Maladie d’Alzheimer et virus de l’herpès : que dit la science sur les liens possibles ?
Des études publiées dans des revues scientifiques de premier plan soutiennent l’hypothèse de liens entre la maladie d’Alzheimer et l’exposition au virus de l’herpès. Les travaux de recherche se poursuivent pour confirmer ou non ce scénario, sachant qu’Alzheimer est une pathologie complexe, très certainement déterminée par de multiples facteurs de risque.
La maladie d’Alzheimer est une pathologie neurodégénérative qui touche des sujets âgés dans sa forme la plus commune. On estime que 1 200 000 personnes souffrent de maladies neurodégénératives de type Alzheimer en France.
Découverte il y a un siècle, cette pathologie reste très largement énigmatique et les mécanismes exacts à l’origine de son déclenchement et de son évolution mal connus.
Parmi les hypothèses qui font l’objet de recherche, celle d’un lien entre Alzheimer et l’exposition au virus de l’herpès se voit renforcée par des publications récentes.
Des lésions cérébrales à l’origine d’un trouble cognitif majeur
La maladie d’Alzheimer est caractérisée par un ensemble de lésions microscopiques, initialement confinées dans certaines régions cérébrales. Les lésions se propagent ensuite, au fil de l’évolution de la maladie, dans de multiples aires du cerveau.

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Cette progression lente et stéréotypée des atteintes cérébrales s’accompagne de symptômes cliniques gradués (troubles de mémoire, perturbations du langage, difficulté à raisonner et planifier les actions, etc.). Les patients atteints de la maladie d’Alzheimer vont ainsi développer un trouble neurocognitif majeur (le terme de démence est parfois utilisé) menant à la perte d’autonomie, à l’isolement social et à la disparition des facultés mentales les plus complexes, évoluées et représentatives de l’espèce humaine.
Les lésions cérébrales qui entrainent ces manifestations cliniques dramatiques sont schématiquement de deux types :
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1) Certaines lésions sont présentes à l’intérieur des neurones sous forme d’enchevêtrements fibrillaires (on parle de « dégénérescence neurofibrillaire ») constitués d’une protéine, la protéine tau, qui s’accumule sous une forme anormale.
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2) D’autres lésions sont identifiées dans l’espace extracellulaire du tissu cérébral, sous la forme de plaques, dont la nature chimique est principalement composée d’une protéine (le peptide amyloïde-ß ou Aß) : les plaques amyloïdes.
Les dégénérescences neurofibrillaires et les plaques amyloïdes constituent la signature neuropathologique de la maladie d’Alzheimer. Toutefois, d’autres lésions sont observées dans les cerveaux des patients.
À ce jour, aucun traitement préventif ou curatif
Concernant les mécanismes à l’origine de la maladie, une avancée importante s’est produite au tournant des années 90 avec l’identification, chez certains patients, de mutations génétiques impliquées dans la production du peptide Aß.
Ces découvertes ont permis d’ébaucher l’hypothèse de la « cascade amyloïde » qui propose que l’accumulation de peptide Aß dans le cerveau est un événement princeps et fondateur qui va entrainer l’ensemble des autres lésions cérébrales et mener à la démence.
Cependant, les mutations responsables d’une surproduction d’Aß ne concernent qu’une très faible minorité de patients (moins de 1 %) et il est vraisemblable qu’une multitude d’autres facteurs causaux sont à l’œuvre dans la maladie.
Sans connaissance approfondie des mécanismes responsables de la maladie d’Alzheimer, il n’est pas illogique de constater qu’aujourd’hui aucun traitement préventif ou curatif efficace ne soit disponible, malgré l’effort de recherche thérapeutique très conséquent.
L’identification des déterminants causaux à l’origine de la maladie d’Alzheimer et des facteurs qui viennent moduler le risque de développer cette maladie ou qui en modifient la trajectoire est une priorité et mobilise de nombreuses équipes de recherche.
Des liens possibles entre Alzheimer et le virus de l’herpès
Récemment, un article scientifique publié dans la prestigieuse revue Neuron a rapporté des données inédites. Cette étude a analysé deux cohortes de plusieurs milliers de sujets finlandais ou anglais et montré qu’une encéphalite virale (une inflammation du cerveau consécutive à une infection virale) augmentait de 20 à 30 fois le risque de développer ultérieurement une maladie d’Alzheimer.
Ces travaux faisaient suite à d’autres études, dans différents pays, qui indiquaient un risque accru de développer une maladie d’Alzheimer après infection au virus de l’herpès (HSV-1), un virus hautement neurotrope (c’est-à-dire capable de pénétrer dans le cerveau). Ces mêmes études soulignaient l’effet protecteur (une réduction du risque de maladie d’Alzheimer) d’un traitement antiviral.
Plus récemment et de façon encore plus convaincante des études quasi expérimentales en population humaine ont montré, au Pays de Galles, en Australie et aux USA, que la vaccination contre le virus de la varicelle-zona (VZV), un virus de la même famille que le virus de l’herpès (HSV-1), réduisait de façon significative le risque de développer une démence.
Une hypothèse déjà défendue il y a 40 ans
L’hypothèse d’un rôle des virus, en particulier des virus de l’herpès, dans la maladie d’Alzheimer n’est pas nouvelle. Elle a été défendue, il y a plus de 40 ans, par un neurologue canadien, Melvyn Ball, qui suggérait que les réactivations du virus de l’herpès HSV-1 (le fameux bouton de fièvre) pourraient s’accompagner d’une neuroinvasion (c’est-à-dire une pénétration du virus dans le cerveau) et d’une dégénérescence des tissus cérébraux déclenchant une démence de type maladie d’Alzheimer.
Des travaux de recherche sont venus par la suite étayer l’hypothèse, en identifiant des « signatures virales » (correspondant aux protéines ou au génome du virus) qui marquent la présence de virus de l’herpès (HSV-1) dans les cerveaux des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, notamment au niveau des plaques amyloïdes.
Ces observations, ainsi que les premières études épidémiologiques, peuvent cependant être critiquées : mettre en évidence une association entre infection et maladie d’Alzheimer n’est pas suffisant pour établir un lien de causalité !
On pourrait même postuler, de façon provocatrice, que c’est la maladie d’Alzheimer qui rend l’organisme permissif aux infections virales (et non l’inverse !), expliquant ainsi la présence de matériel viral dans les cerveaux des patients Alzheimer.
Alzheimer et HSV-1 : pourquoi la recherche rebondit aujourd’hui
L’hypothèse infectieuse de la maladie d’Alzheimer s’est néanmoins trouvée renforcée, plus récemment, par deux séries de résultats expérimentaux :
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1) la découverte que le peptide Aß qui précipite au cœur des plaques amyloïdes a des fonctions antimicrobiennes et pourrait ainsi participer à une réponse physiologique (immunitaire) en réaction à une infection virale,
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2) le fait de réussir à induire, après infection par le virus de l’herpès (HSV-1) in vitro (dans des cultures de cellules) ou in vivo chez l’animal, d’une surproduction de peptides Aß et de protéines tau pathologiques (la protéine tau étant, on le rappelle, l’autre marqueur moléculaire de la maladie d’Alzheimer).
L’hypothèse d’un scénario à plusieurs étapes
La compréhension des relations entre infections virales et maladie d’Alzheimer a donc progressé ces dernières années et de nouvelles hypothèses émergent.
Concernant HSV-1, le virus le plus étudié, un scénario en plusieurs étapes peut être proposé :
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1) l’infection au virus de l’herpès (HSV-1) est courante dans nos populations et le virus est capable d’entrer en sommeil (phase de latence) pendant plusieurs décennies dans certains ganglions nerveux,
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2) au cours du vieillissement l’organisme fait face à différents stress qui, combinés à une baisse d’efficacité des défenses immunitaires du sujet âgé, vont favoriser la sortie de latence du virus et sa propagation dans le cerveau,
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3) la présence de virus actifs dans le cerveau va engendrer une réponse Aß et tau locale, à bas bruit, dans les zones infectées,
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4) ces lésions Aß et tau, associées à une inflammation cérébrale, vont initier un cercle vicieux d’autoamplification menant à l’intensification et à la propagation des lésions dans d’autres régions cérébrales.
Ce scénario hypothétique va nécessiter un important effort de recherche pour être validé (ou déconstruit, ainsi va la science !). Des travaux expérimentaux sont nécessaires chez l’animal ou sur des préparations tissulaires tridimensionnelles (organoïdes cérébraux) pour étudier finement la relation causale entre infection et marqueurs biologiques de la maladie d’Alzheimer.
Les études se poursuivent
Les études épidémiologiques, dans les populations humaines, se poursuivent également et cherchent à affiner l’impact des niveaux d’infection sur l’apparition ou l’aggravation des biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer.
Au final, c’est un ensemble de champs disciplinaires qui est convoqué et qui nécessite la communication et le partage de connaissances et d’idées entre virologues, neurologues, épidémiologistes, pathologistes, etc.
Confirmer le rôle d’agents viraux dans la maladie d’Alzheimer, mais aussi dans d’autres maladies neurodégénératives (comme la sclérose en plaques étroitement associée au virus Epstein-Barr, encore un herpès virus !) ouvrirait certainement la porte à de nouvelles pistes thérapeutiques préventives (vaccination) ou curatives (antiviraux).
Il faut néanmoins garder à l’esprit que la maladie d’Alzheimer est une pathologie extrêmement complexe et très certainement multidéterminée par différents éléments ou facteurs de risque, génétiques ou environnementaux.
Conclure à une cause unique de déclenchement de la maladie (comme celle d’une infection virale antérieure) est de toute évidence une ineptie. On rappellera à ce propos que bien qu’une grande partie (70-80 %) de la population humaine soit infectée par le virus de l’herpès (HSV-1), cette infection n’est pas une condition sine qua non pour développer la maladie !
Benoît Delatour a reçu une bourse de recherche de l’association France Alzheimer.
Auteur : Benoît Delatour, Directeur de Recherche CNRS, Institut du cerveau (ICM), Sorbonne Université
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