Sans diplôme, quelle carrière en entreprise ?

Décryptage technologique

Sans diplôme, quelle carrière en entreprise ?
Les trois quarts des 42 personnes interrogées, peu diplômées — qualifications non reconnues en France — sont parvenus à s’inscrire dans des trajectoires professionnelles ascendantes. Krakenimages.com/Shutterstock

Pour les salariés sans diplôme ou les réfugiés sans qualification reconnue en France, l’intégration professionnelle peut être un chemin semé d’embûches. Une étude montre la possibilité de contourner l’absence de réseaux ou de titres académiques en misant sur son capital psychologique.


Si la centralité du diplôme dans le processus de recrutement est une affaire de bon sens, seules les compétences et les performances devraient être prises en compte par la suite. Or, c’est rarement le cas. Bienvenue en France, où prévaut la « tyrannie du diplôme initial ».

Notre article « Quand tout est à (re)construire : la dynamique des ressources de carrière en contexte préjudiciable » est le fruit hybride du croisement entre deux recherches menées et publiées indépendamment l’une de l’autre. La première s’intéresse à la carrière des salariés peu qualifiés d’une grande entreprise française de télécoms – que nous appellerons T par souci d’anonymisation. La seconde s’interroge sur le devenir professionnel des réfugiés en France en provenance de zones de conflits, tels que la Syrie ou l’Afghanistan.

Ces deux populations ont en commun de souffrir d’un capital sociologique – ressources économiques, sociales et culturelles – déficient au regard de leur environnement professionnel. Les premiers sont désavantagés par l’insuffisance de titres dans un environnement qui valorise les diplômes d’excellence. Les seconds par la disqualification de leur bagage culturel et la disparition de leurs réseaux sociaux dans l’exil.

Alors, comment comprendre que certains réussissent sur le plan professionnel malgré l’absence ou le manque de qualifications ?

Pour répondre à cette question, nous avons fait appel au concept de ressources de carrière. Cette notion est composée des ressources psychologiques et sociales – les réseaux de proches –, en capital humain – éducation, formation, expérience – et identitaires – conscience de son identité professionnelle – qu’un individu peut mobiliser au service de sa carrière. À la lueur de ce concept, nous nous sommes appuyées sur l’analyse de 42 entretiens menés auprès de 24 salariés et de 18 réfugiés, suivant la méthodologie des récits de vie. L’enjeu : comprendre comment ces individus parviennent à développer des ressources de carrière au service de leur réussite professionnelle, à partir d’un capital sociologique faible.

PsyCap ou capital psychologique

Nos résultats montrent que près de la moitié des personnes interrogées, peu diplômées – ou aux qualifications non reconnues en France –, sont parvenues à s’inscrire dans des trajectoires professionnelles plus ascendantes que ce qu’une analyse sociologique aurait pu laisser prévoir.

Comment ? En étant capable de transformer leurs ressources personnelles – capital psychologique et valeurs personnelles – en ressources pour faire carrière.

Ce que révèle notre étude, c’est la puissance du capital psychologique – également nommé PsyCap pour initier ou relancer une carrière… même en l’absence de capitaux sociologiques traditionnels. Le PsyCap est défini dans le cadre de la psychologie positive comme l’ensemble des forces et capacités psychologiques qui peuvent être développées pour améliorer la performance professionnelle. Il est constitué par quatre dimensions selon le professeur de gestion Luthans : la confiance, l’optimisme, l’espoir et la résilience.

  • La confiance se rapporte à la foi qu’a une personne en sa capacité à transformer ses efforts en succès pour relever un défi.

  • L’optimisme renvoie à une attribution positive à propos du succès présent ou à venir.

  • L’espoir signe l’orientation résolue en direction des objectifs fixés par l’individu et, si nécessaire, son aptitude à faire bifurquer les chemins qui y conduisent pour remplacer ceux qui ont été contrariés.

  • La résilience se réfère à l’aptitude à rebondir, et même au-delà, lorsque l’individu rencontre de l’infortune.

Qualités interpersonnelles

L’analyse des récits de salariés et réfugiés interviewés révèle trois processus distincts pour faire carrière, sans diplôme ou réseaux sociaux en France : construction, activation et obstruction.


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La construction concerne des personnes sans diplôme, qui s’appuient sur leurs ressources psychologiques – résilience, détermination, optimisme, confiance en soi – ainsi que leurs qualités éthiques – altruisme, gratitude, humilité – pour bâtir leur parcours. L’ensemble de ces ressources psychologiques et éthiques agissent comme autant de leviers pour se créer des opportunités et transformer des obstacles en tremplins professionnels. Samuel, entré chez T sans qualification, gravit les échelons grâce à des formations, une validation des acquis (VAE) et l’appui de son management, jusqu’à un poste de direction :

« Une de mes qualités, c’est d’être assez fiable et quelqu’un à qui on peut confier des choses. Des managers ont cru en moi au-delà de ce que j’avais montré. Ils m’ont ouvert des champs possibles. »

La trajectoire des personnes interviewées montre que leur engagement attire le soutien de leur entourage professionnel. Il leur permet de trouver un emploi stable, d’acquérir des compétences par l’expérience et de construire petit à petit un projet professionnel.

Travail de deuil

Le deuxième groupe de répondants, qui représente un tiers de notre échantillon, suit une autre forme de parcours. S’ils détiennent un bon capital initial – diplôme, expérience –, ils s’appuient sur leurs ressources psychologiques pour faire carrière, selon un processus que nous avons appelé « activation ». Par exemple, Sami, réfugié et ex-journaliste iranien, mobilise ses acquis et reprend des études après une période d’adaptation difficile en France :

« Je travaillais dans le journal le plus prestigieux d’Iran, au poste le plus prestigieux… J’étais reconnu dans mon domaine… Je suis arrivé ici et je n’ai été transféré vers personne, j’ai dû repartir de zéro. Je suis devenu professeur particulier pour deux enfants parce qu’on me rendait un service ! Après 5-6 mois j’ai trouvé un emploi de journaliste… Après 19 mois, ils m’ont proposé un CDI. »

Ce processus d’activation concerne notamment les réfugiés dotés d’un capital humain initial solide – maîtrise de la langue française, études supérieures dans le pays d’origine. Leur réussite professionnelle est fondée sur leurs ressources psychologiques, les aidant à alimenter des efforts soutenus dans le sens de leur intégration. Elles semblent faciliter le travail de deuil, préalable nécessaire pour redémarrer leur vie dans un nouveau contexte.

Focalisation sur les obstacles

Un quart de nos répondants éprouve un sentiment d’échec professionnel, alors qu’ils étaient pourtant dotés en capital sociologique. Ils sont freinés par un état d’esprit négatif ou un sentiment d’injustice, selon un mécanisme que nous avons appelé « obstruction ». Ils se focalisent sur les obstacles et refusent certaines opportunités. Certains réfugiés qui détenaient des positions privilégiées dans leur pays d’origine ne se résolvent pas à accepter un travail jugé trop sous-dimensionné par rapport à eux. On peut citer l’exemple de Néda, ingénieure, docteure et titulaire d’un MBA qui, malgré tous ses diplômes, perçoit sa carrière chez T de manière pessimiste, dénonçant des discriminations et rejetant le fonctionnement des réseaux internes :

« Ce ne sont pas les performances seulement : le réseau, la manière de se vendre, être au bon moment au bon endroit en discutant avec la bonne personne. À chaque fois que j’ai répondu à un poste ouvert sur Internet, il y avait toujours quelqu’un qui l’obtenait, cela me fait dire que tout le monde n’est pas égal. »

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Pour le sociologue Pierre Bourdieu, l’institution scolaire contribue « à légitimer les trajectoires et les positions sociales » et à déterminer la place dans la division sociale du travail.
Wikimedia commons

Peut-on conclure de cette recherche que la théorie du capital sociologique de Bourdieu pêche par excès de pessimisme ? Sa théorie de l’espace social souligne l’importance des facteurs culturels et symboliques dans la reproduction des hiérarchies sociales. Si on s’en tient à cette lecture, la réussite est essentiellement liée à la détention de capitaux culturels – compétences, titres, diplômes – et symboliques – toute forme de capital culturel, social ou économique ayant une reconnaissance particulière au sein de la société. Cette vision réduit les chances de ceux qui en sont démunis.

Notre étude montre que si les inégalités de départ pèsent lourd, elles ne sont pas une fatalité. À condition de disposer – ou d’acquérir – de ressources psychologiques telles que la confiance en soi, l’optimisme, l’espoir, la résilience –, il est possible de contourner l’absence de réseaux ou de diplômes en misant sur sa capacité à rebondir, à apprendre, à espérer. Et, parfois, à réussir là où rien ne le laissait présager.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

Auteur : Hédia Zannad, Associate professor, Neoma Business School

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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