« Nouveaux OGM » : quels risques en Europe à autoriser les semences issues des nouvelles techniques génomiques ?

Décryptage technologique

Un futur cadre réglementaire spécifique aux variétés OGM issues des « nouvelles techniques génomiques » (NTG) est en cours de discussion au sein de l’Union européenne. Le compromis à l’étude diviserait ces variétés en deux catégories, soumises à des contraintes différentes. Des citoyens et des scientifiques alertent sur les risques qu’une telle distinction entraînerait. Ce n’est pas seulement d’agriculture dont il est question, mais de l’assiette des consommateurs européens.


Les semences, premier maillon de notre agriculture, ont été sélectionnées au fil des siècles pour offrir une alimentation sûre, saine et durable. En France, un catalogue officiel réglementé par le ministère de l’agriculture via le Centre technique et permanent de la sélection (CTPS) recense les variétés pouvant être commercialisées dans le pays. Il est décrit comme un outil capable de sécuriser le marché de semences saines, loyales et marchandes, et de renseigner agriculteurs, consommateurs et industriels sur les caractéristiques précises des variétés cultivées.

Ce catalogue pourrait intégrer prochainement de nouvelles variétés, issues des nouvelles techniques génomiques (NTG, plus connu sous l’acronyme anglais NGT).

Classées comme OGM depuis 2018, ces variétés sont pour l’instant interdites de culture dans l’Union européenne et leur importation est autorisée sous condition d’étiquetage. Mais un assouplissement de ces règles est en cours de discussion à Bruxelles.

Que sont les variétés issues des NTG ?

Pour rappel, il existe divers types de techniques permettant de créer une variété végétale, et notamment d’introduire de nouveaux caractères d’intérêt dans une plante.

Les techniques de sélection conventionnelles consistent à croiser deux variétés d’une espèce végétale pour obtenir une plante présentant les caractéristiques souhaitées. Ce processus peut être accéléré par des substances chimiques ou des rayonnements induisant des mutations.

Les techniques de modification génétique (OGM) établies consistent à modifier le génome d’une plante par transfert de gènes d’origine extérieure (transgénèse).

Les nouvelles techniques génomiques (NGT), elles, recoupent les approches permettant de modifier le génome d’une plante :

  • par mutagénèse ciblée, qui induit une ou plusieurs mutations spécifiques sans insertion de matériel génétique nouveau ;

  • par transfert de gènes provenant de la même espèce ou d’une espèce étroitement apparentée, par cisgenèse ou intragénèse ;

  • ou encore par des techniques permettant l’insertion ou délétion ciblée de fragments d’ADN, par exemple grâce à la technique des « ciseaux » moléculaires (CRISPR-CAS).

Ces NGT sont présentées comme des techniques permettant donc de modifier en des endroits précis le génome pour conférer au végétal des caractéristiques d’intérêt. Par exemple, meilleure résistance à la sécheresse, aux insectes ravageurs et aux maladies, rendement plus élevé, etc.

Elles sont vues comme permettant d’accélérer la création d’une variété par rapport aux techniques conventionnelles.

Un compromis réglementaire à l’étude

Ces NGT, apparues après la mise en place de la réglementation sur les OGM de 2001, n’avaient jusqu’alors pas de cadre législatif spécifique.

En 2018, un arrêt de la Cour de justice européenne a soumis les produits issus de ces nouvelles techniques à la réglementation OGM.

Mais sous la pression de plusieurs parties prenantes, le Conseil européen, dans sa décision du 8 novembre 2019 a enjoint la Commission de produire une étude sur le statut des NGT au regard du droit de l’UE.

Le 29 avril 2021, la Commission a rendu son étude et a conclu que la législation actuelle sur les OGM n’était pas adaptée à la réglementation ni des plantes NGT obtenues par mutagenèse ciblée ou cisgénèse, ni des produits (y compris les denrées alimentaires et les aliments pour animaux) qui en sont dérivés. Elle a conclu que cette législation devait s’adapter aux progrès scientifiques et techniques dans ce domaine.

Une proposition législative nouvelle a ainsi été publiée le 5 juillet 2023.

Alors qu’aucune version recueillant une majorité qualifiée n’avait pu être établie sous les dernières présidences (espagnole, belge et hongroise). La présidence polonaise a pu obtenir, via un calendrier très serré, une majorité qualifiée sur un texte de compromis le 14 mars 2025.

Les variétés NGT divisées en deux catégories

La France l’a soutenu en vue de la phase de « trilogue », qui a débuté en mai 2025 et permet d’engager des discussions entre Commission, Conseil et Parlement européen afin d’offrir un cadre réglementaire spécifique aux végétaux issues des NTG. La France a toutefois reconnu qu’il ne répond pas totalement aux enjeux sur les brevets, sur lesquels on reviendra plus bas dans ce texte. Le Danemark qui préside actuellement (juillet à décembre 2025) le conseil européen devrait poursuivre cette phase de trilogue.

La version actuelle du compromis entérine les deux grandes catégories inscrites dans la proposition de loi.

  • La catégorie 1 (NGT1) englobe les végétaux NGT considérés comme « pouvant apparaître naturellement ou avoir été produits par des techniques conventionnelles ». Ses végétaux ne sont pas considérés comme des OGM, les sacs de semences se voient imposer un étiquetage mais pas le produit final qui parvient au consommateur. Un État ne peut pas refuser de cultiver ou d’importer des NGT de cette catégorie.

  • La catégorie 2 (NGT2) inclut tous les autres végétaux NGT. Ils sont alors considérés comme des OGM et doivent être étiquetés comme tels. Leur culture peut être interdite par un État sur son territoire. Toute plante rendue « tolérante aux herbicides » par NGT doit être intégrée dans cette catégorie.

Les deux catégories de NGT sont prohibées pour l’agriculture biologique. Les plantes NGT1 ou NGT2 peuvent être brevetées.

L’accord sur le mandat de négociation du Conseil permet à sa présidence d’entamer des discussions avec le Parlement européen sur le texte final du règlement. Le résultat devra être formellement adopté par le Conseil et le Parlement avant que le règlement puisse entrer en vigueur.

Une réglementation qui divise

La réglementation à l’étude divise, en particulier entre professionnels de la filière et organisations non gouvernementales.

L’Union française des semenciers (UFS), et notamment le Collectif en faveur de l’innovation variétale, s’est ainsi félicitée de la position du conseil de l’Union européenne. Elle a souligné le « retard » de l’Europe sur ces techniques autorisées par « d’autres régions du monde » et ajouté qu’« il en va de notre souveraineté alimentaire dans un contexte international de fortes tensions ».

D’autres organisations, telles les Amis de la Terre Europe, Pollinis ou ECVC (European Coordination Via Campesina), dénoncent cette décision. Elles estiment qu’elle « menace grandement l’avenir de l’agriculture européenne et condamne à l’échec la nécessaire transformation de notre modèle agricole, en renforçant l’emprise de quelques multinationales ».

Plusieurs incertitudes et risques de ce futur cadre réglementaire suscitent l’inquiétude parmi les citoyens, mais également les scientifiques.

Une distinction floue entre les catégories

Tandis que la première proposition de loi distinguait les NGT1 des NGT2 par le nombre de nucléotides modifiés (inférieur ou égal à 20 nucléotides pour les NGT1 et supérieur à 20 pour les NTG2), ce seuil qui était arbitraire a été supprimé au profit d’un flou tout aussi latent (20 modifications ou 3, selon les propositions du Conseil ou du Parlement).

Qui pourra vraiment statuer sur le fait que les modifications NGT1 pourraient apparaître naturellement ou si elles doivent relever de la catégorie NGT2 ? Même en amont, comment distinguer les plantes NGT1 et les plantes issues de techniques conventionnelles ?

Dans ce compromis, cette différence sera fondée sur la simple déclaration du semencier. En cas de doute ou de litige, les scientifiques s’accordent sur la très grande difficulté – voire l’impossibilité – de détecter la technique à l’origine d’une mutation dans le génome.

En outre, l’état insuffisant des connaissances actuelles sur les régulations génomiques et sur l’épigénétique ne permet pas d’affirmer l’« équivalence » – évoquée par le texte sans la définir – entre une plante NGT1 et une plante issue de technique conventionnelle.

L’efficacité des NGT en question

Par ailleurs, le texte de loi indique en préambule que :

« les NGT ont le potentiel de contribuer aux objectifs d’innovation et de durabilité […], à la biodiversité et adaptation au changement climatique, à la sécurité alimentaire mondiale, à la stratégie pour la bioéconomie et à l’autonomie de l’Union ».

Les OGM vantaient les mêmes promesses. Or, leurs résultats ne sont pas à la hauteur : des études ont montré que ces cultures sont marquées par une augmentation des traitements herbicides et insecticides et par un contournement des résistances par les ravageurs.

À l’heure actuelle, les scientifiques ont trop peu de recul sur les NGT. Le référentiel d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux est mal adapté à ces nouvelles plantes.

Des risques liés aux brevets

La future législation pose enfin des interrogations en matière de propriété intellectuelle des variétés. Jusqu’ici, la France et l’Europe ont toujours refusé que leur reconnaissance passe par des brevets, privilégiant le certificat d’obtention végétale (COV) qui permettait notamment d’utiliser librement une variété dans un programme de sélection.

Si les brevets sont autorisés sur les plantes NGT1 considérées comme équivalentes à des plantes non modifiées, cela pourrait rouvrir des velléités de brevets sur traits natifs… autrement dit, des brevets sur des fragments d’ADN naturellement présents dans les plantes ou pouvant être obtenus après un simple croisement.

En outre, quid des semences paysannes ou traditionnelles qui contiendraient une séquence génétique « semblable » à celle obtenue par NGT et couverte par un brevet ? Les agriculteurs pourraient-ils être poursuivis pour contrefaçon ?

La concentration du secteur semencier est déjà très forte : en 2018, le marché mondial des semences était partagé entre six multinationales – Monsanto, Bayer, BASF, Syngenta, Dow et DuPont. Depuis, Bayer a racheté Monsanto, Dow et Dupont ont fusionné et donné Corteva, et Syngenta a été rachetée par ChemChina.

La proposition de loi et l’incitation au brevet ne risquent-elles pas d’accélérer cette concentration ? Quelle place pour les artisans semenciers ?

Une consultation lancée dans l’Union européenne

Ce compromis pose encore d’autres questions. Quid de la présence accidentelle de végétaux NGT1 ou NGT2 dans un champ en agriculture biologique ? Sur ce risque mentionné dans le texte de compromis, les États membres sont invités à prendre des mesures pour l’éviter. Mais concrètement, comment feront-ils ?

Enfin, un des problèmes tout aussi majeur est l’information du consommateur. Les NGT1 ne pouvant être refusées par les États et leur traçabilité étant restreinte à un étiquetage des semences, le mangeur européen ne pourra pas savoir si son assiette contient ou non des dérivés des variétés de cette catégorie.

Demain, sans que vous le sachiez, peut-être allez vous ingérer une tomate GABA antistress, une dorade produisant 50 % de muscle en plus, du blé moins générateur d’acrylamide, de l’huile de soja contenant moins de graisses saturées, du maïs waxy, ou encore en dessert une banane résistante à la cercosporiose (maladie des feuilles).

Nous sommes tous concernés par cette réglementation actuellement débattue à Bruxelles. Dans le cadre du projet de recherche européen Divinfood, nous organisons une consultation sur le sujet, à laquelle vous êtes largement invités à participer via ce lien. Cela permettra de faire remonter l’avis des futurs consommateurs de variétés NGT auprès des décideurs de l’Union européenne.

« Nouveaux OGM » : quels risques en Europe à autoriser les semences issues des nouvelles techniques génomiques ?

Dominique Desclaux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Dominique Desclaux, Chercheure en Agronomie et Génétique, Inrae

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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