Pour se lancer (vraiment) dans l’IA, Apple songerait à racheter Perplexity
Rendez-vous à la prochaine gare
Ces derniers jours, plusieurs articles ont fait état de discussions au sein d’Apple au sujet de Perplexity. Le géant américain, clairement en retard dans le domaine de l’IA, réfléchirait à un rachat. L’opération aurait du sens, mais les projets d’Apple seraient suspendus à une décision de justice pour Google. Explications.
Apple est en retard sur l’IA générative. Le bouquet annoncé à la WWDC 2024 était peut-être ambitieux sur l’instant, mais sa réalisation et son exécution ont laissé à désirer. Les premières fonctions ne sont arrivées qu’à l’automne suivant, et même en avril pour l’Europe. Et depuis que les services sont disponibles, on ne peut pas dire qu’ils brillent par leur efficacité.
Cette situation comporte trois gros problèmes. D’une part, la perception d’une entreprise habituée à être vue comme l’un des ténors de l’innovation et de la maitrise technologique. Apple a raté le train de l’IA et court pour le rattraper. Ensuite, l’IA générative est un gouffre et Apple a voulu s’en équiper à sa façon, en créant son Private Cloud Compute censé préserver la confidentialité des données. Résultat : les milliards de dollars sortent et rien ne rentre, car l’entreprise n’est pas en position de facturer quoi que ce soit.
Enfin, la promesse d’un Siri conversationnel et beaucoup plus intelligent s’est retournée contre l’entreprise. Les capacités présentées n’ont pas été diffusées et Apple écope d’un recours collectif aux États-Unis. Séduits par cette promesse en effet, des clients ont acheté les derniers équipements, pensant obtenir rapidement cet assistant. Et preuve qu’il n’est pas pour tout de suite, Apple n’a fait que très peu d’annonces sur l’IA à sa dernière WWDC, il y a quelques semaines.
Le cas Perplexity
Selon le souvent bien informé Mark Gurman, pour Bloomberg, plusieurs responsables d’Apple discuteraient intensément d’un possible rachat de Perplexity, ou d’un éventuel partenariat privilégié. Gurman cite plusieurs sources proches du dossier ayant tenu à rester anonymes.
Le dossier serait suivi de près par Adrian Perica, responsable des fusions et acquisitions, Eddy Cue, à la tête des services, et les principales têtes pensantes de la division IA. Les discussions n’en seraient qu’au début et pourraient donc ne pas déboucher sur une offre, mais le dossier est sur la table. Selon Bloomberg toujours, des responsables de deux entreprises se sont rencontrés à plusieurs reprises durant les derniers mois.
Si Apple ne formulait pas d’offre, elle pourrait être quand même intéressée par un partenariat privilégié. Problème : Samsung est déjà sur le coup. Une approche plus en douceur qui l’emmènerait donc à un affrontement avec la société coréenne, sa principale concurrente sur le marché des smartphones.
Pourquoi Perplexity ?
De toutes les entreprises existant actuellement dans le monde bouillonnant de l’IA générative, pourquoi Apple se pencherait-elle sur Perplexity ? Plusieurs raisons.
D’une part, Google est sous le coup actuellement d’une plainte pour abus de position dominante. Comme on l’a vu, de nombreux aspects sont examinés, y compris les accords financiers noués par Google avec d’autres entreprises pour établir son moteur de recherche par défaut. C’est le cas avec Mozilla notamment, le partenariat ayant un rôle crucial sur les finances de la fondation, comme elle l’a elle-même expliqué dans un message ambivalent. C’est aussi le cas avec Apple, à qui Google verse 20 milliards de dollars par an. Si le procès devait aboutir à la rupture de ces accords, il y aurait un gros manque à gagner pour Apple, mais il y aurait également une opportunité.
D’autre part, Perplexity travaille justement sur l’utilisation de l’IA comme accès à l’information. Elle se fait une spécialité de l’inclusion des informations fraiches, là où les modèles classiques ne prennent en charge les données que jusqu’à une date limite, pour laisser le temps à l’entrainement de se faire. Un partenariat pourrait faire entrer cette technologie dans Siri, afin que l’assistant serve de porte d’accès sur les produits Apple. Un rachat permettrait la récupération des équipes et de leur expertise, la main-basse sur la technologie et une possibilité de rattraper le train.
Enfin, Perplexity est une société « accessible ». Avec sa récente valorisation à 14 milliards de dollars, cela en ferait de très loin la plus grosse acquisition d’Apple, la précédente étant celle de Beats, pour 3 milliards de dollars. Mais la pomme est assise sur un épais matelas de cash et peut donc se le permettre. La question est cependant de savoir si Perplexity est intéressée par une telle offre. Rien n’en est moins sûr, car l’entreprise a déjà rejeté les avances de Meta, qui a fini par investir dans Scale AI. Les grands du secteur que sont OpenAI et Anthropic sont inabordables.
Apple dans la panade
Le problème, pour Apple, tient comme souvent de la perception. Le rachat lui permettrait probablement de compléter plus rapidement son offre que ce que l’entreprise parviendrait à faire par elle-même. La récupération d’une expertise et d’un savoir-faire permet de combler rapidement des retards, voire de prendre la tête. Apple a une carte à jouer dans l’approche de cette technologie, même si ses premiers essais en matière d’IA sont loin d’être convaincants, comme on l’a vu avec les résumés de notifications.
Mais c’est aussi la preuve indirecte qu’Apple est en retard. Ses premiers services sont passables, et le train de l’IA avance à très grande vitesse. La firme était donc attendue de pied ferme sur ce terrain à la WWDC. Peine perdue : les annonces étaient surtout liées à une généralisation de ce qui existait déjà. Rien de technique, sur les modèles utilisés, sur leur précision ou sur une quelconque amélioration.
Un rachat de Perplexity pourrait faire d’une pierre plusieurs coups. D’abord parer au plus urgent : rattraper le retard en IA. Ensuite, alimenter la nouvelle version de Siri avec un service spécialisé dans le conversationnel. Puis itérer avec la technologie rachetée, jusqu’à devenir potentiellement synonyme d’accès simplifié à l’information, avec à la clé un nouvel argument commercial. Enfin, et en bonus, couper l’herbe sous le pied de la concurrence, en particulier Samsung.
Et qu’en pense Perplexity ? Interrogée par Bloomberg sur le sujet, la société a simplement répondu qu’il n’était pas surprenant que les principaux constructeurs veuillent fournir « la meilleure recherche et l’IA la plus précise à leurs utilisateurs ». « C’est cela Perplexity », a ajouté l’entreprise, manifestement fière.
L’IA générative au-delà du produit grand public
Apple a donné récemment un autre aperçu de sa considération pour l’IA générative. L’ingénieur Johny Srouji, vice-président des technologies matérielles, était ainsi en Belgique en mars pour recevoir un prix de l’IMEC, l’Institut de microélectronique et composants, situé à Louvain. Le responsable avait notamment dirigé le développement du premier SoC d’Apple, la puce A4.
L’intervention avait donné lieu à la publication d’un communiqué le 18 mars, dans lequel l’IA est à peine abordée. Cependant, Reuters a obtenu récemment un enregistrement complet de son discours. Selon ces propos rapportés, Apple aurait ainsi appris que l’utilisation des outils les plus modernes possible était vitale pour avancer dans la conception des puces. Y compris pour les logiciels de conception assistée par ordinateur pour l’électronique (EDA).
« Les entreprises d’EDA jouent un rôle essentiel dans la prise en charge de la complexité de la conception des puces. Les techniques d’IA générative ont un fort potentiel pour obtenir plus de travail de conception en moins de temps, ce qui peut représenter un énorme gain de productivité », aurait ainsi déclaré Johny Srouji.
L’ingénieur pointe en outre une autre leçon apprise par Apple : faire un pari risqué et s’y tenir. Selon lui, le passage du Mac aux puces Apple Silicon était un tel pari, car « il n’y avait aucun plan de secours ». « Alors nous nous sommes lancés à fond, y compris dans un effort logiciel monumental », a ajouté l’ingénieur. Pour l’IA générative, il faudra au moins la même motivation, car la technologie rebat les cartes.
Auteur : Vincent Hermann
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