Los Angeles : le recours à la Garde nationale au cœur du conflit entre Trump et les autorités locales
La loi autorise le déploiement de troupes fédérales à l’intérieur du pays dans des circonstances extraordinaires. Donald Trump estime que la situation actuelle à Los Angeles l’impose. Décryptage par un expert du rôle de l’armée dans la législation des États-Unis.
Le 9 juin 2025, Donald Trump a ordonné le déploiement à Los Angeles d’un contingent d’environ 700 Marines, en réponse à « des menaces accrues à l’encontre des forces de l’ordre fédérales et des bâtiments fédéraux » selon la formule du secrétaire à la défense Pete Hegseth.
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Cette escalade spectaculaire de la présence militaire à Los Angeles fait suite à l’ordre donné par Trump le 7 juin d’envoyer dans la ville environ 2 000 soldats de la Garde nationale.
Par ces deux décisions, le président entendre répondre à ce qu’il a qualifié de « nombreux incidents violents » commis par des personnes protestant contre les mesures prises par son administration afin d’interpeller et d’expulser des immigrés dans la région de Los Angeles.
Des représentants de l’État et de diverses collectivités locales ont protesté contre ces ordres donnés par la Maison Blanche. Le gouverneur (démocrate) de la Californie, Gavin Newsom, a ainsi parlé de décision « volontairement incendiaire », ainsi que d’« acte illégal ». Le 9 juin, la Californie a déposé un recours contre l’administration Trump pour bloquer le déploiement de la Garde nationale. D’autres détracteurs de Trump, à commencer par la maire démocrate de Los Angeles, Karen Bass, ont affirmé que l’ampleur et le caractère des manifestations ne justifiaient pas des mesures aussi extrêmes.
Amy Lieberman, rédactrice politique et société à The Conversation U.S., s’est entretenue avec William C. Banks, spécialiste du rôle de l’armée dans les affaires intérieures, pour comprendre dans quelle mesure la loi autorise le président à déployer des troupes à Los Angeles.
L’armée peut-elle être utilisée à l’intérieur du pays ?
Oui, mais c’est une manifestation d’autorité extraordinaire de la part du président que d’utiliser les troupes sur le territoire national. Cela ne s’est produit que très rarement aux États-Unis pour répondre à des troubles civils.
Le Congrès a délégué au président le pouvoir de déployer des troupes américaines à l’intérieur du pays dans des cas exceptionnels ; le reste du temps, seuls les gouverneurs disposent de l’autorité nécessaire pour ordonner le déploiement la Garde nationale.
Pourquoi le droit américain a-t-il été conçu de cette manière ?
Les États-Unis ont été fondés en réponse à l’utilisation abusive de l’armée anglaise par le roi George, qui l’a mobilisée pour restreindre les libertés civiles et les droits des colons dans la période précédant la révolution américaine. Ainsi, lorsque les pères fondateurs ont créé la Constitution, ils ont pris soin d’y insérer des dispositions visant à empêcher le gouvernement d’employer l’armée pour imposer sa politique.
Dans le même temps, les auteurs de la Constitution avaient conscience qu’il pourrait être nécessaire, dans certains cas, de recourir à l’armée au niveau national. Ils ont donc adopté plusieurs lois afin d’encadrer ces déploiements. D’une part, ils ont veillé à ce que le commandant en chef des forces armées soit un civil. Deuxièmement, ils ont confié au Congrès, et non au président, le pouvoir de convoquer la Garde nationale – ce que l’on appelait à l’époque la « milice » – afin d’instaurer une séparation des pouvoirs en la matière.
Dans quelles circonstances le président peut-il déployer des troupes dans une ville des États-Unis ?
En vertu de la loi sur l’insurrection, promulguée en 1807, un président peut déployer des troupes lors d’une « insurrection », c’est-à-dire lorsque la situation est hors de contrôle. Cette loi stipule que le président peut décider qu’il est devenu impossible (_ « impracticable »_) d’appliquer les lois des États-Unis dans une ville donnée ; dès lors, il peut faire appel à l’armée ou à la Garde nationale pour contribuer à rétablir la loi et l’ordre.
Pour invoquer la loi sur l’insurrection, le président doit d’abord s’adresser officiellement à ceux qu’il considère comme des insurgés en leur intimant de cesser leurs agissements. Si les insurgés – ou supposés tels – n’obtempèrent pas immédiatement, le président est alors habilité à déployer des troupes.
Donald Trump a qualifié à plusieurs reprises les manifestants de Los Angeles d’« insurgés », mais il est ensuite revenu sur ses propos et n’a pas encore fait de déclaration officielle. Lorsqu’il a ordonné aux membres de la Garde nationale de Californie de se déployer à Los Angeles le 7 juin, il l’a fait en vertu d’une autorité statutaire étroite visant à protéger les bâtiments fédéraux, les propriétés fédérales et les employés des services fédéraux qui tentaient d’appliquer les lois sur l’immigration.
Qu’est-ce que le Posse Comitatus Act et comment s’applique-t-il à la situation actuelle à Los Angeles ?
Le Congrès a adopté le Posse Comitatus Act en 1878. Le nom de cette loi provient d’un terme latin obscur, comitatus, qui signifie « le pouvoir du comté ». Cette loi établit que, aux États-Unis, même si l’armée est déployée sur le territoire national, elle ne doit pas s’engager dans des opérations de maintien de l’ordre.
Cette loi est un élément important du droit américain. Elle signifie que l’armée et la Garde nationale sont formées selon le principe qu’elles ne doivent pas s’engager dans des activités de maintien de l’ordre à l’intérieur du pays. Celles-ci sont réservées à la police, aux shérifs et aux marshals. L’invocation de la loi sur l’insurrection est la principale exception à cette loi.
La loi sur l’insurrection permet donc aux militaires de mener à bien des actions de maintien de l’ordre ?
C’est exact. Quand la loi sur l’insurrection est invoquée, les militaires peuvent agir comme des policiers, c’est-à-dire avoir le droit d’arrêter des civils et de les détenir, et aussi de mener des enquêtes ; leurs prérogatives en la matière ne sont alors limitées que par la Constitution.
Il reste que les membres de la Garde nationale californienne ne sont pas formés pour faire face à des situations telle que celle qui prévaut aujourd’hui à Los Angeles. Ils sont formés pour lutter contre les incendies de forêt, par exemple, mais pas à répondre à des troubles à l’ordre public.
Existe-t-il des obstacles juridiques qui pourraient remettre en cause le droit du président d’envoyer des troupes fédérales à Los Angeles ?
La réponse courte à cette question est non.
Les gouverneurs des États ou d’autres élus peuvent-ils empêcher l’envoi de troupes américaines dans leur ville ?
À bien des égards, c’est la principale question qui se pose actuellement. Le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, a déclaré que l’État n’a pas besoin de ces forces militaires. Le 9 juin, Newsom a intenté une action en justice contre l’administration Trump, arguant que l’autorité sur la Garde nationale est réservée aux États, « à moins que l’État ne demande ou ne consente à un contrôle fédéral ». Ce n’est pas le cas dans cette affaire.
William C. Banks ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Auteur : William C. Banks, Professor Emeritus of Public Administration and International Affairs, Syracuse University
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