Réforme des retraites : quelle est la valeur juridique d’un « conclave » ?
Le gouvernement espère toujours un accord entre partenaires sociaux dans le cadre du conclave sur la réforme des retraites. Mais quelle serait la valeur juridique de ce « conclave » ?
Tentant de clore le vif débat ouvert par l’adoption de la Loi au sujet du recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, le 1er ministre a proposé aux représentants des salariés et des employeurs une procédure qu’il a qualifié de « conclave ». Cette dénomination évoquant la désignation d’un nouveau pape est d’autant plus mal choisie qu’elle renvoie en réalité à une vieille procédure fort républicaine de « concertation ». Quels sont ses fondements et ses modalités ?
La « concertation » selon la loi
Notre système politique a longtemps connu une tradition de « concertation » informelle ayant porté ses fruits en donnant lieu à des accords interprofessionnels fondateurs notamment dans le domaine des retraites (accords sur les régimes complémentaires de retraites des salariés cadres – AGIRC – en 1947 ainsi que non-cadres – ARRCO – en 1961). Toutefois la loi du 31 janvier 2007 a institué une procédure de « concertation » préalable aux votes de projets de Loi portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle.
Pour certains, cette institutionnalisation de la participation des parties prenantes à la formation de la loi représente un effort méritoire accordant une nouvelle place aux destinataires de la loi, mais pour d’autres il s’agit bien au contraire d’un abaissement supplémentaire de la place du parlement, voire une atteinte inadmissible à la souveraineté du peuple s’exprimant normalement par la représentation parlementaire. En effet, l’article 3 de notre Constitution précise que : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du referendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Par conséquent, dans les différentes branches du droit, la Loi est exclusivement formée par des parlementaires, le cas échéant sur un projet du gouvernement.
Néanmoins, en matière de droit du travail, la formation de la loi fait désormais l’objet d’une délibération publique associant divers acteurs privés considérés comme représentatifs et dont l’avis est sollicité de façon formelle. Cette procédure ne se confond pourtant pas avec la consécration d’une négociation collective interprofessionnelle préalable au vote de la Loi. Il ne s’agit pas de prévenir (ou de régler) un éventuel antagonisme social par le procédé de la négociation collective, mais de préférer un « dialogue » afin d’obtenir une mise en œuvre efficace des réformes voulues par les autorités publiques.
Pas de compétence autonome des partenaires sociaux
Dans plusieurs systèmes juridiques, comme en Allemagne (l’article 9, alinéa 3 de la constitution allemande, les acteurs sociaux ont obtenu un champ de compétence autonome constituant un domaine réservé en matière de droit du travail. C’est ce qu’ont réclamé les partenaires sociaux français (positions communes des 16 juillet 2001 et 9 avril 2008 sans obtenir satisfaction. En droit français, il n’existe pas de liste de thèmes pour lesquels les protagonistes sociaux bénéficient d’une priorité d’intervention leur permettant de supplanter le législateur. Si le principe constitutionnel de participation garantit et soutient la contribution de la négociation collective à la production normative du droit du travail, le législateur fixer toujours les grands principes.
La « concertation » représente donc un prudent englobement de la « démocratie sociale » par la « démocratie politique », conférant aux acteurs sociaux la possibilité de discuter les termes des projets de réformes du droit du travail mais conservant au bout du compte au législateur le pouvoir du « dernier mot » comme l’écrit Alain Supiot.
Un gouvernement peu contraint par la « concertation »
En outre, l’examen de la portée effective de cette « concertation » démontre sa modestie. Soulignons d’abord que les modalités prescrites sont très peu contraignantes. En effet, le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’État estiment que si la Loi adoptée n’a pas respecté la procédure prévue par les articles n°1 et suivants du Code du travail, mais qu’elle a tout de même suivi une procédure de « concertation » au moins équivalente, alors elle peut être jugée comme conforme à la Constitution. Il en découle que le gouvernement peut changer selon sa guise les modalités de la « concertation ». De surcroît, il peut décider d’étendre le domaine des thèmes soumis à la procédure en question comme il le fait actuellement au sujet de l’âge légal de départ à la retraite.
Par la suite, les acteurs professionnels ont le choix de donner une suite favorable ou défavorable à une sollicitation entièrement formulée par les pouvoirs publics. En cas de refus, liberté est laissée au gouvernement de former son projet de façon unilatérale. Cependant s’ils décident de se saisir du sujet, le gouvernement doit attendre la fin de leurs pourparlers. Dans l’hypothèse de la conclusion d’un accord dont le contenu a pour effet de modifier la Loi, le gouvernement se trouve dans l’obligation de reprendre à son compte le texte conventionnel par le biais d’un projet de Loi. Dès lors, celui-ci peut reprendre fidèlement à son compte le texte issu de la négociation collective en l’incorporant intégralement à la Loi ou se réserver la possibilité de le réécrire par addition ou soustraction. Enfin, le projet en question est ensuite soumis au pouvoir d’amendement et de vote du parlement.
En cas d’échec des négociations, le gouvernement a la possibilité d’abandonner son initiative, ou de reprendre les fragments de compromis sociaux de son choix, pour présenter son propre projet au parlement. Selon ces différentes hypothèses, il doit éviter un procès en déloyauté de la part de signataires bafoués ou de négociateurs incapables de trouver un compromis. Dès lors, les marges de manœuvre sont plus ou moins larges selon les diverses situations mais à coup sûr relativement étroites en cas de conclusion d’un accord sur la base d’un large consensus des acteurs professionnels. Il en ressort que le champ de la coproduction des normes légales du travail s’apparente à un espace où le législateur et les protagonistes sociaux se surveillent et formulent des reproches réciproques.
En somme, par le biais de cette modeste procédure, le gouvernement trouve avantage à déléguer de manière contrôlée la formation de la Loi aux acteurs professionnels représentatifs soit pour se délier de sa responsabilité soit pour tenter de renforcer sa légitimité.
Stéphane Lamaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Auteur : Stéphane Lamaire, Professeur associé au CNAM en droit du travail, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Aller à la source