Nouvelles images de la galaxie du Sculpteur : mille et une couleurs à 11 millions d’années lumières de la Terre

Décryptage technologique

Nouvelles images de la galaxie du Sculpteur : mille et une couleurs à 11 millions d’années lumières de la Terre
La galaxie du Sculpteur est imagée en grand détail par l’instrument MUSE du VLT de l’Observatoire européen austral, au Chili. ESO/E. Congiu et al., CC BY

Une nouvelle étude a permis de couvrir presque totalement la galaxie du Sculpteur, à 11 millions d’années-lumière de la Terre, avec un niveau de détail inégalé, et dans de très nombreuses couleurs. Ces informations, libres d’accès, permettent d’avancer dans notre compréhension de la formation des étoiles.


Une collaboration internationale d’astronomes, dont je fais partie, vient de rendre publique une des plus grandes mosaïques multicouleur d’une galaxie emblématique de l’Univers proche, la galaxie spirale du Sculpteur, ou NGC 253.

En seulement quelques nuits d’observations, nous avons pu couvrir la quasi-totalité de la surface apparente de cette galaxie de 65 000 années-lumière de large, avec un niveau de détail inégalé, grâce à un instrument unique, MUSE, attaché au Very Large Telescope de l’Observatoire européen austral (ESO).

Ces images permettent de voir à la fois les petites et les grandes échelles de cette galaxie située à 11 millions d’années-lumière de la nôtre. En d’autres termes, on peut zoomer et dézoomer à l’envi, ce qui ouvre la porte à de nouvelles découvertes, et à une compréhension approfondie du processus de formation des étoiles.

Un des Graals de l’astrophysique moderne : comprendre la formation des étoiles

Voici ce que l’on sait déjà. Pour former des étoiles, du gaz interstellaire est comprimé et de petits grumeaux s’effondrent : des étoiles naissent, vivent, et certaines étoiles finissent leurs vies dans une explosion qui disperse de nouveaux atomes et molécules dans le milieu interstellaire environnant — ce qui procure une partie du matériel nécessaire à la prochaine génération d’étoiles.

La galaxie du Sculpteur vue par le VLT : les étoiles déjà présentes en gris, auxquelles se surimposent les pouponnières d’étoiles en rose. Source : ESO.

Ce que l’on comprend beaucoup moins bien, c’est de quelle façon les grandes structures du disque galactique comme les spirales, les filaments ou les barres évoluent dans le temps et promeuvent (ou inhibent) ce processus de formation d’étoiles.

Pour comprendre ces processus, il faut étudier de nombreuses échelles à la fois.

En premier lieu, des échelles spatiales : les grandes structures elles-mêmes (spirales, filaments, barres font plusieurs milliers d’années-lumière), les régions denses de gaz appelées « pouponnières d’étoiles » (qui ne font « que » quelques années-lumière)… et une vision globale et cohérente de la galaxie hôte (jusqu’à des dizaines de milliers d’années-lumière de rayon).




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De plus, ces processus ont lieu sur des durées totalement différentes les unes des autres : les étoiles massives explosent au bout de quelques millions d’années, alors que les structures dynamiques comme les spirales évoluent sur des centaines de millions d’années.

De nombreuses études ont permis, dans les quinze dernières années, une cartographie de galaxies voisines à l’aide d’imageurs très performants au sol et dans l’espace.

Mais les différents acteurs de ces processus complexes (par exemple le gaz interstellaire, les étoiles jeunes ou vieilles, naines ou massives, la poussière) émettent de la lumière de manière spécifique. Certains par exemple n’émettent que certaines couleurs, d’autres un large domaine de longueur d’onde.

Ainsi, seule la spectroscopie — qui distingue les différentes couleurs de la lumière — permet d’extraire simultanément des informations telles que la composition des étoiles, l’abondance des différents atomes dans le gaz interstellaire, le mouvement du gaz et des étoiles, leur température, etc.


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L’avancée de l’ESO et de son instrument MUSE

C’est pourquoi cette étude dirigée par Enrico Congiu, un astronome de l’ESO, est si pertinente et excitante pour la communauté scientifique.

En rassemblant plus de 100 champs de vue, et quelques 9 millions de spectres obtenus avec le spectrographe MUSE au VLT, Enrico Congiu et son équipe, dont j’ai la chance de faire parti, ont pu sonder simultanément et pour la première fois l’ensemble de la galaxie mais aussi les différentes régions de formation stellaire individuellement dans leur environnement spécifique (dans les bras des spirales, au sein de la barre ou vers le centre), apportant des mesures robustes de leur composition et de leur dynamique.

La galaxie du Sculpteur vue dans différentes couleurs grâce au spectrographe MUSE : les éclats correspondent à des éléments chimiques abondants, comme l’hydrogène, qui émettent à des longueurs d’onde spécifiques. Source : ESO.

L’équipe d’astronomes en a profité pour découvrir plusieurs centaines de nébuleuses planétaires — vingt fois plus que ce qui était connu jusque-là. Ces données nous donnent simultanément des indications sur l’histoire de formation stellaire de la galaxie. Par exemple, elles vont permettre d’identifier et de caractériser en détail presque 2500 régions de formation stellaire, la plus grande base de données spectroscopiques pour une seule galaxie (article en préparation).

Mais c’est aussi une opportunité unique de tester la mesure de la distance à cette galaxie.

En effet, le nombre relatif de nébuleuses planétaires brillantes et moins brillantes au sein d’une même galaxie est un levier puissant pour déterminer la distance de cette galaxie. L’équipe internationale a ainsi montré que la méthode basée sur les nébuleuses planétaires était certainement entachée d’erreur si l’on ignore l’impact de l’extinction due à la poussière présente dans la galaxie.

Exploiter librement les données de MUSE pour démultiplier le potentiel de découverte

Ces magnifiques données calibrées et documentées de NGC 253 sont le fruit d’un travail important de la collaboration menée par Enrico Congiu, qui a décidé de les rendre publiques. Au-delà des études présentes et futures conduites par cette équipe, c’est donc la communauté astronomique mondiale (et n’importe quel astronome amateur !) qui peut aujourd’hui librement exploiter le cube de données spectroscopique MUSE.

Cet aspect « Science ouverte » est une composante primordiale de la science moderne, permettant à d’autres équipes de reproduire, tester et étendre le travail effectué, et d’appliquer de nouvelles approches, à la fois créatives et rigoureuses scientifiquement, pour sonder ce magnifique héritage de la science et de la technologie.

The Conversation

Eric Emsellem a reçu des financements de la Fondation Allemande pour la Recherche (DFG) pour par exemple l’emploi d’etudiants. Il travaille pour l’ESO (Observatoire Europeen Austral) et est en détachement de l’Observatoire de Lyon qui a mené la construction de l’instrument MUSE. Il fait parti de la collaboration internationale PHANGS et est un co-auteur de l’étude menée par Enrico Congiu.

Auteur : Eric Emsellem, Astrophysicien, Observatoire Européen Austral

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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