Décryptage technologique

L’Otan, une alliance désormais dénuée d’adversaire commun

Le sommet de l’OTAN qui vient de se tenir à La Haye a mis en lumière la profondeur des divergences entre les États-Unis et leurs alliés européens. Le secrétaire général Mark Rutte tente de préserver l’unité d’une Alliance bousculée par le recentrage stratégique de Washington sur la Chine et par la compréhension dont Donald Trump fait preuve à l’égard de la Russie mais le communiqué final peine à dissimuler le degré de désaccord entre la plupart des membres de l’organisation et l’équipe en place à la Maison Blanche.


Mark Rutte avait une mission peu enviable cette semaine à La Haye. Le secrétaire général de l’OTAN devait concilier les visions divergentes des États-Unis et de l’Europe quant aux menaces sécuritaires du moment. À première vue, il a atteint son objectif, après voir employé la plus grande flagornerie à l’égard de Donald Trump afin d’obtenir de sa part des engagements cruciaux pour l’Alliance.

Mais ce sommet et les semaines qui l’ont précédé ont mis en évidence une réalité qu’il devient de plus en plus impossible à dissimuler : les États-Unis et l’Europe ne se perçoivent plus comme unis face à un ennemi commun. Créée en 1949 pour faire front à la menace soviétique, l’OTAN a été définie pendant toute la guerre froide par cet affrontement. Après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, Moscou est redevenue l’adversaire principal. Mais ces dernières années, Washington se concentre bien plus sur une Chine de plus en plus belliqueuse.

Des signes symboliques reflètent ce basculement. Chaque déclaration finale de sommet de l’OTAN depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine lancée par la Russie en 2022 affirmait l’attachement à « la légalité internationale, aux buts et principes de la Charte des Nations unies » et à « l’ordre international fondé sur des règles ».

Ce langage a disparu dans la déclaration publiée à La Haye le 25 juin. Contrairement aux précédentes, elle ne compte que cinq paragraphes, brefs et focalisés exclusivement sur les capacités militaires de l’Alliance et les investissements nécessaires pour les entretenir. On n’y retrouve aucune mention du droit international ni de l’ordre mondial.

Ce texte semble être le fruit d’un sommet volontairement raccourci pour minimiser le risque d’un esclandre de Donald Trump. Mais il illustre aussi le fossé grandissant entre la trajectoire stratégique américaine et les priorités sécuritaires du Canada et des membres européens de l’Alliance.

Le point presse de Donald Trump lors du sommet de l’Otan.

La brièveté de cette déclaration et la restriction de son contenu à un spectre aussi étroit laissent penser que des désaccords profonds ont persisté jusqu’au bout.

Depuis le début de l’invasion totale de l’Ukraine par la Russie en février 2022, les alliés de l’OTAN faisaient bloc derrière Kiev. Ce consensus semble aujourd’hui s’effriter.

Depuis janvier, l’administration Trump n’a autorisé aucune nouvelle aide militaire à l’Ukraine et a considérablement réduit son soutien matériel ainsi que ses critiques à l’encontre de Moscou. Trump a exprimé son souhait de clore rapidement le conflit, en acceptant de facto l’agression russe. Sa proposition envisage de reconnaître l’annexion de la Crimée par la Russie ainsi que son contrôle de certaines régions occupées (Lougansk, parties de Zaporijia, Donetsk et Kherson). L’Ukraine, dans ce scénario, renoncerait à intégrer l’Otan, mais pourrait recevoir des garanties de sécurité et rejoindre l’UE.

À l’inverse, les Européens ont redoublé d’efforts pour financer et armer la défense ukrainienne, tout en renforçant les sanctions contre Moscou.

Autre signal de cette divergence croissante : le secrétaire à la Défense américain, Pete Hegseth, a décidé de se retirer du groupe de contact pour la défense de l’Ukraine, une coalition internationale informelle coordonnant l’aide militaire à Kiev.

Voilà longtemps que Trump martèle que les membres de l’Otan doivent respecter leur engagement pris en 2014 de consacrer 2 % de leur PIB à la défense – un effort dont Rutte a reconnu qu’il était nécessaire. En 2018, Trump avait même réclamé que ce seuil soit porté à 4 ou 5 %, une demande alors jugée irréaliste. Mais désormais, signe d’une inquiétude croissante face à la Russie et aux hésitations américaines, les membres de l’Alliance – à l’exception de l’Espagne – sont convenus de porter leurs dépenses à 5 % du PIB dans les dix prochaines années.

L’article 3 du traité fondateur impose aux États membres de maintenir et de développer leurs capacités de défense. Or, depuis 2022, il est apparu que nombre d’entre eux ne sont pas préparés à une guerre de haute intensité. Le sentiment que la menace russe est désormais directe et concrète s’est renforcé, notamment chez les États baltes, mais aussi en Allemagne, au Royaume-Uni et en France. Ces pays ont reconnu la nécessité d’augmenter leurs budgets militaires et de renforcer leur état de préparation.

Les États-Unis, de plus en plus focalisés sur la Chine, vont redéployer une plus grande partie de leur flotte dans le Pacifique, y affecter leurs nouveaux équipements les plus performants, intensifier leurs opérations de présence, leurs exercices conjoints, leur entraînement et leur coopération avec les marines alliées dans le Pacifique occidental. Ce repositionnement suppose de réduire l’engagement américain en Europe – et donc, pour les Européens, de compenser cette absence pour assurer la dissuasion face à la Russie.

Le pilier central de l’Alliance reste l’article 5, souvent résumé par la formule « Une attaque contre l’un est une attaque contre tous ». Or, en route vers La Haye, Trump semblait hésitant sur la position américaine vis-à-vis de cet engagement. Interrogé sur ce point lors du sommet, il a simplement répondu : « Je le soutiens. C’est bien pour cela que je suis ici. Sinon, je ne serais pas venu. »

Lord Ismay, premier secrétaire général de l’Otan, aurait un jour résumé ainsi le rôle de l’Alliance : « maintenir les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands sous contrôle ». L’Allemagne est désormais au cœur de l’Alliance, les Américains sont là – mais l’attention de Washington est ailleurs. Et Rutte aura fort à faire pour maintenir Trump mobilisé sur la défense de l’Europe, s’il veut continuer à contenir la Russie.

L’Otan, une alliance désormais dénuée d’adversaire commun

Andrew Corbett ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Andrew Corbett, Senior Lecturer in Defence Studies, King’s College London

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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