Oui, plus de femmes dans les conseils d’administration augmente la performance RSE d’une entreprise

C’est le résultat d’une étude menée entre 2006 et 2019 : intégrer plus de femmes dans les conseils, ce n’est pas seulement se conformer à la loi Copé-Zimmermann de 2011 ou à la directive européenne de 2024, c’est se donner les moyens de mieux répondre aux attentes des parties prenantes.
D’ici la fin de l’année, toutes les grandes entreprises cotées en Europe – plus de 250 salariés et réalisant un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros – devront avoir 40 % des postes d’administrateurs non exécutifs occupés par des membres du sexe sous-représenté. Aujourd’hui en Europe, 35,6 % des administrateurs sont des femmes. Une mise en conformité respectée par la plupart des entreprises.
Notre recherche s’appuie sur un échantillon d’entreprises françaises cotées en bourse entre 2006 et 2019 comme Bouygues, Air France, Saint-Gobain, Carrefour, Michelin, Danone, ou LVMH. Elle vise à comprendre si la présence des femmes dans les conseils d’administration joue un rôle dans l’amélioration de la performance sociétale des entreprises. Cette dernière est mesurée à travers les critères « Environnement, social, gouvernance » (ESG). Ils englobent notamment les émissions de gaz à effet de serre, les conditions de travail, la parité, l’intégrité des pratiques commerciales ou encore les relations entretenues avec les communautés locales.
Pour renforcer la rigueur de notre analyse, nous avons intégré un facteur institutionnel important : la loi Copé-Zimmermann adoptée en 2011. Cette loi impose aux entreprises françaises cotées, ainsi qu’à celles de plus de 500 salariés et de plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, de porter la proportion de femmes dans leurs conseils d’administration à 40 % d’ici 2017. Ce changement législatif constitue un tournant dans la gouvernance des grandes entreprises françaises. Il offre une opportunité unique d’observer les effets concrets de la diversité imposée sur les performances non financières.
Avec quelle efficacité et quelle efficience ?
Plus de diversité, plus de performance sociétale
Nos résultats sont sans ambiguïté. Les entreprises dont les conseils d’administration sont plus diversifiés du point de vue du genre tendent à obtenir de meilleurs scores en matière de performance ESG. Elle augmente de 32,71 % pour chaque point supplémentaire de la proportion de femmes siégeant à un conseil d’administration. Ces entreprises sont de facto plus susceptibles d’adopter des politiques internes favorables aux salariés, de mettre en œuvre des démarches éthiques concrètes ou d’afficher davantage de transparence dans leur communication stratégique.
L’une des explications avancées repose sur l’apport de perspectives différentes. Les femmes administratrices, souvent issues de parcours professionnels variés, introduisent des points de vue complémentaires à ceux des hommes. L’apport : élargir les débats, enrichir les analyses et aboutir à des décisions plus équilibrées. Les femmes présenteraient des traits communaux plus marqués, tels que l’affection, la bienveillance et la sensibilité interpersonnelle. Elle contribuerait à une meilleure prise en compte des intérêts des différentes parties prenantes, selon le sociologue des organisations Edward Freeman.
Entreprises familiales inclusives
Notre étude va plus loin en s’intéressant à un type spécifique d’entreprise : les entreprises familiales. Ces structures, constituant 71 % des PME et 73 % des ETI, présentent des caractéristiques particulières. Souvent contrôlées par une ou plusieurs familles fondatrices, elles sont très attentives à leur réputation sur le long terme. L’image qu’elles renvoient auprès des investisseurs, des clients ou des pouvoirs publics est perçue comme un capital essentiel à préserver.
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Dans ce contexte, la diversité de genre dans la gouvernance prend une dimension stratégique supplémentaire. La présence de femmes au sein des conseils d’administration agit comme un signal positif envers l’environnement externe. Elle montre que l’entreprise s’adapte aux évolutions sociétales, sociales et environnementales. Autrement dit, l’inclusion des femmes devient un vecteur de légitimité, au-delà de sa dimension interne.
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Les entreprises familiales privilégient souvent les relations de long terme, orientée vers la pérennité et la transmission à la génération suivante, contrairement à certaines entreprises cotées, soumises à la pression des résultats immédiats. Elles mettent en avant des valeurs comme la loyauté, la transmission ou la responsabilité intergénérationnelle. Ces principes sont en phase avec les objectifs de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). La présence de femmes dans les instances dirigeantes permet de renforcer cet alignement entre les valeurs proclamées et les décisions stratégiques prises au quotidien.
Masse critique
Notre étude souligne un autre point important : la simple nomination d’une ou deux femmes ne suffit pas à transformer en profondeur les pratiques de gouvernance. Pour que la diversité de genre produise des effets tangibles, il faut atteindre ce que les spécialistes appellent une masse critique. Concrètement, cela signifie qu’il faut dépasser un seuil souvent estimé autour de 30 % pour que les femmes puissent réellement peser dans les délibérations et influencer les orientations de l’entreprise.
En dessous de ce seuil, leur présence risque de rester symbolique, sans impact réel sur les décisions. Selon Refinitiv, les femmes dans les conseils d’administration des entreprises du CAC All-tradable ne représentent que 10,23 % des membres. Cette notion de masse critique rappelle que la diversité ne se décrète pas. Elle se construit dans la durée, par des politiques volontaristes et des changements profonds de culture organisationnelle. Elle implique aussi de créer un environnement où les voix minoritaires peuvent s’exprimer librement, sans crainte de marginalisation.
Outils efficaces de performance
Cette étude peut éclairer les entreprises et les décideurs publics. Pour les premières, elles soulignent que la parité dans les instances dirigeantes ne relève pas uniquement de l’éthique ou de l’image. Elle constitue un véritable levier stratégique pour améliorer la performance globale de l’entreprise, y compris sur les dimensions non financières. Pour les pouvoirs publics, ces résultats viennent appuyer la légitimité des quotas de genre, régulièrement débattus dans l’espace public.
En définitive, notre recherche met en évidence un point central : la diversité de genre ne relève pas uniquement d’une exigence morale ou politique. Elle s’inscrit pleinement dans les logiques de performance et de création de valeur, notamment dans les entreprises familiales, où les liens entre gouvernance et réputation sont particulièrement forts. En favorisant une meilleure représentativité dans les conseils d’administration, les entreprises peuvent non seulement mieux anticiper les enjeux sociétaux, mais aussi renforcer leur résilience et leur impact positif sur la société.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
Auteur : Asma Houcine, Professeur associée en comptabilité-finance et qualifiée au grade maître de conférences, Excelia
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