L’Iran s’est coupé d’Internet : entre isolement et guerre numérique
Internet, arme de (dés)information massive
Pendant plusieurs jours, Internet a été coupé en Iran, en raison d’« inquiétudes » de cyberattaques des autorités. L’accès est revenu, en partie seulement. Avec l’entrée des États-Unis dans le conflit, la guerre pourrait s’intensifier dans le cyberespace.
Depuis des dizaines d’années, l’Iran et Israël sont en conflit ouvert. Depuis début 2024, c’est l’escalade, avec des bombardements réciproques. Le 13 juin 2025, une nouvelle étape est franchie : Israël bombarde les installations militaires iraniennes pour empêcher le pays de fabriquer une bombe nucléaire.
C’est à partir de ce moment-là que la situation d’Internet en Iran s’est dégradée, avant de sombrer le mercredi 18 juin : « les autorités iraniennes ont annoncé une coupure générale d’Internet […] Selon plusieurs observatoires, le trafic Internet du pays est devenu quasi nul », détaille Le Monde. Le peu d’échange de données restant étant probablement lié à des institutions officielles iraniennes qui ont toujours un accès à l’Internet.
Les explications officielles des autorités iraniennes sont des « inquiétudes » face à des cyberattaques israéliennes. L’Iran et Israël sont deux pays très actifs et avec un haut niveau de sophistication dans les cyberattaques. Quoi qu’il en soit, plusieurs observateurs qualifient cette coupure du plus grave incident depuis les manifestations de novembre 2019 contre l’augmentation du prix du carburant.
Un quasi black out pendant plus de 60 heures
NetBlocks, une organisation de surveillance de la liberté sur Internet, parlait le 18 juin, d’un « quasi black out d’Internet en Iran, après des perturbations partielles antérieures, et dans un contexte d’escalade des tensions militaires avec Israël après des jours de frappes de missiles dans les deux sens ».
« Les mesures montrent une restauration partielle de la connectivité Internet en Iran après une coupure d’environ 62 heures imposée par le gouvernement ; cependant, le service reste diminué dans certaines zones et la connectivité globale reste inférieure aux niveaux ordinaires », explique NetBlocks.
Même son de cloche avec le « Radar » de Cloudflare. On remarque que le trafic s’effondre totalement le 18 juin. Chez CloudFlare toujours, la courbe de trafic montre bien une première baisse importante dès le 13 juin.

Retour de la connexion le 21 juin, de manière limitée
Ce n’est que dans la journée du 21 juin qu’Internet à fait son retour, partiellement selon NetBlocks : « Les mesures montrent un retour partiel d’Internet en Iran, après une coupure d’environ 62 heures imposée par le gouvernement. Néanmoins, le service reste diminué dans certaines zones et la connectivité globale inférieure aux niveaux habituels ».
Mais le répit a été de courte durée, toujours selon l’organisation de surveillance. La connexion n’est restée en place que quelques heures, avant qu’une coupure, moins massive, soit de nouveau en place, « limitant l’accès à l’information alors que le conflit avec Israël se poursuit ».
Il n’est pas question d’une coupure totale, mais les métriques de NetBlocks montrent une baisse très significative du trafic. Même chose chez CloudFlare, avec une reprise progressive dans la journée du 21 juin, néanmoins sans remonter au niveau du début de la semaine.
« Le niveau de connectivité s’est de nouveau effondré, mais ce n’est pas ce qu’on appelle un « shutdown » comme ces deux derniers jours. On peut encore accéder à internet. La connexion est plus ou moins stable, selon là où se trouvent les gens et selon les outils qu’ils utilisent pour se connecter », explique Amir Rashidi, expert en cybersécurité et droits numériques pour l’ONG Miaa, comme le rapporte RFI.
Selon Frédérick Douzet, professeure à l’Institut français de géopolitique, « une coupure prolongée serait fortement préjudiciable pour le fonctionnement de l’économie et insoutenable pour la population. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les régimes autoritaires développent leur Internet malgré les risques, en cherchant une forme de contrôle dans l’ouverture ».
Pour Amir Rashidi, le black out quasi total est difficilement maintenable par les autorités : « Maintenir internet coupé alors que les gens sont bombardés, cela génère beaucoup de colère parmi la population. Et ça le gouvernement n’en a pas envie », rapporte RFI.
Internet en Iran, c’est comme une porte ouverte ou fermée
L’ONG Miaan, fondée en 2019 et spécialisé dans la question des droits humains en Iran et au Moyen-Orient, explique via son projet Filterwatch, les conséquences de cette coupure. Les communications internationales sont coupées, les messageries (WhatsApp, Signal…) ne fonctionnent plus et l’accès aux informations est limitée à celle du National Information Network (NIN ou RNI) iranien.
Il y a aussi de « graves perturbations des services bancaires et des guichets », ainsi que sur les applications de guidage par satellites comme Google Map. Ces perturbations « ont conduit des personnes à se perdre en essayant de quitter les villes », aggravé par une situation de pénurie de carburant ajoute l’ONG.
Amir Rashidi, détaille le fonctionnement d’Internet en Iran, comme le rapporte RFI : « Imaginez que vous êtes dans le bâtiment de votre travail. Il y a un réseau informatique à l’intérieur de votre bâtiment. Et il y a une porte qui vous permet de sortir de votre bâtiment. En fait, le réseau local iranien, c’est exactement comme le réseau à l’intérieur de votre bâtiment. Vous pouvez vous parler tant que vous êtes dans l’immeuble, mais si vous voulez sortir de l’immeuble, il y a une porte qui est contrôlée par les autorités ». Pendant le black out Internet, le gouvernement a fermé cette porte.
« Dans la plupart des pays, l’activité numérique est tellement imbriquée avec l’étranger qu’un blocage entraînerait d’importantes perturbations dans des secteurs comme les banques, les services publics ou les transports. Pas en Iran, qui a développé son RNI, isolé du reste du monde, notamment en relocalisant dans le pays un certain nombre d’équipements », explique Le Monde. L’Iran peut ainsi « de maintenir un certain nombre de services essentiels en cas de déconnexion du réseau mondial ».
Comme nous l’avons récemment expliqué, l’Iran (comme la Chine) a peu d’AS (Système autonome) ouverts sur le monde, permettant de facilement et rapidement « fermer la porte » pour reprendre l’expression d’Amir Rashidi. Si ce n’est pas encore fait, on ne peut que vous conseiller de lire notre dossier sur le fonctionnement d’Internet, pour de vrai (la partie 3 parle des AS).
- Chine, Iran, Russie… : comment des pays contrôlent, bloquent et manipulent Internet
- [Dossier] Internet, mode d’emploi : une URL c’est quoi ? (partie 1)
Les autres versants du conflit
Maintenant que les États-Unis sont entrés dans le conflit en bombardant massivement trois installations nucléaires iraniennes, la guerre dans le monde cyber devrait s’intensifier.
Comme le rapportait Axios il y a quelques jours, l’Information Technology-Information Sharing and Analysis Center (IT-ISAC) a déjà exhorté « les entreprises à renforcer leurs cyberdéfenses de manière proactive, rappelant l’historique de pirates informatiques et hacktivistes parrainés par l’État iranien ciblant les infrastructures critiques américaines lors de conflits précédents ».
Rappelons enfin que cette guerre n’a pas que des aspects numériques, loin de là : « les frappes israéliennes en Iran ont fait plus de 400 morts, en majorité des civils, depuis le début de la guerre le 13 juin, selon un bilan communiqué samedi par le ministère iranien de la Santé, avant l’attaque américaine. Les tirs iraniens sur Israël ont fait 25 morts, selon les autorités », explique RTS.
Auteur : Sébastien Gavois
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