Repos le 1er-Mai (et jours fériés) : que dit le droit ?

Après une loi de 2004 instaurant une journée dite « de solidarité », de travail non rémunéré, initialement prévue le lundi de Pentecôte, le repos du 1er-Mai est remis en cause par une récente proposition de loi. L’objectif : permettre aux employeurs de certains secteurs, notamment la boulangerie-pâtisserie, de faire travailler leurs salariés. Faire le point sur le droit applicable s’avère nécessaire.
Une proposition de loi, enregistrée au Sénat le 25 avril, visant à « permettre aux salariés de certains secteurs de travailler le 1er-Mai », entend réduire le champ d’application de la règle du repos le jour de la Fête internationale des travailleurs. Le gouvernement est « favorable à une évolution de la loi pour clarifier le cadre applicable et tenir compte à l’avenir, de manière pragmatique, des besoins sur certains secteurs spécifiques, dont fait partie le secteur de la boulangerie-pâtisserie ».
Cette proposition ne porterait-elle pas en germe la suppression généralisée dans le commerce du droit au repos le 1er-Mai ? Permettre de faire travailler certains salariés le 1er-Mai dans des commerces de proximité ne justifierait-il pas ensuite l’emploi de salariés ce jour-là, dans d’autres secteurs, au nom de la concurrence « libre et non faussée » ?
Car le repos du 1er-Mai s’inscrit dans la relation entre employeurs et salariés, mais trouve aussi sa raison d’être dans la nécessité de repères temporels dans la cité. Les « besoins du public », sous l’angle de la consommation, étant sans limites, doivent être contenus par des règles de droit.
Code du travail et accords collectifs
Le Code du travail prévoit 11 jours fériés. D’autres jours fériés sont prévus dans certains territoires, notamment les journées de commémoration de l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte, à La Réunion, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.
Le Code du travail ne prévoit pas le chômage obligatoire de ces journées, ni une majoration de salaire en cas de travail. Le chômage de jours fériés ne peut entraîner aucune perte de salaire pour les salariés totalisant au moins 3 mois d’ancienneté dans l’entreprise. Les heures de travail perdues ne donnent pas lieu à récupération.
Ce sont les accords collectifs, d’entreprise ou, à défaut, de branche, qui déterminent les jours fériés chômés. À défaut d’accord, l’employeur fixe par décision unilatérale les jours fériés chômés dans l’entreprise. Lorsque le jour férié est travaillé, les accords collectifs peuvent prévoir une majoration de la rémunération, mais ce n’est pas obligatoire.
Le régime est de facto inégalitaire entre les salariés, suivant les accords collectifs de branche et d’entreprise. Certains accords d’entreprise peuvent prévoir le repos de seulement trois jours fériés dans l’année et aucune majoration de salaire pour les jours fériés travaillés.
Si la loi pouvait utilement être modifiée, elle rendrait le régime légal des jours fériés plus protecteur pour tous les salariés en assurant de meilleures contreparties aux salariés obligés de travailler les jours fériés et l’égalité de traitement.
Régime exceptionnel du 1ᵉʳ-Mai
Le régime des jours fériés connaît une exception : le 1er-Mai.
Cette journée trouve sa source dans l’histoire du mouvement ouvrier au niveau international. Tout d’abord aux États-Unis, où les syndicats revendiquent à partir de 1884 la journée de travail de 8 heures. Ce mouvement revendicatif donnera lieu, en 1886 et en 1887, à des grèves, des manifestations et une sanglante répression. En 1889, la IIe Internationale socialiste, réunie à Paris, décidera de faire du 1er-Mai la journée internationale de lutte pour les droits des travailleuses et des travailleurs. Il en est ainsi depuis 1890.

Wikimediacommons
Le 1er-Mai exprime la solidarité des travailleuses et des travailleurs au plan international avec la revendication de la réduction de la durée du travail, à l’origine la journée de 8 heures. La convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) n°1 de 1919 prévoit la journée de travail de 8 heures.
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Le 1er-Mai est aujourd’hui un jour férié dans 24 des 27 États membres de l’Union européenne et dans la plupart des États du monde.
En France, depuis la loi n°47-778 du 30 avril 1947, « le 1er-Mai est jour férié et chômé ». Le Code du travail prescrit le repos, et ce repos ne peut être une cause de réduction de salaire. Il s’agit d’une disposition légale d’ordre public.
Exceptions limitées
Par exception, des établissements et services « ne peuvent interrompre le travail en raison de la nature de leur activité ». Il s’agit notamment des hôpitaux, des hôtels et des transports en commun. Les salariés qui y travaillent ont droit, en plus du salaire correspondant au travail effectué, à une indemnité égale au montant de ce salaire, à la charge de l’employeur.
« En instituant cette exception au chômage du 1er mai, pour les établissements et services qui ne peuvent interrompre le travail en raison de la nature de leur activité, l’article L. 3133-6 du Code du travail est rédigé en termes suffisamment clairs et précis pour permettre son interprétation, qui entre dans l’office du juge pénal, sans risque d’arbitraire », rappelle l’arrêt du 20 janvier 2015, la Cour de cassation, Chambre criminelle.
Il convient d’analyser au cas par cas chaque situation de fait afin de déterminer si, en raison de la nature de l’activité, l’interruption du fonctionnement de l’entreprise le 1er-Mai est ou non possible. Par conséquent, il n’y avait pas lieu de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. « Si une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur le renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. »
Le repos ou, à défaut, le salaire doublé sont protégés par la loi : toute contravention aux dispositions relatives au 1er-Mai est passible d’une amende de 750 €, appliquée autant de fois qu’il y a de salariés indûment employés ou rémunérés. En cas de poursuite pénale, il appartient à l’employeur, qui a fait travailler des salariés, de démontrer que la nature de son activité ne lui permettait pas d’interrompre le travail le 1er-Mai.
À défaut, l’employeur est condamné pour infraction : arrêt de la Cassation criminelle du 25 juin 2013 et arrêt de la Cassation criminelle du 8 février 2000 pour les magasins de jardinerie, arrêt de la Cassation criminelle du 14 mars 2006 pour les location de DVD.
Remise en cause
Une proposition de loi présentée au Sénat, fin avril, vise à réduire le champ d’application de la règle du repos le 1er mai. Le 28 avril, trois jours après son enregistrement, le gouvernement a engagé une procédure accélérée pour faire adopter ce texte. La proposition en faisant référence à l’article L. 3132-12 vise à appliquer au repos du 1er-Mai des dérogations existantes pour contourner le repos dominical.
Cette proposition est en réalité destinée à permettre aux employeurs de certains établissements de faire travailler les salariés le 1er mai. Aucune disposition ne prévoit le volontariat des salariés pour travailler ce jour, même si la notion de volontariat dans les très petites entreprises est à apprécier avec prudence.
Son article unique prévoit de modifier le Code du travail comme suit : dans les établissements et services « dont le fonctionnement ou l’ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l’activité ou les besoins du public, mentionnés à l’article L. 3132-12 ». Les salariés occupés le 1er-Mai ont droit, en plus du salaire correspondant au travail accompli, à une indemnité égale au montant de ce salaire.
Interdiction de porter atteinte au repos des salariés
Cette proposition va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation. Cette dernière rappelle de façon constante, notamment dans un arrêt de la Chambre criminelle du 14 mars 2006, que le Code du travail n’institue aucune dérogation de principe au repos du 1er-Mai en faveur des établissements et services bénéficiant du repos hebdomadaire par roulement.
L’exposé des motifs de cette proposition contenant plusieurs formulations ambiguës sur le plan juridique, certains points méritent d’être reprécisés.
« Ces règles sont d’ordre public, mais elles ne portent que sur les salariés. Ainsi, les personnes qui ne sont pas salariées et qui travaillent dans les boulangeries-pâtisseries peuvent naturellement faire le 1er-Mai. », rappelle une réponse ministérielle du 20 mai 2025.
Sur la portée de l’interdiction de travail : ce qui est interdit par la loi, c’est de porter atteinte au repos des salariés. Il n’est pas interdit aux commerçants de travailler. Le boulanger peut ouvrir son commerce et vendre du pain s’il le souhaite, le fleuriste de même peut vendre du muguet. Dans l’entreprise familiale, le conjoint du chef d’entreprise peut également travailler ce jour-là.
Sur les dispositions conventionnelles applicables : la convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie mentionne « le 1er-Mai dont le régime est défini par la loi », sans contester le régime légal applicable.
Commerces et grandes surfaces
La proposition est présentée comme portant sur deux secteurs d’activité particuliers : les boulangeries et les fleuristes. Mais la formulation modifiée de l’article de loi envisagé va bien au-delà.
Comme indiqué dans la réponse ministérielle précitée:
« Le gouvernement est favorable à une évolution de la loi pour clarifier le cadre applicable et tenir compte à l’avenir, de manière pragmatique, des besoins sur certains secteurs spécifiques, dont fait partie le secteur de la boulangerie-pâtisserie. »

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Cette proposition porte en germe la suppression généralisée dans le commerce du droit au repos le 1er-Mai. Permettre de faire travailler les salariés le 1er-Mai dans des commerces de proximité justifierait ensuite la demande d’ouverture et d’emploi de salariés par les grandes surfaces au nom de la concurrence « libre et non faussée ».
Une seconde proposition de loi concernant « les établissements de moins de dix salariés » s’inscrit dans la même démarche de remise en cause du repos.
Projet de société
Après la remise en cause du repos le dimanche, par la multiplication des dérogations depuis plusieurs années, après la facilitation du travail de nuit, l’ultime norme qui résistait encore serait à renverser pour satisfaire les besoins illimités du marché.
Le repos le 1er-Mai rappelle que la personne humaine ne peut être réduite à un Homo œconomicus, consommateur-travailleur. Ce temps de repos, prévu par le droit, permettant de pratiquer ses activités sociales, culturelles, de se consacrer à sa vie familiale, etc., signifie la nécessité d’une limite, la souveraineté de la limite pour faire société.
Michel Miné est membre de l'association RACSE – Réseau académique de la Charte sociale européenne
Auteur : Michel Miné, Professeur du Cnam, titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne, Lise/Cnam/Cnrs, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
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