Peut-on subventionner les panneaux solaires de façon juste et efficace ?

Décryptage technologique

Pour promouvoir le développement du solaire, de nombreux États ont mis en place des politiques incitatives, pour pousser notamment les particuliers à se doter de panneaux solaires. Mais ces subventions peuvent avoir des effets pervers et engendrer des situations inéquitables.


Le gouvernement français a réduit les aides financières dédiées à l’installation de panneaux solaires ainsi que le tarif de rachat de l’électricité produite, spécialement pour les particuliers. L’occasion de scruter les effets de ce type de subventions, à travers l’exemple de la Belgique, que j’ai étudiée.

En 2022, une étude de l’OCDE montrait que si la taxation du carbone est peu populaire, les politiques de soutien aux technologies « vertes » le sont beaucoup plus, tant auprès des citoyens que des politiciens.

Si ces subsides peuvent s’avérer utiles, ils doivent toutefois être conçus en anticipant la réaction des bénéficiaires, or celle-ci est parfois contre-productive. L’exemple des subventions dont jouissent les panneaux solaires et qui ont été globalement très généreuses, interpelle à cet égard : elles ont modifié le comportement des ménages, mais pas toujours dans le sens attendu.

Dans un contexte de transition énergétique, qui implique en particulier une hausse de la production décarbonée et décentralisée d’électricité, les défis sont considérables. Le développement et l’intégration dans le réseau de cette production décentralisée, par les individus et par les communautés d’énergie, requiert un cadre adéquat.

Quand les incitations découragent l’autoconsommation

Prenons le cas de la Wallonie, en Belgique. Ici, les propriétaires de panneaux solaires peuvent injecter leur production solaire excédentaire dans le réseau électrique, et la consommer gratuitement plus tard. Ce système, appelé net metering ou compensation, valorise la production solaire au prix de détail, c’est-à-dire que ces citoyens la vendent à un niveau supérieur au prix du marché de gros.

Logiquement, ce phénomène devrait engendrer un plus grand déploiement des panneaux solaires là où l’électricité est la plus chère : notre étude récente fondée sur des données recueillies dans 262 municipalités wallonnes entre 2008 et 2016, montre en effet que des tarifs de distribution élevés incitent davantage à l’installation de panneaux photovoltaïques. Chaque augmentation de 1 centime par kWh dans les tarifs de distribution entraîne une hausse de 8 % des installations par an.

Le système de compensation présente toutefois des limites. S’il favorise la production solaire, il n’encourage pas suffisamment les ménages à l’autoconsommation, c’est-à-dire à consommer au moment où ils produisent, ni à investir dans des systèmes de stockage d’énergie : il leur est plus rentable de la vendre sur le réseau.


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Une situation qui peut entraîner des coûts supplémentaires pour les opérateurs de réseau, qui doivent gérer des injections massives d’électricité au moment où la production solaire est abondante. Par ricochet, cela affecte les ménages non équipés de panneaux qui voient les coûts du réseau augmenter.

Ce constat souligne un défi central pour les régulateurs : comment concevoir des incitations financières qui équilibrent promotion des énergies renouvelables et durabilité des infrastructures du réseau ?

Quand les subventions poussent à la surconsommation

Un autre défi majeur se présente, que nous avons également étudié : l’effet rebond des subventions solaires.

En Wallonie, de nombreux ménages bénéficiant de subsides généreux ont surdimensionné leur installation photovoltaïque, produisant plus d’électricité que nécessaire. Ce surplus est disponible gratuitement pour la consommation et très largement consommé par les ménages eux-mêmes, ce qui conduit à une augmentation de la consommation d’électricité de près 35 % chez les ménages suréquipés.

Cet effet rebond va à l’encontre des objectifs initiaux de réduction de la consommation d’énergie. Le principe de compensation incite à la consommation des surplus solaires, car les ménages perçoivent cette électricité comme « gratuite ».

Ainsi des politiques de soutien conçues pour promouvoir les énergies renouvelables peuvent encourager des comportements de surconsommation, diluant les bénéfices environnementaux et pour le climat.




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Quand le soutien au solaire est vécu comme injuste

Pour aller plus loin, un article récent publié avec des collègues met en lumière une autre problématique : les tensions politiques engendrées par les politiques de soutien aux énergies renouvelables.

En Belgique, la générosité de ces subventions a créé des déséquilibres financiers importants, qui se sont traduits par une progression généralisée des prix de l’électricité et une hausse des factures, principalement pour ceux qui n’avaient pas installé de panneaux. Ce financement a plus tard été partiellement complété par une contribution aux frais de réseaux imposée aux détenteurs de panneaux solaires.

Dans les régions où l’adoption des panneaux solaires a été massive, cette dynamique a eu pour conséquence de nourrir la défiance vis-à-vis des partis au pouvoir. Les ménages non équipés, qui ne bénéficient pas des subventions, ont critiqué les coûts élevés de l’électricité, favorisant ainsi des mouvements politiques « anti establishment ». Malgré leur rôle crucial pour promouvoir les énergies renouvelables, les subventions présentent le risque d’accentuer les divisions sociales lorsque les coûts associés sont perçus comme injustes.

Ce qui pose une question fondamentale pour l’avenir des politiques énergétiques : comment s’assurer que les subventions profitent à tous, sans créer de tensions sociales ou de coûts disproportionnés pour les ménages non bénéficiaires ? Une certitude : les réformes politiques doivent tenir compte de l’impact à long terme des subventions et de leur répartition plus équitable.

Des communautés énergétiques pour une production plus équitable

En outre, tout le monde n’a pas la capacité d’installer des panneaux solaires sur son toit. Dans ce contexte, l’émergence des communautés d’énergie apparaît comme une alternative intéressante qui permet de faire participer le plus grand nombre à la transition énergétique.

Dans un article récent publié avec des collègues, nous donnons un éclairage sur la possibilité pour des groupes de citoyens, d’entreprises ou d’organisations d’investir ensemble dans des unités de production d’énergie renouvelable (solaire ou éolienne) et d’ensuite partager la production au sein d’une communauté.

Ces communautés permettent une consommation locale de l’énergie produite, réduisant ainsi les coûts sur le réseau. Elles favorisent aussi une répartition plus équitable des bénéfices de la transition énergétique, en permettant à un plus grand nombre de ménages de participer à la production et à la consommation d’énergie renouvelable.

Pour que ces communautés soient viables, il est toutefois nécessaire d’établir des cadres réglementaires adéquats. Cela inclut des systèmes de tarification qui encouragent l’autoconsommation tout en minimisant les impacts négatifs pour les non-membres de la communauté. Nos travaux insistent pour cela sur l’importance d’adapter les incitations financières et les infrastructures.

Des politiques énergétiques plus équitables et durables

Nos recherches citées dans cet article mettent en lumière les effets inattendus des politiques de subventions solaires. Si elles ont réussi le pari de dynamiser l’adoption des énergies renouvelables, elles ont aussi provoqué des déséquilibres économiques, techniques (sur le réseau de transport d’électricité) et sociaux qui nécessitent d’être corrigés afin de garantir une transition énergétique réussie.

L’idée d’une production d’énergie plus locale, à travers des communautés énergétiques, pourrait être une réponse plus juste aux défis posés par les subventions individuelles. En réorganisant la production et la consommation d’énergie à l’échelle locale, il serait possible de réduire les tensions sociales, de diminuer les coûts pour les ménages, et d’assurer une meilleure intégration des énergies renouvelables dans les infrastructures existantes.

Pour que cette transition réussisse, toutefois, il est essentiel de repenser les cadres réglementaires actuels, en tenant compte des habitudes de consommation et des effets rebonds qui peuvent émerger avec les nouvelles technologies. Il s’agit de trouver un équilibre entre l’incitation à l’adoption des énergies renouvelables et la durabilité à long terme des systèmes énergétiques.

Il apparaît donc indispensable de réinventer les politiques énergétiques pour s’adapter à la réalité des comportements des consommateurs et aux exigences des infrastructures. Le défi est de taille, mais les solutions proposées, telles que les communautés énergétiques, offrent une voie prometteuse vers une transition énergétique plus équitable et durable.


Ce texte a été écrit en collaboration avec le Dr Arnaud Stiepen, expert en vulgarisation scientifique.

Peut-on subventionner les panneaux solaires de façon juste et efficace ?

Axel Gautier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Axel Gautier, Professeur d’économie, HEC Liège, LCII (Liège Competition and Innovation Institute), Université de Liège

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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