mâchonner des excréments de renard et de se lécher les piquants avec la salive ainsi mélangée, probablement pour masquer leur odeur et échapper aux prédateurs.

Nojafoto/Shutterstock
On ne sait pas vraiment si les hérissons mangent volontairement des fruits et des plantes, ou s’ils cherchent en réalité les insectes ou vers qui s’y trouvent – les hérissons sont officiellement classés parmi les « insectivores » –, mais on retrouve aussi de la végétation dans l’estomac de spécimens morts. L’ADN des plantes ingérées par les insectes, vers et escargots eux-mêmes consommés par les hérissons apparaît également dans l’analyse de leurs crottes.
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Le témoin parfait
En matière d’indicateur de la biodiversité locale, les hérissons ont tout pour plaire. Ils vivent et se nourrissent dans une zone restreinte. Ils produisent beaucoup de crottes, facilement reconnaissables et simples à collecter. Tant que les hérissons seront là, nous ne manquerons pas d’échantillons à analyser.
Avant l’invention de l’analyse ADN, il était très difficile de connaître le régime alimentaire du hérisson. Une limace, après digestion, ne laisse plus aucune trace, et il est compliqué d’identifier une espèce à partir d’une patte de coléoptère mâchée. En revanche, un infime fragment est suffisant pour qu’une espèce soit détectée dans une analyse d’ADNe de crottes de hérisson. Imaginez ce que nous pourrions découvrir…
À l’heure où la biodiversité décline de façon alarmante, il est crucial de développer des méthodes fiables pour la surveiller. Une simple crotte de hérisson pourrait même révéler la présence d’espèces discrètes, considérées comme disparues dans certaines zones.
Un financement participatif
Mon idée de suivre la biodiversité via les crottes de hérisson a d’abord suscité des moqueries, et de nombreuses lettres de refus en réponse à mes demandes de financement. Mais j’ai refusé de baisser les bras. J’ai lancé une campagne de financement participatif pour soutenir la recherche : vous pouvez y « sponsoriser » une crotte de hérisson et recevoir un certificat. J’ai déjà 800 échantillons, prélevés partout au Danemark, en Angleterre et en Écosse, stockés au congélateur et prêts à être analysés.
Le travail a commencé et mes collègues et moi-même avons déjà obtenu des résultats très intéressants. Nous avons par exemple constaté que l’ADN d’oiseau reste rare dans les échantillons fécaux collectés sur des îles, où les hérissons sont accusés de constituer une menace pour les oiseaux nichant au sol dont ils mangent les œufs. Or nous sommes convaincus que notre méthode fonctionne : nous l’avions testée au préalable en donnant des œufs de caille à des hérissons, et nous avions trouvé beaucoup d’ADN d’oiseaux dans les échantillons.
Lorsque j’aurai réussi à réunir les fonds restants, nous poursuivrons les recherches.
Sophie Lund Rasmussen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Auteur : Sophie Lund Rasmussen, Research fellow in Ecology and Conservation, University of Oxford
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