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Origine de l’eau sur Terre : un nouveau scénario sans bombardement de comètes ou d’astéroïdes

Le 14 février 1990, alors qu’elle fonce vers les confins de la Voie lactée, la sonde Voyager 1 prend une photo devenue iconique de la Terre. À une distance de 6 milliards de kilomètres, la planète n’est plus qu’un petit « point bleu pâle » (a pale blue dot), comme la qualifie alors l’astrophysicien et vulgarisateur de génie Carl Sagan. Ce point de vue unique a marqué les esprits en soulignant la taille et la fragilité de notre « vaisseau » dans la « vaste arène cosmique ». La teinte bleue nous rappelle aussi que la surface de la Terre est recouverte à près de 70 % par les océans. Cette omniprésence de l’eau, si évidente à nos yeux, constitue une énigme fascinante pour les planétologues. Selon ces spécialistes, la Terre s’est formée à partir de matériaux secs, l’eau ayant été repoussée en périphérie par la chaleur du Soleil naissant. Alors d’où vient toute cette eau terrestre ?

Le scénario qui fait le plus consensus est celui d’un bombardement massif par des corps riches en glace d’eau, provenant des régions reculées du Système solaire ou de la ceinture d’astéroïdes. Mais les détails de ce processus suscitent de nombreux débats parmi les astrophysiciens. Quentin Kral, de l’observatoire de Paris-PSL, et ses collègues proposent un nouveau scénario qui se dispense de ces collisions.

Les planétologues s’intéressent à cette question depuis très longtemps. Un premier scénario envisagé est que le matériau initial qui a constitué la Terre contenait de l’eau. Celle-ci se serait accumulée dans le manteau puis aurait migré vers la surface transportée par le magma lors d’éruptions volcaniques. Mais les analyses de roches mantelliques, notamment de zircons (des minéraux silicatés), suggèrent plutôt que l’apport d’eau s’est produit après la formation de la planète, mais aurait été terminé au plus tard 100 millions d’années après la naissance du Soleil.

Dans les années 1990, un nouveau scénario s’est fait jour : le bombardement par des comètes ou des astéroïdes. L’étude du deutérium (un isotope de l’hydrogène dont le noyau présente un proton et un neutron) dans l’eau terrestre précise ce scénario. Le rapport isotopique D/H de l’eau terrestre est plus proche de celui des astéroïdes (et spécifiquement des astéroïdes carbonés) que de celui des comètes. Les premiers seraient donc la source principale.

L’énigme semblait trouver sa solution. Il restait cependant à expliquer comment des perturbations, notamment des effets de résonance gravitationnelles entre planètes qui ont changé d’orbites, ont conduit des corps glacés à migrer des confins du Système solaire vers la ceinture d’astéroïdes, entre l’orbite de Mars et de Jupiter, puis vers la région interne. Cette dynamique nécessite une histoire complexe du Système solaire et des ajustements très fins.

Pour cette raison, Quentin Kral et ses collègues ont imaginé un autre scénario. Celui-ci démarre avec un disque protoplanétaire riche en gaz d’hydrogène et en poussière (de tels disques, où se forment les planètes, sont observés autour de nombreuses étoiles jeunes). Ce disque est si froid que les astéroïdes qui s’y forment sont riches en glace d’eau. Mais alors que le gaz du disque se dissipe progressivement, les astéroïdes, concentrés dans une ceinture entre les orbites de Mars et de Jupiter, ne sont plus protégés et sont exposés au rayonnement solaire. Conséquence : la glace se réchauffe et se sublime, ce qui forme un vaste nuage de vapeur d’eau autour de la ceinture d’astéroïdes.

Les chercheurs ont simulé numériquement l’évolution de ce nuage qui s’est étalé dans le Système solaire, du fait de la viscosité du gaz. Une partie significative a migré vers les planètes internes, dont la Terre, qui l’ont capté grâce à leur champ gravitationnel. En prenant en compte les variations dans l’activité du Soleil, Quentin Kral et ses collègues ont calculé que l’eau serait arrivée sur Terre 20 à 30 millions d’années après la naissance de l’étoile, alors que cette dernière connaissait une forte hausse d’activité.

Les chercheurs ont également estimé le volume d’eau captée. Elle serait compatible avec les observations, aussi bien pour la Terre que pour la Lune ou Mars, qui par la suite en auraient perdu de grandes quantités du fait de leur gravité plus faible.

Avec leur modèle, Quentin Kral et ses collègues prédisent l’existence de vastes nuages de vapeur d’eau qui persistent pendant plusieurs centaines de millions d’années dans les systèmes planétaires jeunes. Une façon de tester l’universalité de ce scénario consistera à traquer la signature de ces disques de vapeur d’eau dans de tels systèmes, notamment grâce au réseau de radiotélescopes Alma, au Chili. « Nous venons d’obtenir des données d’observation d’Alma pour un tel système, indique Quentin Kral. Nous sommes en train de les analyser. » À suivre…

Origine de l’eau sur Terre : un nouveau scénario sans bombardement de comètes ou d’astéroïdes

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Auteur : Sean Bailly

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Artia13

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