
Après huit années de rénovation, le Waldorf Astoria de New York devrait rouvrir ses portes prochainement et accueillir de nouveaux clients.
Le Waldorf – comme on l’appelle communément – va bientôt rouvrir ses portes. Cet établissement hôtelier new-yorkais de prestige a introduit le service en chambre, les cordons de velours, le red velvet cake et la sauce Thousand Island. Il a donné son nom à une salade, à une chaîne de cantines, ainsi qu’à une forme aujourd’hui oubliée de démocratie.
En 1907, le romancier Henry James affirmait que le Waldorf incarnait ce qu’il appelait « l’esprit hôtelier » : un lieu où tout le monde était égal – à condition de pouvoir payer l’entrée. Pour James, les hôtels définissaient la culture et les idéaux émergents des États-Unis. Selon lui, ce nouvel esprit était celui de l’opportunité ; une élite nouvelle, accessible non par le sang, mais par l’argent.
Comme l’a écrit l’historien et journaliste David Freeland, le Waldorf ouvrait généralement ses portes à tous ceux qui étaient « capables et disposés à payer », à condition qu’ils se comportent de manière convenable. Cette éthique a été façonnée par le premier maître d’hôtel du Waldorf, Oscar Tschirky – connu simplement comme « Oscar du Waldorf » parce que son nom était difficile à prononcer.
« Nos innovations étaient saisissantes et sensationnelles mais toujours empreintes de distinction », disait Tschirky dans son autobiographie, rédigée par un prête-plume en 1943.
Parmi ces innovations : la création de la « suite présidentielle », où se tinrent notamment des négociations entre les suffragistes et le président Woodrow Wilson (1913-1921), faisant de l’hôtel un improbable foyer du féminisme états-unien.
Le Waldorf est donc bien une institution états-unienne – ou du moins l’a-t-il été.
Il est désormais la propriété d’investisseurs chinois, et n’a plus accueilli de président depuis Barack Obama, en raison de soupçons de risques pour la sécurité nationale. La marque elle-même a été diluée, avec 32 établissements « Waldorf Astoria » répartis dans le monde.
L’histoire du Waldorf résume la crise moderne de l’establishment états-unien. Peu de lieux incarnent mieux la genèse de l’élite américaine – beaucoup plus fondée sur l’argent que sur les origines sociales. Et depuis une dizaine d’années, la position de l’hôtel – comme celle des classes dirigeantes – a été attaquée par un autre propriétaire d’hôtel : Donald Trump.
Trump a sa propre vision de l’usage de ces palais modernes pour incarner sa puissance – et ses innovations sont tout sauf raffinées. Que peuvent alors nous apprendre les origines de cette ancienne institution sur l’Amérique d’aujourd’hui ? En tant que chercheur spécialisé dans les institutions politiques et démocratiques, j’étudie le rôle des hôtels dans l’histoire de la démocratie américaine. Et cette histoire particulière commence avec un serveur né en Suisse.
Oscar du Waldorf, l’hôte du monde
Tschirky est né en 1866 dans le village alpin suisse du Locle. En 1883, lui et sa mère embarquent à bord du paquebot France, à destination de New York. Dans son livre, il se souvient de l’annonce faite par sa mère :
« Oui, Oscar, nous allons partir en Amérique et vivre avec ton frère dans ce grand pays d’abondance où nous pourrons avoir tout ce que nous avons toujours désiré. »
Cette nuit-là, selon ses Mémoires, marqua « le début de la carrière d’Oscar en tant que serviteur et conseiller adoré des grands et des puissants de ce monde ». Il faudra attendre dix ans après son arrivée à New York pour que Tschirky intègre le Waldorf – alors sur le point d’ouvrir – comme maître d’hôtel. Son contrat débute le 1er janvier 1893, en amont de l’inauguration officielle de l’hôtel de la Cinquième Avenue, qui interviendra en mars. Il occupera ce poste pendant un demi-siècle, en tant qu’« hôte du monde ».
Tschirky restera en poste lorsque l’hôtel s’agrandit en 1897, avec la construction par John Jacob Astor, quatrième du nom, de l’hôtel Astoria, plus grand et plus haut, relié au Waldorf voisin. En 1931, l’hôtel est contraint de déménager après la démolition de son emplacement initial, destiné à accueillir l’Empire State Building. Le « nouveau » Waldorf Astoria New York rouvre alors sur Park Avenue, flanqué de ses célèbres tours, devenant ainsi le plus haut hôtel du monde à l’époque.
Tschirky est né un an après la fin de la guerre de Sécession. Il grandit dans une Amérique marquée par les lois Jim Crow et la ségrégation. Il vivra assez longtemps pour voir le droit de vote accordé aux femmes, mais pas les réformes des droits civiques des années 1960.
Dans ce contexte agité, Tschirky semble avoir fait de son mieux pour maintenir le Waldorf à l’écart de la politique. Il s’en tient aux conseils du directeur de l’hôtel, George Boldt (lui-même immigré allemand), qui lui avait dit que « ce n’était pas à l’hôtel de régler les affaires internationales ».
Tschirky comprend, incarne et donne forme à « l’esprit hôtelier » d’une Amérique nouvelle, tout en présidant à l’établissement d’hôtels considérés comme des palais états-uniens non seulement pour les visiteurs, mais pour la nouvelle aristocratie nationale.
Un palais présidentiel
Le Waldorf a accueilli tous les présidents des États-Unis, de Grover Cleveland (1885-1889 et 1893-1897) à Franklin D. Roosevelt (1933-1945).
Au printemps 1897, Cleveland se trouve au Waldorf avec des membres de son ancien cabinet, qui souhaitent le voir désigné candidat démocrate pour l’élection de 1900. Il s’agit là de la première mention de la « démocratie Waldorf » – une expression désignant alors ce nouveau groupe interne (et dans une certaine mesure distinct) du Parti démocrate, appelé « la démocratie ».

Everett Collection/Shutterstock
Cette approche politique ne fait pas l’unanimité. Comme le rapporte The Ohio Democrat, le député Edward W. Carmack du Tennessee la qualifie de
« démocratie murée, car ils sont entre eux, ne représentant personne et incapables d’influencer un seul vote ».
Néanmoins, les élites politiques appréciaient le luxe qu’offrait le Waldorf. Les suites présidentielles y furent instaurées durant la présidence de Woodrow Wilson (1913–1921). Au Waldorf, cette célèbre suite reproduit le mobilier de la Maison Blanche et conserve encore aujourd’hui plusieurs souvenirs présidentiels (dont le fauteuil à bascule de John F. Kennedy).
L’hôtel était également très fréquenté par les célèbres « Four Hundred » de l’Âge doré – l’élite de la haute société new-yorkaise. Ce groupe, à l’origine dirigé par Caroline Astor née Schermerhorn, tirait son nom du nombre de personnes pouvant tenir dans la salle de bal de Mme Astor. La ville ancestrale de la famille, Walldorf, en Allemagne de l’Ouest, a même donné son nom à l’hôtel. Selon le livre de Tschirky, la grande salle de bal du Waldorf était :
« Le lieu où Teddy Roosevelt avait dîné, où les présidents McKinley, Taft, Wilson, Harding, Coolidge et Hoover avaient prononcé des paroles historiques à la nation, où des princes de sang royal avaient été reçus, où des figures illustres de tous horizons avaient été honorées. »
Le Waldorf s’avéra être un palais digne des présidents des États-Unis et de leurs délégations, et Tschirky, un « serviteur » à leur hauteur. Interrogé par l’Evening Star de Washington, Tschirky disait ne pas vouloir « parler des présidents, sauf pour dire que Franklin D. Roosevelt l’appelait “mon voisin de l’autre côté de l’Hudson” ».
Mais Tschirky, « malgré toutes ses relations avec les célébrités, n’oublia jamais qu’il était, en fin de compte, un serviteur », comme l’écrit David Freeland. Le Waldorf lui-même utilisait ce terme pour désigner son personnel.
Exclusivité, exclusion et « démocratie »
Le célèbre hôtelier Conrad Hilton, qui rachète le Waldorf en 1949, écrit dans son autobiographie Be My Guest :
« À l’origine, on disait que le Waldorf offrait l’exclusivité à ceux qui étaient déjà exclusifs. Plus tard, [l’écrivain et artiste] Oliver Herford déclara qu’il avait “apporté l’exclusivité aux masses”. Mais cette exclusivité demeura, qu’il s’agisse d’un congrès de trois mille personnes ou d’un tête-à-tête entre têtes couronnées. »
L’éthique du Waldorf projetait une idée du « bon goût » et cherchait à l’inculquer aux autres. Tschirky « éduquait discrètement les Américains aux subtilités de la gastronomie européenne ». En 1956, six ans après sa mort, le New York Times rappelait qu’avec Boldt, son directeur, il s’était donné pour mission d’apprendre aux gens à dépenser leur argent. Le Waldorf incarnait le bon goût en l’imposant à ses hôtes, en exigeant par exemple une « conduite appropriée ».
Mais avec l’exclusivité vient l’exclusion. D’où l’introduction par l’hôtel du cordon de velours. Selon les spécialistes des suites de luxe du Waldorf, cela avait pour but « d’instaurer de l’ordre… Le fait que cela créait un sentiment de prestige et de séparation était secondaire ».
La déclaration de Tschirky – « Tous ceux qui paient leurs factures sont sur un pied d’égalité » – reflète l’une de ses « règles de succès » :
« Soyez aussi courtois avec l’homme dans une chambre à cinq dollars qu’avec l’occupant de la suite royale. C’est une vieille règle, mais elle ne change pas. »
Cette philosophie montre comment l’hôtel pouvait être perçu, explique la spécialiste en études américaines Annabella Fick :
« [Cet établissement a] une qualité démocratique… même s’il est également élitiste. En cela, il renvoie à la conception démocratique de l’Amérique des débuts, qui faisait elle aussi la distinction entre les propriétaires fonciers et la foule. »
Ce n’était pas la seule distinction. Deux ans seulement après l’ouverture du Waldorf, la loi de 1895 sur l’égalité des droits dans l’État de New York (connue sous le nom de loi Malby), visant à abolir la discrimination raciale dans les lieux publics, suscite l’indignation de Boldt. Selon Freeland, Boldt déclare aux journalistes :
« Cette loi est un scandale, car elle nous empêche de choisir notre clientèle. Un homme qui dirige un hôtel de première classe doit respecter les souhaits de ses clients quant au type de personnes qu’il reçoit, et la loi ne devrait pas lui imposer ses vues. »
Dans son désir paradoxal de discriminer à sa guise – au nom de ses clients, réels ou supposés – Boldt offrait une parfaite illustration de l’exclusion inhérente à l’exclusivité. Sa déclaration annonçait également un système de ségrégation informelle, où les Noirs américains pouvaient entrer au Waldorf (et ailleurs), mais n’y étaient clairement pas les bienvenus.
Malgré cela, le Waldorf fut au cœur d’un basculement culturel états-unien majeur, qui « invitait » les Américains ordinaires à passer de l’autre côté du cordon de velours – à condition qu’ils puissent se le permettre. Comme l’écrivent James McCarthy et John Rutherford dans leur livre Peacock Alley (1931) :
« L’homme et la femme ordinaires… réprouvaient les démonstrations grandioses – surtout parce qu’ils savaient qu’elles dépassaient leur propre horizon de plaisir. L’arrivée du Waldorf fut toutefois une invitation adressée au public à goûter à cette grandeur. »
Et cela ne concernait pas que les clients payants. Lors de son 30e anniversaire, en 1923, le Waldorf éleva son personnel au rang d’invités.
« Pratiquement tout le personnel de l’hôtel était invité… L’événement atteignit le sommet de la démocratie version Waldorf, car serveurs et financiers, standardistes et capitaines d’industrie, préposés au vestiaire et princes du commerce étaient assis côte à côte, échangeant leurs souvenirs »,
témoignèrent les journalistes du Birmingham Age-Herald. L’article poursuit :
« Oscar était assis à la tête de sa propre table en tant qu’invité d’honneur. Pendant un court moment, Oscar ne fut plus l’hôte attentif… Durant une heure ou deux, Oscar fut lui-même l’invité, et toute la brigade de cuisine du Waldorf Astoria s’affaira à combler ses désirs et ceux de ses compagnons de table. »

Library of Congress
Mais ce n’était qu’une expérience temporaire. La « démocratie du Waldorf » décrite lors de cet évènement – où des personnes de tous horizons et statuts se mêlaient et socialisaient – était très différente de celle de l’entourage de Cleveland. Elle n’était pas partisane, mais institutionnelle.
La démocratie a signifié des choses différentes, à des moments différents, au sein du Waldorf – tout comme dans l’ensemble des États-Unis.
À son tour, le Waldorf a commencé à changer, voire à perdre de sa signification dans le paysage états-unien au moment de la présidence d’Obama.
Propriété chinoise
Le Waldorf a perdu son statut de « palais présidentiel » en 2014. Il a été acheté pour 1,95 milliard de dollars par une entreprise chinoise qui a ensuite été saisie par le gouvernement chinois. Un an plus tard, des préoccupations liées à la sécurité ont conduit le président Obama à préférer séjourner au Lotte New York Palace Hotel.
Le choix de son lieu de séjour par Obama – comme son choix d’éviter le Waldorf Astoria – a été largement commenté dans les médias. Cette décision a été perçue comme une « rupture avec des décennies de tradition ». ABC News y a vu la fin d’une époque, saluant :
« Adieu au Waldorf Astoria, bienvenue au Lotte New York Palace Hotel. »
Ce changement a aussi été présenté sous un angle géopolitique, notamment par le New York Times :
« Alors que des espions chinois fouillaient les courriels de la Maison Blanche, le président Obama a décidé de ne pas leur faciliter la tâche : il rompra avec la tradition et délaissera le Waldorf Astoria… M. Obama et d’autres responsables s’installeront quelques pâtés de maisons plus loin, au Lotte New York Palace. »
Le même article soulignait également que « les hôtels ont depuis longtemps représenté un maillon faible de la sécurité pour les responsables en déplacement et autres pesonnalités ». En fait, Nikita Khrouchtchev s’était un jour retrouvé coincé dans un ascenseur au Waldorf, et « pensait probablement qu’il s’agissait d’une tentative d’assassinat ».
Faire passer une tentative d’assassinat pour un « accident d’ascenseur » n’était probablement pas ce que Conrad Hilton avait en tête lorsqu’il imaginait ses hôtels comme « un moyen de combattre le communisme ». Bien au contraire – comme l’a exprimé la professeure Mairi Maclean, spécialiste des élites économiques – Hilton voyait dans les hôtels un moyen de « favoriser la paix dans le monde à travers le commerce et les voyages internationaux ».
Le droit de vote des femmes
Le Waldorf n’a peut-être pas instauré la paix mondiale, mais il a joué un rôle dans certains moments de l’histoire états-unienne, car il a toujours été vu comme un lieu stratégique pour influencer les décideurs, notamment en 1916. Le droit de vote des femmes aux États-Unis était encore à quatre ans d’être adopté. D’un côté du débat (et de l’hôtel lui-même), 200 suffragistes occupaient l’East Room. De l’autre, Woodrow Wilson séjournait dans la suite présidentielle.
Tschirky se souvenait avoir été « nommé coursier diplomatique… chargé de porter le premier communiqué du matin… Au milieu de tout cela, je suis resté ferme, me jurant de garder un ton neutre glacial ».
S’il était neutre sur la question du suffrage, Tschirky était disposé à faire tomber certaines barrières dans l’hôtel, surtout si cela servait les affaires. Il se rappelait qu’au moment de la construction de l’hôtel :
« Il n’existait pas, dans toute l’Amérique, de voiture automobile, de radio… Les cocktails ne se servaient pas dans les foyers privés ; les divorces n’étaient pas tolérés dans la bonne société ; les femmes ne fumaient pas, et ne portaient pas de robes au-dessus de la cheville. »
Mais, en 1907, une affichette fut placardée au Waldorf :
« Les femmes seront servies dans les restaurants de l’hôtel à tout moment, avec ou sans accompagnement masculin. »
Freeland relevait la simple confirmation de Tschirky : « Nous servirons les femmes. Que faire d’autre dans un hôtel ? » Quelques années plus tard, à propos du droit des femmes à fumer dans les salles à manger, Tschirky déclara : « Nous ne régulons pas le goût du public. C’est le goût du public qui doit nous réguler. »
Pour le trentième anniversaire du Waldorf, en 1923, un journal comme El Imparcial notait ainsi que l’hôtel était
« [un] atout civique d’une importance unique. Et à ses autres mérites, il faut ajouter celui d’avoir contribué efficacement au progrès du féminisme. Ce fut un jour mémorable pour les droits des femmes quand le Waldorf Astoria leur ouvrit l’accès au Peacock Alley ».
Cependant, même le nom de Peacock Alley – un couloir de l’hôtel devenu un important lieu de rassemblement, notamment pour les femmes – rappelait une forme d’exclusivité. C’était l’endroit où l’on se montrait. Comme le raconte Tschirky dans ses Mémoires :
« Le Waldorf Hotel était une image triomphale des meilleures personnes au meilleur d’elles-mêmes. »
Trump : « Prendre possession, raser et reconstruire »
Avec leur décor ostentatoire et leurs dorures, les hôtels Trump pourraient être considérés comme l’incarnation moderne du Peacock Alley. Mais les principes de politesse, de respect et de décorum posés par Tschirky semblent appartenir à une autre époque, si l’on compare avec une récente vidéo générée par intelligence artificielle montrant Trump et le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, torse nu au bord d’une piscine, avec des verres à la main dans un imaginaire « Trump Gaza Hotel ». La vidéo semble parodique, mais cela n’a pas empêché le président de la partager sur Truth Social, son propre réseau social, ainsi que sur Instagram.
Tout comme Hilton (immortalisé dans Mad Men réclamant un Hilton sur la Lune), les hôtels ont toujours fait partie intégrante de la marque Trump. Il se souvenait, dans How to Get Rich, que sa « première grande opération, en 1974, portait sur le site de l’ancien Commodore Hotel, près de Grand Central Station », sur la 42e Rue.
L’ancien Trump International Hotel à Washington DC, ouvert en 2016, a été décrit comme « l’épicentre des intérêts commerciaux du président dans la capitale ». Il était aussi « un lieu prisé des lobbyistes et des membres républicains du Congrès pendant la présidence Trump ». « La Trump Organization a vendu le bail de l’hôtel à CGI en 2022, date à laquelle il a été rebaptisé Waldorf Astoria », même si l’on dit que l’entreprise Trump serait en pourparlers pour le racheter.
Autre point commun entre Hilton et Trump : l’usage des hôtels comme symboles de la nation. Chacun des hôtels de Hilton était conçu comme une « petite Amérique », « pour montrer aux pays les plus exposés au communisme l’autre face de la médaille ».
Dans les mois précédant l’élection présidentielle de 2016, lors de l’ouverture du Trump International Hotel, Trump « a tenté de faire de l’hôtel une métaphore de l’Amérique », selon un éditorial de Vox. Donald Trump déclara alors :
« Il avait tous les ingrédients de la grandeur, mais avait été négligé et laissé à l’abandon pendant de nombreuses décennies… Il avait les fondations du succès. Tous les éléments étaient là. Notre mission est de restaurer sa gloire passée, d’honorer son héritage, mais aussi d’imaginer une vision nouvelle et enthousiasmante pour l’avenir. »
Forbes avança que cet évènement « aurait très bien pu être confondu avec un meeting de Trump », par exemple lorsqu’il affirma :
« Mon message aujourd’hui tient en [quelques] mots : “dans le budget et en avance sur le calendrier »… On n’entend pas souvent ces mots dans la bouche du gouvernement – mais vous les entendrez ! »
De la même façon, dans une interview au New York Post, Eric Trump, le fils de Donald, reprenait une rhétorique MAGA familière : « Notre famille a déjà sauvé cet hôtel une fois. Si on nous le demandait, nous le referions. »
Que penserait Tschirky de tout cela ? Du haut de sa neutralité politique, il aurait sans doute dénoncé les nombreuses promotions d’établissements faites par Trump pendant ses campagnes. Son comportement lui aurait sûrement paru grossier.
Cela reflète peut-être deux époques différentes dans la fonction des hôtels.
Les grands hôtels comme le Waldorf ont été façonnés par le colonialisme européen, par des immigrés comme Tschirky et Boldt. Mais, comme l’explique l’historienne Annabel Wharton, les hôtels Hilton
« n’ont pas été construits, comme au XIXe siècle, pour répondre à un besoin existant, mais pour en créer un. Cette pression ne venait pas simplement du désir de profit, mais d’un engagement politique remarquable envers le système qui promeut le profit ».
On peut, je pense, lire les hôtels de Trump – et désormais sa politique – de la même manière.
L’esprit hôtelier entre dans une nouvelle phase avec les propositions de Trump de « prendre possession, raser et reconstruire » la bande de Gaza pour en faire une « Riviera du Moyen-Orient » – au mépris de la volonté démocratique des Palestiniens de Gaza qui ont rejeté sa vision.
Moins de vingt ans après l’ouverture du Waldorf, Tschirky constatait déjà que « nombre de grands événements – financiers, diplomatiques, politiques – avaient vu le jour entre ses murs de pierre ». Pour lui, c’était « un carrefour international où les hommes du monde entier venaient échanger biens et idées », et planifier les transformations du monde qu’il allait ensuite voir se réaliser.
Tschirky considérait les hôtels comme les lieux les plus démocratiques au monde. Mais l’« esprit hôtelier » qu’il incarnait – cette narration typiquement états-unienne au sein de laquelle il « devint citoyen presque du jour au lendemain » (un exploit aujourd’hui pratiquement impossible) – semble désormais reléguée au passé.
« Je sais que des jours meilleurs viendront », écrit l’ancien hôte du monde dans la préface de son livre.
« Mais en ce qui concerne le passé, je pense avoir vu le meilleur. New York a changé. L’Amérique a changé. »
Alex Prior ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Auteur : Alex Prior, Lecturer in Politics with International Relations, London South Bank University
Aller à la source