Où placer les stablecoins parmi les cryptoactifs ?

Décryptage technologique

Où placer les stablecoins parmi les cryptoactifs ?
L’USDT (Tether) et l’USDC (USD Coin) représentent plus de 90 % des stablecoins. ddRender/Shutterstock

Les stablecoins sont des actifs numériques conçus pour maintenir une valeur stable, généralement indexée sur le dollar américain. Leur capitalisation dépasse 260 milliards de dollars en juin 2025, dont plus de 99 % visent à suivre le dollar. Cette stabilité repose sur des réserves en monnaie fiduciaire, des cryptoactifs ou des mécanismes algorithmiques.


En ce mois de juin 2025, Circle, émetteur du stablecoin USDC, vient de déposer un dossier pour devenir une banque. La First National Digital Currency Bank. L’idée ? Se passer des acteurs bancaires traditionnels.

Les stablecoins jouent un rôle central dans les transformations monétaires actuelles. Loin d’être neutres, ils soulèvent des enjeux de régulation, de stabilité financière et de souveraineté. Dominés par l’USDT et l’USDC, qui représentent plus de 90 % du secteur, ils sont appelés à coexister avec les monnaies numériques de banques centrales — comme l’euro numérique — et les cryptoactifs décentralisés — comme le bitcoin.

Les comprendre, c’est anticiper l’évolution du système monétaire international.

Les stablecoins constituent l’une des quatre catégories de cryptoactifs — cryptomonnaies comme le bitcoin, jetons non monétaire comme le Basic Attention Token (BAT) sur ethereum, ou communautaire comme le $Trump –. On peut les distinguer à partir des deux critères : le mode d’émission et l’usage principal attendu.

Qu’en est-il des stablecoins ?

Natif et non natif

La majorité des cryptoactifs s’appuie sur des registres distribués — registre simultanément enregistré et synchronisé sur un réseau d’ordinateurs —, le plus souvent des blockchains, conçus pour enregistrer des données de manière fiable et infalsifiable.

Leur émission peut se faire de deux façons.

Les cryptoactifs natifs (ou cryptomonnaies) de paiement ou de plate-forme, comme le bitcoin ou l’ether, sont émis automatiquement par le logiciel de leur propre blockchain, conformément aux règles inscrites dans son protocole. De ce fait, ils ne sont associés à aucun émetteur identifiable.


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À l’inverse, les cryptoactifs non natifs sont créés après le lancement d’une blockchain, grâce à des programmes appelés contrats intelligents, ou smart contracts. Ces programmes autonomes, une fois lancés, fonctionnent de manière automatique et sans possibilité d’être modifiés. Ils sont installés sur une blockchain existante — comme Ethereum ou Solana — qui devient alors leur blockchain d’accueil.

Émetteur identifiable

Parmi les cryptoactifs non natifs, on distingue les jetons non monétaires, tels que les jetons utilitaires — comme le Basic Attention Token (BAT) sur Ethereum — ou communautaires — comme le $Trump ou Trump Coin —, et… les stablecoins, comme l’USDT.

L’émetteur d’un cryptoactif non natif est en général identifiable, car il existe une entité concevant le contrat intelligent, assurant la création et la gestion dudit jeton. Par exemple, le stablecoin USDC est émis par Circle, une entreprise spécialisée dans les services financiers numériques.

Sur la blockchain Ethereum, l’USDC prend la forme d’un jeton ERC-20, généré via un contrat intelligent. Ce jeton est conçu pour refléter la valeur du dollar américain, selon un principe de parité 1 :1. Lorsqu’un utilisateur envoie des dollars à Circle, celle-ci crée exactement la même quantité d’USDC et crédite l’adresse Ethereum de l’utilisateur. Les dollars reçus sont conservés en réserve, ce qui garantit la valeur des jetons émis. Circle reste responsable à la fois de l’émission et de la destruction des USDC, de manière à ce que chaque jeton en circulation corresponde à un dollar réel détenu en réserve.

Moyen de paiement

Les cryptoactifs sont principalement demandés pour deux types d’usages, correspondant à deux visions fondatrices de la blockchain.

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Buste de Satoshi Nakamoto à Budapest, l’un des fondateurs du bitcoin.
Shutterstock

Dans la vision de Satoshi Nakamoto, confondateur du Bitcoin, les cryptoactifs servent de moyen de paiement, puisqu’ils sont conçus pour permettre des transactions de pair-à-pair. Le bitcoin illustre pleinement cette fonction. Les stablecoins remplissent le même rôle, avec une particularité : leur valeur reste stable par rapport à une monnaie de référence, comme le dollar.

De son côté, Vitalik Buterin, cofondateur d’Ethereum, considère que le rôle principal des cryptoactifs est de donner accès aux services et fonctionnalités offerts par l’infrastructure blockchain ; qu’il s’agisse d’y développer des applications décentralisées, d’interagir avec des protocoles sans intermédiaires, ou encore d’y enregistrer des droits de propriété numérique comme les NFTs. L’idée : permettre aux utilisateurs de tirer parti de cette infrastructure, sans passer par des autorités centrales.

Les stablecoins sont donc des cryptoactifs non natifs, dont l’usage principal est celui de moyen de paiement.

Cryptoactif adossé au dollar

Face à la volatilité des cryptoactifs traditionnels, trois entrepreneurs, Brock Pierce, Craig Sellars et Reeve Collins, ont lancé en 2014 le projet RealCoin, le premier stablecoin adossé au dollar. Quelques mois plus tard, le projet a été rebaptisé Tether (USDT), afin de mieux refléter son ancrage à la monnaie états-unienne. Leur objectif est de créer un actif numérique stable, conçu pour faciliter les échanges tout en limitant les fluctuations de prix.

La stabilité des stablecoins repose généralement sur la possibilité pour les utilisateurs de les échanger à tout moment contre des dollars, à un taux fixe de 1 :1 — autrement dit, un jeton stablecoin vaut un dollar. Cette parité est rendue possible par l’existence de réserves, censées garantir la valeur de chaque jeton en circulation. Ces réserves peuvent prendre la forme de dollars déposés sur des comptes bancaires, ou, dans d’autres cas, de cryptoactifs.

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Cours du Tether USDt (USDT) de sa création à aujourd’hui.
Google Finance, FAL

Ce mécanisme d’émission et de rachat permet de corriger automatiquement les écarts de prix sur ce qu’on appelle le marché secondaire. Ce dernier regroupe les plateformes où les utilisateurs s’échangent directement les stablecoins entre eux, par opposition au marché primaire, où seuls les émetteurs créent ou détruisent les jetons.

Par exemple, si le prix d’un stablecoin dépasse un dollar, les utilisateurs sont incités à en vendre contre de la monnaie réelle, ce qui augmente l’offre du jeton et fait baisser son prix. À l’inverse, s’il passe sous un dollar, ils en rachètent, ce qui accroît la demande et fait remonter le prix. Ce jeu d’arbitrage contribue à maintenir la parité.

Trois types de stablecoins

Au sens strict, en excluant les cryptoactifs adossés à des matières premières, comme Tether Gold ou PAX Gold, qui suivent simplement le cours d’un actif réel tel que l’or, on distingue trois types de stablecoins :

  • Les stablecoins centralisés : adossés à des réserves en devises, souvent le dollar, ils sont émis par une entité centrale, comme Tether Limited, Circle, ou SG-Forge, une filiale de Société Générale, qui a lancé en avril 2023 un stablecoin adossé à l’euro (EURCV) destiné à des usages institutionnels sur la blockchain Ethereum.

  • Les stablecoins décentralisés comme DAI, dont la valeur est maintenue aussi proche que possible du dollar. Ils sont garantis par des cryptoactifs déposés dans des contrats intelligents sur la blockchain. Généralement surcollatéralisée, la valeur de ces cryptoactifs bloqués dépasse celle des jetons émis, afin d’absorber les pertes en cas de forte volatilité ou de défaut.

  • Les stablecoins algorithmiques, comme TerraUSD (UST), reposent sur un mécanisme à deux jetons : UST, censé rester stable à un dollar, et LUNA, utilisé pour absorber les variations de l’offre. Contrairement aux stablecoins garantis par des réserves réelles, UST n’était adossé à aucun collatéral tangible. Sa stabilité reposait sur des mécanismes incitatifs programmés, permettant notamment d’échanger 1 TerraUSD (UST) contre un dollar de LUNA. Mais en 2022, une perte de confiance a entraîné des ventes massives d’UST, forçant le protocole à émettre de grandes quantités de LUNA, ce qui a fait chuter sa valeur. Le système s’est enrayé, provoquant l’effondrement des deux jetons et révélant la fragilité de ce modèle.

Affaire Tether

En pratique, seuls les stablecoins centralisés bénéficient d’un mécanisme de stabilisation fondé sur l’arbitrage direct. Ce fonctionnement donne la possibilité pour les utilisateurs d’acheter ou de vendre des actifs numériques (jetons) en profitant d’écarts entre leur prix de marché et leur valeur théorique (1 dollar). Ils ont la garantie de pouvoir les échanger à tout moment contre des dollars auprès de l’émetteur, à un taux fixe de 1 :1. Ce mécanisme repose sur l’existence de réserves liquides, transparentes et bien gérées, permettant à l’émetteur d’assurer ce droit de rachat.




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Deux affaires ont mis en lumière les limites de ce modèle lorsque la transparence fait défaut ou que l’émetteur conserve un pouvoir de blocage sur les fonds. En 2021, l’affaire Tether se conclut par une amende de 18,5 millions de dollars pour manque de transparence sur les réserves. En 2023, 63 millions d’USDC sont gelés par Circle à la suite du piratage de Multichain, un service de transfert entre blockchains, détourné à hauteur de 125 millions de dollars).

Ces événements mettent en lumière les approches divergentes des deux leaders actuels du marché des stablecoins. Circle (USDC) privilégie depuis l’origine la transparence et des actifs très liquides comme les bons du Trésor des États-Unis. Tether (USDT), longtemps critiqué pour son opacité et ses réserves risquées, a récemment renforcé la qualité et la transparence de ses actifs.

Usages concrets dans le monde entier

Les stablecoins sont déjà utilisés dans des contextes très variés, souvent face à des contraintes économiques locales. En 2022, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a lancé un programme d’aide aux réfugiés ukrainiens via l’USDC sur la blockchain Stellar. Confrontés à une inflation supérieure à 100 %, de nombreux citoyens argentins se tournent vers l’USDT comme réserve de valeur et moyen de transaction.

Au Nigeria, leur usage s’est développé avec la dévaluation du naira et des restrictions bancaires. Enfin, aux Philippines, les stablecoins réduisent le coût des transferts de fonds depuis l’étranger. Les stablecoins jouent également un rôle croissant dans les environnements numériques. Sur certaines plates-formes, ils servent au paiement de salaires, comme avec Bitwage, ou aux réservations en ligne. À Singapour, les volumes de paiement en stablecoins dépassent déjà un milliard de dollars.

Dans tous les cas mentionnés, les stablecoins utilisés sont adossés au dollar états-unien, ce qui pourrait renforcer le rôle du dollar à l’échelle mondiale.

Exclusion de l’Union européenne ?

Depuis 2024, le règlement européen MiCA impose aux émetteurs de stablecoins une autorisation, ainsi que des exigences de transparence sur les réserves. Le stablecoin Euro CoinVertible (EURCV), lancé par Société Générale–Forge et émis sur les blockchains publiques Ethereum et Solana, répond à ces nouvelles exigences. Aux États-Unis, un projet de loi comparable, le Clarity for Payment Stablecoins Act, est toujours en discussion.

C’est dans ce contexte que Tether (USDT), principal stablecoin en circulation, se retrouve potentiellement exclu des plateformes régulées qui opèrent légalement dans l’Union européenne. Tether est émis hors d’Europe, par une entité qui n’a pas sollicité d’autorisation au titre de MiCA. Or, depuis juillet 2024, les stablecoins non autorisés ne peuvent plus être offerts au public ni admis à la négociation sur ces plateformes. USDT risque donc d’être progressivement retiré de plusieurs plateformes telles que Binance, Kraken, Bitstamp ou OKX EU.

Fragmentation du marché

Cette exclusion pourrait conduire à une fragmentation géographique du marché des stablecoins et à un avantage compétitif pour les jetons conformes à MiCA, comme EURCV. Cette situation illustre les limites de l’action réglementaire dans un environnement décentralisé. Si MiCA renforce la sécurité juridique sur les plateformes régulées, il ne peut pas empêcher la circulation transfrontière de l’USDT, qui restera accessible via des canaux non supervisés.

C’est aussi dans ce contexte que Société Générale–Forge s’apprête à lancer, durant l’été 2025, un nouveau stablecoin adossé au dollar, l’USD CoinVertible (USDCV). Émis sur Ethereum et Solana, ses actifs de réserve seront déposés auprès de la banque New York Mellon Corporation. Ce lancement pourrait contribuer à capter une part du marché institutionnel européen laissée vacante par le retrait probable de l’USDT. Il offrirait une alternative conforme à MiCA, libellée en dollar américain. D’autres initiatives similaires commencent à émerger…

Instruments de politique monétaire

Au-delà des aspects juridiques, les stablecoins sont devenus des instruments de politique monétaire internationale. En mars 2025, le secrétaire au Trésor américain Scott Bessent a déclaré que le gouvernement utiliserait les stablecoins pour maintenir la domination du dollar comme monnaie de réserve mondiale. Il a souligné que ces actifs facilitent l’accès au dollar et soutiennent la demande pour la dette publique américaine.

Face à cette situation, l’Union européenne cherche à accélérer la mise en place d’un euro numérique, une forme de monnaie de banque centrale, émise par la BCE et accessible au grand public, qui fonctionnera sur une blockchain privée. Pierre Gramegna, directeur général du Mécanisme européen de stabilité, a récemment alerté sur le risque d’une dépendance aux stablecoins adossés au dollar. Selon lui, leur adoption massive pourrait fragiliser la stabilité financière de la zone euro.

The Conversation

Françoise Vasselin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Françoise Vasselin, Maîtresse de conférences en Sciences Economiques – Université Paris-Est Créteil (UPEC), Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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