Pourquoi l’océan est-il si important pour le climat ?
Quand on parle de réchauffement climatique, on pense souvent à l’air qui se réchauffe. Mais c’est l’océan qui, grâce aux courants marins et aux propriétés exceptionnelles de l’eau, a jusqu’à présent absorbé frontalement une grande partie du réchauffement. Avec l’accélération du changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution omniprésente, les observations océaniques sont indispensables pour évaluer et préserver la santé des océans.
Au cours des trois dernières décennies, les développements technologiques et la coordination des observations de l’océan à l’échelle mondiale, sous l’égide de l’Unesco, ont révolutionné notre compréhension des processus océaniques, permettant des descriptions et des capacités de prévision robustes à l’échelle planétaire, régionale et côtière. Néanmoins, à l’heure où s’ouvre à Nice la troisième conférence internationale des Nations unies pour les océans (Unoc 3), il est urgent de pérenniser les moyens scientifiques de la surveillance de l’océan et de retisser les liens entre sciences et société.
Depuis les années 1960, le domaine de l’observation des océans a été transformé par d’importantes avancées technologiques et numériques. La transition vers une approche globale de surveillance de la santé de l’océan s’est fait grâce à l’émergence d’instruments in situ déployés en mer et de satellites qui permettent d’observer la Terre depuis l’espace, et grâce à l’amélioration des modèles numériques.
Progressivement, les scientifiques du monde entier ont su mettre l’océan à cœur ouvert. Aujourd’hui, les scientifiques sont unanimes : le changement climatique est bien en cours, et il a des conséquences dramatiques sur l’état de santé d’un océan qui a déjà absorbé 90 % de l’excès de chaleur et 26 % des émissions de CO₂ dus à nos activités humaines. Par exemple, une eau plus acide et plus chaude menace les écosystèmes marins comme les coraux, les coquillages et toute la chaîne alimentaire océanique.
Les scientifiques observent également que trois des neuf limites planétaires sont déjà franchies et que, parmi les dix principaux risques pour la décennie 2025-2035 à venir, quatre d’entre eux sont liés à l’environnement et à l’état de santé de l’océan.

CGDD 2023
L’océan est le pilier de la machine climatique
Le système climatique, alimenté en énergie par le soleil, est principalement composé de réservoirs et de flux entre ces réservoirs. La planète Terre compte ainsi trois grands compartiments que sont l’atmosphère, les surfaces continentales et les océans. Les flux entre ces réservoirs sont principalement des flux de matières, d’énergie et de chaleur.
Les océans ne forment qu’un, connectés entre eux au pôle Sud par l’intermédiaire de l’anneau austral qui encercle le continent antarctique. Cet océan est l’unique enveloppe fluide de notre planète, couvrant plus des deux tiers de la surface du globe et représentant près de 96 % de l’eau disponible sur Terre. L’océan et l’atmosphère sont en contact permanent et les échanges air-mer se font principalement sur la base du cycle de l’eau, par exemple lors des précipitations ou de l’évaporation de l’eau de mer. Ces échanges continus permettent l’équilibre du système climatique par la redistribution des flux et l’installation des différentes conditions climatiques dans chaque région du monde.
En particulier, la chaleur et le CO2 atmosphériques sont absorbés par l’océan à l’interface air-mer, puis transportés et redistribués sur le globe grâce aux courants marins et à l’activité biologique marine. Cette circulation s’effectue dans chacun des bassins océaniques, du nord au sud et d’ouest en est. Mais elle est aussi verticale, entre la surface et les très grandes profondeurs marines. Sa profondeur moyenne de 3 800 mètres fait de l’océan un immense réservoir de chaleur doté d’une très forte inertie thermique, du fait des propriétés physiques de l’eau.

Plateforme Océan & Climat, CC BY
Par la capacité de ses courants marins à absorber, à transporter puis à stocker dans ses plus grandes profondeurs les signaux atmosphériques et les nombreux flux provenant des autres réservoirs, l’océan joue un rôle clé dans les mécanismes climatiques globaux et dans l’équilibre planétaire. Il est un des piliers du système climatique, de sorte que les scientifiques le qualifient de « thermostat de la planète ».
Un océan à cœur ouvert grâce au système global d’observation des océans, sous l’égide de l’Unesco
Pour comprendre le système climatique, les scientifiques se basent sur la combinaison de trois types d’observations océaniques :
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les mesures in situ, collectées en mer et qui fournissent des données détaillées sur les couches sous-marines pour surveiller la variabilité des océans en profondeur et les changements à long terme ;
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les observations par satellite, offrant une couverture spatiale étendue des premiers mètres de la surface océanique pour suivre l’élévation du niveau de la mer, la couleur des océans, la température et la salinité de surface ou encore la productivité primaire marine ;
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les modèles numériques et l’assimilation des données qui synthétisent les observations afin de décrire l’évolution passée, présente et future des océans.
Aujourd’hui, les observations océaniques englobent un large éventail de paramètres physiques (température, salinité…), biogéochimiques (oxygène, carbone dissous…) et biologiques (phytoplancton, zooplancton…) essentiels à l’évaluation du climat, à la gestion des ressources marines et aux systèmes d’alerte précoce. Elles sont la seule source fiable d’informations sur l’état des océans et du climat, et viennent améliorer et valider les modèles numériques pour affiner leurs prévisions.
Le Global Ocean Observing System (GOOS), programme international créé au début des années 1990 après la deuxième Conférence mondiale sur le climat de Genève et le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, coordonne l’observation et la surveillance de l’océan à l’échelle de la planète. Son objectif est de mieux comprendre l’état de l’océan, prévoir son évolution et soutenir la prise de décisions face aux enjeux climatiques, environnementaux et sociétaux.
Il fonctionne comme un réseau mondial intégré d’observations océaniques, combinant des données issues de satellites, de bouées, de flotteurs profilants (comme le programme Argo), de navires et de stations côtières.
Les données collectées par le réseau d’observations coordonnées par GOOS sont gratuites et ouvertes, accessibles non seulement aux chercheuses et chercheurs, mais aussi aux actrices et acteurs de la société civile, aux entreprises, aux collectivités locales et à toute organisation impliquée dans la gestion ou la protection de l’océan. Ces informations sont essentielles pour surveiller la santé des écosystèmes marins, anticiper les événements extrêmes, soutenir les politiques climatiques et favoriser une économie bleue durable.
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Renforcer l’observation des océans pour éclairer les politiques climatiques et la gestion des écosystèmes marins
Un système complet d’observation des océans tel que le GOOS répond à de multiples besoins sociétaux.
Comme nous l’avons vu, l’océan modère le réchauffement climatique, atténuant par conséquent les phénomènes météorologiques extrêmes. En améliorant la prévision des vagues de chaleur marines, des ondes de tempête, des proliférations d’algues nuisibles et des tsunamis, le GOOS contribue à l’initiative « Alertes précoces pour tous », lancée en 2022 par les Nations unies. Son objectif est simple et ambitieux : que chaque personne sur Terre soit protégée par un système d’alerte précoce d’ici 2027, un système qui diffuse des alertes claires et accessibles pour donner le temps de se préparer à l’arrivée d’un événement extrême.
Alors que plus de 90 % du commerce mondial dépend du transport maritime, que la pêche et l’aquaculture font vivre des milliards de personnes, une surveillance renforcée soutient également une économie bleue durable. En particulier, la gestion écosystémique, la planification des usages des océans et l’exploitation durable des ressources marines garantissent la résilience des écosystèmes tout en favorisant la croissance économique – en miroir du quatorzième objectif de développement durable (ODD 14) des Nations unies, « Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ».
Le GOOS actuel constitue une infrastructure essentielle pour suivre l’état de l’océan et informer les politiques publiques. Mais il reste encore insuffisant pour répondre pleinement aux besoins liés à l’action climatique, aux prévisions opérationnelles, aux jumeaux numériques de l’océan ou à la gestion durable des océans et de leurs ressources.
Les efforts futurs doivent viser à maintenir et à renforcer les systèmes d’observation existants, tout en les étendant pour couvrir de manière plus complète l’ensemble des dimensions physiques, biogéochimiques et biologiques de l’océan.
En priorité, il s’agira de :
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développer les observations dans les zones jusqu’ici peu couvertes, notamment les observations en eaux profondes et polaires ;
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renforcer les observations biogéochimiques et biologiques jusqu’ici moins nombreuses et peu systématiques ;
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améliorer l’intégration des observations océaniques avec les services de prévision océaniques et climatiques afin de fournir des informations utiles et exploitables aux décideurs, aux acteurs économiques et aux communautés côtières.
Enfin, la pérennisation des financements pour les réseaux d’observation à long terme représente un défi majeur de la prochaine décennie. Sans un engagement durable, il sera difficile de maintenir, d’adapter et de faire évoluer ces infrastructures clés face à l’accélération des changements océaniques et climatiques.
Retisser le lien entre sciences et société pour relever les défis du XXIᵉ siècle
Au-delà de la recherche et de la politique, il est essentiel de sensibiliser à l’océan pour que la société soit mieux informée et consciente des liens entre la santé des océans, la stabilité du climat et le bien-être humain.
Pour cela, des initiatives d’observation mondiale, par exemple Adopt-A-Float ou Ocean Observers, invitent élèves, étudiants et communautés à suivre les instruments océanographiques et à contribuer à la surveillance environnementale.
Plus globalement, ouvrir les portes des laboratoires et mettre la science à la portée de tous est urgent.
À ce titre, la collaboration entre experts-scientifiques et journalistes portant l’information auprès du grand public est un véritable enjeu, en particulier dans le contexte actuel d’une société à la fois surinformée, mal informée et parfois désinformée.
Alors que des milliers de scientifiques sont au chevet de la santé de l’océan 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, l’évolution continue du GOOS, guidée par les progrès scientifiques et par les besoins politiques, jouera un rôle essentiel dans la construction d’un avenir durable et résilient pour les océans. Un système d’observation véritablement mondial et inclusif, soutenu par une gouvernance collaborative et une allocation équitable des ressources, sera essentiel pour relever les défis et saisir les opportunités du XXIe siècle.
Cet article a été co-écrit avec Carole Saout-Grit, physicienne océanographe, directrice du bureau d’études GlazeO et directrice de publication du média Océans Connectés.
Sabrina Speich, professeure à l'Ecole Normale Supérieure de Paris, a reçu des financements de l'ANR, de Europe Horizon 2020, Europe Horizon 2030, et de l'European research Council. Elle est co-présidente du comité d'experts Ocean Observations for Physics and Climate du Global Ocean Obsrving System et du Global Climate Observing System sous l'égide des Nations Unies, de l'International Science Council et de l'Organisation Météorologique Mondiale. Ce travail n'est pas rémunéré. Elle fait partie de plusieurs "scientific advisory boards" internationaux d'instituts de recherche.
Auteur : Sabrina Speich, Professeure en océanographie et sciences du climat, École normale supérieure (ENS) – PSL
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