Les enzymes, ces « nanomachines du vivant » qui pourraient transformer des déchets plastiques en ressources
Les déchets plastiques sont une plaie désormais bien identifiée. Certaines enzymes – des protéines très spécialisées, véritables nanomachines – sont capables de dégrader des molécules similaires aux plastiques de consommation courante.
Une enzyme microbienne, capable de s’attaquer à la barrière protectrice de plantes, a été détournée pour recycler le PET, un plastique dont on fait les bouteilles d’eau.
Chaque année, 400 millions de tonnes de plastiques sont produites sur Terre, soit la masse de 40 000 tours Eiffel. Environ 80 % de ces plastiques sont éliminés dans des décharges ou rejetés dans l’environnement. Les plastiques sont aujourd’hui indispensables à notre mode de vie moderne, car ils répondent à des besoins en matière de santé, d’habillement, d’emballage, de construction, de transport, de communication, d’énergie, etc.
Malheureusement, les plastiques (ou polymères synthétiques), principalement dérivés de ressources fossiles, posent cependant un problème écologique majeur en raison de leur faible taux de recyclage et de leur accumulation dans l’environnement. Différentes pistes de recyclage économe en énergie existent. S’il convient de garder à l’esprit qu’il n’y a pas de meilleur déchet que celui qui n’est pas généré, il faut aussi s’attaquer à dégrader les déchets déjà produits et ceux qui sont devenus indispensables.
En 2020, une étude a démontré qu’il est possible de recycler le PET – constituant principal de nombreuses bouteilles plastiques notamment – grâce à des enzymes, les « nanomachines du vivant ».
Comment recycler les plastiques de façon sobre ?
Pour commencer, expliquons ce qu’est un plastique : une succession de « perles » microscopiques (appelées monomères) qui sont assemblées en « colliers » (polymère), auxquels s’ajoutent diverses molécules chimiques. Le type de monomère, et son assemblage en polymère dictent la nature du plastique et ses propriétés.
Recycler les déchets plastiques implique donc soit de couper le polymère en monomères d’origine pour ensuite reformer de nouveaux colliers (on parle alors de recyclage chimique ou enzymatique), soit de broyer le déchet plastique pour le réagglomérer (on parle alors de recyclage mécanique).
Le recyclage chimique repose en général sur des procédés qui sont très gourmands en énergie et le recyclage mécanique produit souvent des matériaux de moindre qualité après retraitement.
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Il est important de noter que moins de 10 % du plastique mondial est actuellement recyclé. Des technologies de recyclage qui sont à la fois moins gourmandes en énergie et plus propres sont donc très recherchées.
Les enzymes, outils du vivant pour catalyser les réactions chimiques
Face à ce constat, l’utilisation d’enzymes représente une solution (bio) technologique prometteuse.
En effet, les enzymes sont des outils indispensables du vivant : produites par tout organisme, ces protéines ont pour rôle de catalyser des réactions chimiques de manière très fine et contrôlée.
Les processus enzymatiques sont partout : de la digestion des aliments à leur transformation en énergie, en passant par la fabrication d’hormones et autres composés indispensables au fonctionnement des êtres vivants.
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La force inégalée des enzymes, expliquant leur prépondérance comme nanomachines du vivant, est leur sélectivité : pour pouvoir assurer sa fonction et ne pas modifier son environnement de manière incontrôlée, chaque enzyme agit sur une liaison chimique bien déterminée, permettant ainsi d’obtenir des produits de réaction parfaitement contrôlés.
Et les plastiques dans tout ça ? De par leur introduction très récente dans l’environnement, les enzymes spécialisées dans la dégradation de plastiques synthétiques pétrosourcés sont encore (très) rares.
Cependant, la similitude de ces plastiques avec des polymères naturels récalcitrants qui, eux, peuvent être dégradés par certaines enzymes naturelles a donné à la communauté scientifique l’idée d’adapter ces dernières enzymes aux plastiques.

Fanny Seksek et Bastien Bissaro, Fourni par l’auteur
Recycler le PET grâce à une enzyme naturelle modifiée
Un bel exemple de cette démarche est celui développé par l’entreprise française Carbios en collaboration avec les équipes de recherche du Toulouse Biotechnology Institute (TBI) pour le recyclage enzymatique du polyéthylène-téréphtalate (PET), un plastique largement utilisé dans la fabrication de bouteilles en plastique et de textiles.
Pour cela, ils ont utilisé une enzyme appelée « cutinase », spécialisée dans la dégradation de la cutine, qui est un polymère d’acide gras que l’on trouve communément à la surface de certaines plantes. Cette barrière protectrice est dégradée par certains pathogènes comme des bactéries et des champignons, qui produisent pour ce faire des enzymes spécialisées dans le clivage de ses chaînes. Comme les liaisons chimiques reliant les monomères constituant la cutine et le PET sont de même type (liaison ester), la cutinase testée s’est avérée avoir une activité (certes faible) de dégradation du PET.
Cela a constitué une base prometteuse pour ensuite améliorer l’activité de l’enzyme, par des méthodes dites d’« ingénierie protéique ». Cette stratégie a permis d’adapter l’enzyme à un procédé industriel, qui se déroule dans des conditions très lointaines des conditions naturelles de l’enzyme (température plus élevée, concentrations en polymère élevées, besoin de réaction rapide, etc.).
In fine, ce procédé enzymatique permet de récupérer les monomères du PET, qui peuvent ensuite être réutilisés pour synthétiser du PET « neuf » pour faire soit de nouvelles bouteilles, soit des vêtements. Si la variabilité des bouteilles et des textiles (additifs, colorants) peut impacter l’efficacité du procédé, les performances sont suffisamment bonnes pour justifier la construction d’une usine à Longlaville, en Meurthe-et-Moselle, débutée en 2024.
Développer d’autres enzymes pour recycler d’autres types de plastiques
Bien que cette découverte soit prometteuse pour le déploiement d’enzymes dans le recyclage du PET, elle ne peut s’appliquer à tous les plastiques existants : à chaque liaison chimique son enzyme, puisque celles-ci sont hautement sélectives.
Pour chaque plastique que l’on souhaite recycler, c’est donc un nouveau défi. Les plastiques les plus abondants sur Terre que sont le polyéthylène (abrévié PE) et le polypropylène (abrévié PP) sont constitués de liaisons carbone-carbone très solides, les rendant totalement insensibles aux enzymes jusqu’ici découvertes. Cela reste donc rare de voir des success stories de recyclage enzymatique des plastiques, car c’est un sujet relativement récent qui va demander de nombreuses années de travail pour arriver à de nouvelles réussites.
Bastien Bissaro a reçu des financements de l'ANR.
Fanny Seksek a reçu des financements de l'ANR.
Auteur : Bastien Bissaro, Chercheur sur la biodiversité fongique et les biotechnologies, Inrae
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