Particuliers vs professionnels de la finance : l’illusion des mêmes gains en Bourse
Gare au miroir aux alouettes sur les marchés financiers. Obtenir les mêmes rendements que les professionnels des marchés n’est pas chose aisée. En cause, une différence de nature entre un particulier forcément isolé, et un professionnel de l’investissement mieux armé. Sur les marchés, gare aux biais cognitifs.
Après une performance exceptionnelle des marchés américains en 2024 (+23 % pour le S&P 500 et +29 % pour le Nasdaq), le premier trimestre 2025 a été marqué par une volatilité inédite, amplifiée par les décisions commerciales successives et erratiques de Donald Trump. Le 2 avril 2025, baptisé « Liberation Day » par le président américain, l’administration Trump a imposé des droits de douane « réciproques », de 10 à 50 % en moyenne, sur les produits de la quasi-totalité des partenaires commerciaux des États-Unis, avant de revenir partiellement sur certains de ces droits décidés unilatéralement.
Bien qu’un tribunal américain ait temporairement bloqué ces mesures fin mai avant qu’une cour d’appel ne les rétablisse, l’incertitude générée a créé une volatilité exceptionnelle sur les marchés financiers : le VIX, indice de volatilité du S&P 500, a doublé depuis le début des annonces.
Cette situation masque une réalité complexe : si les banques d’investissement françaises tirent parti de cette volatilité pour générer des profits substantiels (on peut citer Société Générale avec une hausse de 10 % ou Crédit Agricole avec une hausse de 7,3 %), les investisseurs particuliers, attirés par ces rendements médiatisés, s’exposent à des risques comportementaux.
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Des performances de professionnels
Ceci étant rappelé, les particuliers doivent prendre garde : les performances obtenues par les professionnels de la finance sont difficilement réplicables à l’échelle individuelle. Contrairement aux particuliers, les banques d’investissement françaises disposent d’outils de gestion des risques sophistiqués qui leur permettent de tirer parti de la volatilité tout en limitant leur exposition. Elles utilisent des stratégies de couverture par les dérivés, une diversification poussée et des modèles de gestion des risques en temps réel. Ces institutions ont également l’avantage de pouvoir maintenir des positions sur le long terme, contrairement aux investisseurs particuliers souvent pressés par leurs contraintes de liquidité.
Cette asymétrie d’information et de moyens explique pourquoi les performances des banques d’investissement ne peuvent pas être directement extrapolées aux rendements que peuvent espérer les investisseurs particuliers. Les premiers disposent d’une infrastructure de gestion du risque que les seconds ne possèdent pas.
Un miroir aux alouettes pour les investisseurs particuliers
Au-delà de ces différences de moyens et de compétences, d’autres raisons militent pour davantage de prudence de la part des particuliers. Les performances exceptionnelles, affichées par certains marchés, créent un phénomène d’attraction particulièrement puissant auprès des investisseurs particuliers. Cette situation n’est pas nouvelle : la littérature académique en finance a largement documenté les biais qui poussent les investisseurs particuliers à prendre des décisions sous-optimales, particulièrement en période de forte volatilité.
Le cas des secteurs technologiques américains illustre ce phénomène. Lorsque Trump a menacé Apple de droits de douane d’au moins 25 % si la production d’iPhone n’était pas rapatriée aux États-Unis, l’action a d’abord chuté puis rebondi spectaculairement après la visite de Tim Cook à la Maison-Blanche. Ces mouvements erratiques, qui représentent des opportunités pour les traders professionnels, constituent autant de pièges pour les investisseurs particuliers.
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Émotions trompeuses
Tout d’abord, le « biais de confirmation » constitue l’un des pièges les plus pernicieux. Ce biais comportemental a été très bien documenté dans les travaux de Daniel Kahneman, prix Nobel d’Économie en 2002. Les investisseurs ont tendance à ne retenir que les informations qui confirment leurs croyances préexistantes, ignorant les signaux d’alarme et surestimant leurs capacités de prédiction.
Un autre biais important est l’« effet de disposition », qui consiste à vouloir vendre trop tôt les titres dont la valeur a augmenté, afin d’enregistrer le gain, et à garder les mauvais titres, espérant faire des profits dans le futur. Ce biais a été mis en avant pour la première fois dans une étude académique menée par Terrance Odean en 1998 sur la base de 10 000 comptes individuels analysés de 1987 à 1997, représentant environ 100 000 transactions.
Ce comportement est l’inverse de ce que suggère une gestion rationnelle des risques. De plus, cette tendance s’amplifie en période de volatilité, quand les émotions prennent le dessus sur l’analyse rationnelle. Les investisseurs particuliers, éblouis par les performances à court terme, négligent souvent la dimension temporelle des investissements et les risques de retournement.
Enfin, la numérisation des services financiers et la communication marketing des banques privées créent une illusion de démocratisation de l’investissement. Les plates-formes en ligne permettent aux particuliers d’accéder facilement aux marchés, mais cette facilité technique ne s’accompagne pas automatiquement d’une meilleure compréhension des risques. L’effet de « surconfiance » décrit par Barber et Odean montre que les investisseurs particuliers surestiment systématiquement leurs capacités, particulièrement après une série de gains. Cette « surconfiance » les pousse à prendre des risques disproportionnés, réduisant leurs performances nettes.
Des biais exacerbés avec la volatilité
L’impact de ces différents biais comportementaux sur les performances des investisseurs particuliers a été estimé à 1,1 % de manque à gagner annuel selon Morningstar, une entreprise spécialisée dans les investissements. De plus, en période de forte volatilité, comme celle que nous connaissons actuellement, ces biais s’exacerbent. Les investisseurs particuliers, influencés par l’euphorie des médias financiers et les performances exceptionnelles communiquées par les institutions, sont tentés d’augmenter leur exposition aux risques sans mesurer les implications à long terme.
Face à cette situation, plusieurs principes issus de la recherche académique peuvent guider les investisseurs particuliers :
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la diversification reste la seule « recette miracle » gratuite en finance (« The Only Free Lunch » de Harry Markowitz). Elle permet de réduire le risque spécifique sans sacrifier le rendement espéré à long terme ;
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l’adoption d’une stratégie d’investissement programmé (dite DCA – Dollar Cost Averaging) permet de lisser les effets de la volatilité ;
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la définition d’objectifs à long terme et d’une stratégie de sortie préalable permet de limiter l’impact des émotions sur les décisions d’investissement.
Malgré ces réserves, les investisseurs privés qui veulent profiter de cette situation doivent ne pas se laisser abuser par les résultats des banques spécialisées, car ils n’ont ni les mêmes moyens ni les mêmes outils. Sur les marchés financiers, être conscient du risque est essentiel. La prudence doit donc guider les investisseurs privés sur ces marchés comme sur d’autres, car si la volatilité est associée à des anticipations de gains, les prises de position peuvent se terminer par des pertes très importantes.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
Auteur : Jérémie Bertrand, Professeur de finance, IESEG School of Management et LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of Management, IÉSEG School of Management
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